Nous nous souvenons tous de l’aventure de la marque Michel & Augustin et de son culot pour s’inviter chez Starbucks. Cette fois-ci une nouvelle marque de crème glacée française, Bellefontaine, vient s’installer chez le géant américain, H.E.B.
H.E.B (Here Everything’s Better / Ici, tout est meilleur) est un groupe texan d’enseignes de la grande distribution classé 15ème sur l’indice de fortune Forbes, avec un résultat net de 20 milliards de dollar en 2017.
J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Lucienne Duforets, créatrice de la marque Bellefontaine. Comme quoi l’audace française réussit à l’étranger.
Comment est venue votre passion pour la « Food » ?
Lucienne Duforets : Aussi loin que je me souvienne, cuisiner a toujours été ma passion. Je dois avoir plus de 7 000 livres de cuisine chez moi ! Sans compter des placards entiers d’ustensiles, et tout ce que le commerce peut compter de robots en tout genre. Je dois être la meilleure cliente d’Amazon !
Je ne souhaitais pas ouvrir un restaurant, trop énergivore et trop risqué. Je voulais absolument faire quelque chose de différent, de novateur, là où tout était encore à explorer.
L’art de la glace (car c’est un art) a toujours été le parent pauvre de la pâtisserie. Nous comptons en France parmi les meilleurs pâtissiers du monde mais paradoxalement, personne ne parle ou ne promeut la glace comme elle le mérite. En dehors de la glace à la vanille, au chocolat ou à la fraise, c’est un peu le désert.
Il y a bien quelques artisans glaciers fabuleusement doués, mais qui veut faire 800 km pour déguster un sorbet rare en quelques minutes ?
J’ai commencé à faire de la glace avec Philippe Hardy, chef étoilé du Mascaret en Normandie. Il m’a appris l’art délicat des sorbets et comment respecter les fruits sans dénaturer leur goût par de trop longues cuissons. J’ai ensuite étudié à la Gelato University de Bologne en Italie. Là, j’ai commencé à entrer sérieusement dans la chimie de la glace. Car la glace ce n’est pas mélanger du lait, de la crème et du sucre. C’est beaucoup plus complexe que ça… il faut bien comprendre les interactions physico-chimiques des matières grasses, de l’eau, des sucres, travailler sur l’équilibre de tous les ingrédients pour arriver à la texture souhaitée, selon la température choisie. Bref, il faut retourner aux équations mathématiques et à la chimie organique. Ensuite vient l’inspiration et si vous êtes créatif, vous pouvez tout faire sous forme glacée.
J’ai ensuite été consultante pour plusieurs entreprises agroalimentaires pour les aider à améliorer soit les textures et les recettes, soit à optimiser leurs moyens de production. Cela m’a amenée à voyager un peu partout dans le monde et avoir une assez bonne vision du marché de la crème glacée.
Pourquoi avoir choisi Houston ?
Lucienne Duforets : Houston s’est imposée à moi avec le temps. J’avais des critères bien précis : un climat agréable tout le long de l’année (idéal quand on veut éviter les pics saisonniers), « tax-friendly », un immobilier abordable, des perspectives de développement économique en forte croissance, et aucun concurrent sérieux. Je ne me suis pas trompée.
J’ai donc débarqué à Houston en août 2016 avec ma carte de crédit et deux valises. Une semaine plus tard, j’avais trouvé le lieu où j’allais commencer à produire, commander tout l’équipement qu’il a fallu faire venir d’Europe et en novembre, après les travaux d’installation et l’obtention du précieux « Frozen License », j’ai commencé à démarcher les clients.
Très honnêtement, ce n’est pas ce que je préfère faire mais c’était une nécessité. Et là, contrairement à toutes mes croyances, tout s’est enchaîné à une vitesse folle.
Je me suis présentée à la caisse de Central Market à Houston avec quelques pots de glace que je venais de faire. Le Grocery Manager avait l’air totalement étonné de ma démarche car habituellement toutes les décisions se prennent au siège de Dallas. Par gentillesse ou par charité peut-être il a accepté de goûter mes produits. Croyez-le ou non mais 45 minutes plus tard, j’étais entourée de tout l’exécutif staff du magasin et tout avait été dévoré en quelques instants.
Je suis sortie de ce rendez-vous improvisé avec leur désir de me distribuer 6 semaines plus tard !
Je n’avais alors aucun packaging, pas de design, pas de logo, pas de distributeur. Mais ici c’est le Texas ! L’hospitalité n’est pas un vain mot. Bref, Central Market s’est beaucoup investi pour m’aider à relever le défi, j’ai également fait appel à des amis pour réaliser le packaging, j’ai trouvé une société qui a bien voulu imprimer les pots en 2 semaines au lieu de 8… encore un miracle.
J’ai commencé à vendre 4 parfums à Central Market en février 2017 et uniquement à Houston. Très rapidement ils m’ont demandé un cinquième, puis encore deux autres.
En juin de la même année, devant le succès grandissant de la marque et l’incroyable croissance des ventes, Bellefontaine était distribuée dans tous les magasins du réseau au Texas. 6 mois plus tard, la gamme s’étoffait avec 3 nouveaux sorbets soit au total 10 parfums ! Bellefontaine est la seule marque à avoir autant de parfums en rayon et les ventes ne cessent d’augmenter chaque mois…
Il a fallu évidemment recruter du personnel, organiser la production de façon plus drastique et faire également face aux commandes de nouveaux clients comme les hôtels, les restaurants, les parcs d’attraction qui cherchaient vainement des glaces artisanales de qualité.
