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La vraie vie d’Albane Cleret à Cannes

On lui prête une vie de noceuse invétérée, il n’en est rien… Travailleuse acharnée, esthète quasi perfectionniste dans l’aménagement de sa terrasse, Albane Cleret a le goût des rencontres productives, de celles qu’elle provoque depuis vingt ans à Cannes où elle mélange sur son rooftop les mondes du cinéma et des marques de luxe. Rencontre avec la fondatrice de l’agence Albane Communication, qui fête cette année les 20 ans de sa Terrasse by Albane au Festival de Cannes.

 

Désirée de Lamarzelle : Le marché de l’événementiel est-il revenu à son niveau d’avant 2020 ?

Albane Cleret: Le marché est loin d’être normal pour l’événementiel. C’est une question de conjoncture mais après la pandémie et le contexte politique de la guerre aux portes de l’Europe, il faut avoir les reins solides pour subir tous ces bouleversements.

Le secteur du luxe, lui, se porte plutôt bien…

Si le secteur du luxe se porte bien, il y a quand même beaucoup de restriction de budgets. Les sponsors de luxe investissent peut-être un peu différemment sur ce genre d’événement de communication.  A cela s’ajoute qu’avec la pandémie beaucoup de gens qui ont changé de métier et les matières premières ont subi une grosse inflation. Tout est plus compliqué. Prenez l’exemple du bois qui est devenu trop cher, de la pénurie de carton… Tout cela se répercute sur le coup d’une production d’un événement entre 2020 et 2022.

Même pour le Festival de Cannes ?

Le Festival de Cannes reste le plus grand festival de films du monde. Je fête d’ailleurs les 20 ans de ma terrasse. Vingt années où j’ai vu l’évolution de ce festival avec des grands moments : j’ai commencé dans un petit lieu et une mini équipe alors que nous sommes 100 personnes aujourd’hui sur une plateforme de 2000 mètres carrés.

Cela représente quoi en investissement de travail, la Terrasse by Albane ?

Ce sont six mois de production, c’est un mois de montage. Ce sont 120 camions, deux grues qui envahissent la Croisette. Ce sont ces 150 gars qui bossent jour et nuit, des tapissiers, des menuisiers, des fleuristes, des étanchéistes… C’est une mobilisation inimaginable. Chaque année, c’est un nouveau départ : on recommence tout, reconstruit tout puisque c’est évidemment éphémère. On stocke très peu de choses.

Les nuits blanches, vous les faites avant à Cannes finalement ?

J’ai la chance de pouvoir aller me coucher vers 1h et demi maximum, c’est ce qui me convient très bien. Contrairement à l’image que je véhicule, malheureusement, de papesse de la nuit, je me couche avec plaisir tôt et reviens tôt le lendemain pour accueillir les équipes de film.

Est-ce que cela vous gêne… cette étiquette d’organisatrice de nuits cannoises ?

Si cela était vrai, cela serait flatteur mais cela me porte en fait préjudice car ce n’est pas moi. Mon métier est de faire du networking pour mettre en relation les marques et organiser des événements sur-mesure. La journée, je me lève tôt pour honorer des rendez-vous avec des décideurs, et mettre en BtoB des gens qui ont besoin de se rencontrer : qu’il s’agisse de faire rencontrer un acteur et un producteur, un producteur et un distributeur, une maison de mode et une jeune actrice…

En quoi consiste une journée type à la Terrasse ?

Chaque jour, on va organiser un dîner ou un cocktail dînatoire, soit pour une maison de mode, soit pour un film en compétition ou sélection officielle. Ces événements peuvent être faits sur notre terrasse – pour la plupart – mais aussi dans d’autres lieux. Par exemple, on va faire le dîner pour la maison Vuitton dans un autre lieu cannois mais le dîner Dior sur notre toit. Ou encore la soirée du film avec Universal de James Gray sera sous forme de cocktail dînatoire sur notre toit. Il est probable que la soirée du film de George Miller pour lequel nous sommes mandatés, nous la fassions ailleurs. On a un restaurant de 120 couverts qui prend place sur le toit qui fait face à la mer pour accueillir nos membres (200) et nos partenaires.

Le Festival de Cannes est la vitrine de votre métier ?

C’est la vitrine du savoir-faire d’une agence comme la nôtre : être tentaculaire, en sachant aussi se déplacer ailleurs. Parce que, à Paris, mon métier n’est pas d’avoir un endroit à moi, c’est de travailler pour les maisons, pour les avant-premières de films, pour des groupes hôteliers, pour toutes sortes de marques qui correspondent à mon carnet d’adresses et à mon savoir-faire.

Dans quelle mesure, après 20 années de Cannes, faites-vous confiance à votre intuition ?

Mon intuition qui m’a toujours guidée. De la même façon qu’aujourdhui, par rapport au secteur de l’événementiel, j’envisage à moyen terme un autre format pour travailler même si j’ai encore pleins d’idées pour faire performer l’agence… dans d’autres champs. Avec à la clé de nouveaux postes à pourvoir à l’agence pour l’hiver prochain.

Je pensais également à la digitalisation de votre métier.

Oui, il faut prendre le tournant du digital : il y a beaucoup de points digitalisés aujourd’hui, mais j’aimerais dans l’événementiel trouver l’équilibre avec notre savoir-faire qui repose énormément sur l’humain, car pour prendre l’exemple d’un dîner, il faut savoir gérer les pauses, l’ambiance qui se dégage de façon aléatoire. Et puis le digital a ses limites en ce qui concerne des événements où la discrétion est de mise :  je dois protéger mes invités, ce qui est désormais une vraie gymnastique avec les photos prises par le portable du voisin de table… On ne peut pas confisquer leur téléphone. Et à côté de cela, si vous n’apparaissez pas dans les réseaux sociaux, vous n’existez plus. Il faut composer avec ça !

C’est créer des événements encore plus « uniques » ?

Oui, et également imaginer de nouveaux endroits avec une dimension plus expérientielle pour mes clients. Récemment, j’ai organisé un dîner au Château Marmont à Los Angeles, un dîner à la française qui était magnifique.  J’aimerais également investir la Mostra de Venise et, qui sait, les prochains J.O. Les idées ne manquent pas.

Est-ce que vous auriez pu créer votre propre festival ?

Non, je serai plutôt d’avis d’avoir envie de déplacer la terrasse avec tout son écosystème, c’est à dire des junkets de film, des déjeuners, des dîners, des soirées de films, des soirées de mode sur un autre festival pour apporter une touche en plus, un nouveau terrain d’expérimentation, mais pas mon propre festival.

Y a-t-il une femme qui vous inspire ?

Ma grand-mère paternelle, qui était institutrice et grande résistante, qui a été déportée. Elle a trouvé le courage d’écrire des lettres à mon père depuis les wagons qui l’emmenaient vers une fin qu’elle connaissait. Je trouve cela admirable sa combativité avant d’aller dans le couloir de la mort, pour passer du courrier à mon père, resté caché par ses soins chez le voisin. Ce destin me bouleverse et me guide depuis que je suis toute petite.

 

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