Comment vous sentez-vous accueilli en tant qu’entrepreneur et en tant que femme-entrepreneure aux USA ?
Lucienne Duforets : J’ai été accueillie avec un enthousiasme contagieux. Les Américains adorent les Français, surtout quand ils sont dans le Food Business et se mettent en quatre pour vous aider à réussir. Ils aiment les success stories, et plus vous réussissez, plus ils vous aident.
De plus, une femme seule à la tête d’une usine avec des grosses machines, des gros tuyaux qui courent partout, des entrepôts frigorifiques, qui négocie âprement le prix de la banane, vous accueille avec un tournevis à la main et roule en camionnette, ça les épate et ils adorent.
J’ai bien évidemment subi quelques discours paternalistes, condescendants voire carrément machistes. Mais ce fut très rare et à chaque fois, tout ce petit monde fut gentiment remis à sa place en moins de 10 secondes et avec le sourire.
Aujourd’hui ceux qui m’ont fait la vie dure sont mes plus fervents supporters. Mais il faut mériter leur admiration par votre travail et vos résultats.
Pensez-vous que le système français vous aurez accordé les mêmes chances ?
Lucienne Duforets : Je présente toutes mes excuses à notre Président français mais je répondrai immédiatement : « absolument pas ». En France, pour vendre vos produits en supermarchés, cela prend des années, les investissements sont bien différents et vous avez largement le temps de faire faillite avant qu’on vous remarque.
Vous imaginez-vous vous rendre au Monoprix de votre quartier avec la tarte au citron de Tata Simone et demander le directeur du magasin, qui, bien entendu vous ouvre immédiatement les bras et les rayons de son magasin, puis ceux de l’ensemble de la chaîne ?
Que diriez-vous aux jeunes talents qui souhaitent se lancer aux USA comme vous le faites ?
Lucienne Duforets : Il ne faut pas être motivé pour venir s’installer aux USA. IL faut être DÉ-TER-MI-NÉ !
Votre projet doit être mûr et construit. Le succès n’arrive pas seul, il faut travailler énormément et ne pas se décourager. Il faut aussi beaucoup de chance.
Si j’avais écouté mon entourage, je n’aurais jamais rien fait. Donc fiez-vous à votre instinct et faites fi des idées reçues. Une par exemple est celle qu’obtenir un visa américain est trop compliqué. Faux et archi-faux. Si votre projet est intelligent et crédible, obtenir un visa investisseur ne prend que très peu de temps. Mon interview a duré 4 minutes top chrono !
Autre chose : ne venez pas aux USA parce que c’est à la mode. Tous les Français veulent venir en Amérique et tous les Américains rêvent de venir en France. Donc ne venez que si cela apporte un sens pour votre entreprise
Vous avez gagné le concours H.E.B, quelles sont les prochaines étapes pour votre marque ?
Lucienne Duforets : Ce concours, c’est le miracle texan qui continue. Cette victoire va me permettre d’entrer dans plus de 200 supermarchés rien qu’au Texas et diviser par deux le prix en rayon, ce qui va avoir un impact énorme sur les ventes futures.
En m’offrant ce prix, H.E.B m’offre également le support inconditionnel de ses équipes (sourcing, marketing, techniques, logistiques, financiers et juridiques) en ce, pendant 5 ans minimum.
Ils ont décidé de parier sur le succès de Bellefontaine, et ont commencé à promouvoir à leurs frais la marque dans les médias, etc… Bellefontaine prendra peut-être le relais de Tony Parker, qui a longtemps incarné l’emblème HEB dans leurs spots publicitaires ? Qui sait ?
En retour je me dois d’honorer cette opportunité qui n’arrive qu’une fois dans la vie d’une entreprise et aussi rapidement. Donc à nouveau je retrousse les manches.
La médiatisation de ce concours a aussi permis de se faire remarquer par d’autres mastodontes américains de la distribution. En ce moment c’est la folie !
Aujourd’hui, pour avancer et sécuriser chaque étape de la croissance de mon entreprise, le nouveau challenge et la priorité sont de trouver des financements pour investir des locaux beaucoup plus grands afin de faire face aux commandes à venir.
Le rêve américain, c’est quoi selon vous ?
Lucienne Duforets : Je ne saurai répondre à cette question très honnêtement. Par contre je peux vous dire ce qu’est le rêve texan….
Je connais d’autres glaciers qui se sont installés en Floride ou dans d’autres Etats et qui malheureusement ont échoués très vite. Ici au Texas, il y a une énergie que je n’ai trouvée nulle part ailleurs aux USA. Le sens de l’hospitalité et de l’entraide. Une joie de vivre et beaucoup de simplicité.
La première question que l’on vous pose généralement ici c’est « Tell me your story » et la seconde est systématiquement « How can I help you ? ».
La culture de l’entreprise ici est très différente. Les gens sont fiers de vous aider et de contribuer à votre succès car votre succès devient le leur. En France nous ne sommes absolument pas habitués à cela. C’est un vrai choc culturel. Un choc positif ! un choc qui fait du bien !
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