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Interview Grand Format | Claudia Schiffer : « Ma génération a eu un rôle modèle en faisant du ‘vieillissement’ un non-sujet dans le mannequinat »

Claudia Schiffer
‘Claudia Schiffer. Image Lucie McCullin © 2021 Cloudy Film Limited.’

Les nineties n’en finissent pas d’être explorées par la nouvelle génération qui s’intéresse de près à cette époque féconde ayant vu émerger beaucoup de courants artistiques. Niveau mode, il y a même eu un âge d’or avec le phénomène planétaire des Supermodels. Dans ce club très fermé, Claudia Schiffer en était la reine. Rarement une personnalité n’aura autant été photographiée que la beauté fatale allemande. De cette période, le mannequin iconique en a tiré l’exposition ‘Captivate !’ . Forbes s’est entretenu avec Claudia Schiffer qui a ouvert ses archives et nous livre sa vision de la fashion sphère d’aujourd’hui.


 

Vous signez votre première exposition photo « Captivate ! Fashion Photography from the 1990s ». Pourquoi vous êtes-vous lancée dans ce projet ? 

Claudia Schiffer : J’ai été invité par Felix Krämer, directeur général de Kunstpalast, à organiser une exposition sur la photographie de mode des années 90. La décennie a vu émerger une scène créative incroyable alimentée par une nouvelle génération de photographes, de créateurs de contenus et de designers. J’ai baptisé l’exposition « Captivate », car j’espère que cette œuvre captera l’imagination, les aspirations et l’énergie d’une époque. Ma sélection a été principalement motivée par l’esthétique et par la question de savoir si l’image représentait vraiment l’œil du photographe. En tout, j’ai choisi 150 clichés sur des milliers ! Il convient aussi de fixer cette époque : alors que les années 80 étaient définies par un glamour perfectionniste, les années 90, elles, ont laissé place à un réalisme, aux personnalités et à l’énergie. Tout au long du processus, j’ai recherché des œuvres intemporelles capables de transcender le temps jusqu’à résonner encore aujourd’hui. Je voulais vraiment célébrer l’immense créativité des nineties à travers les défilés et les campagnes de mode.

Mais, plus que tout, je suis très heureuse et fière d’avoir pu compiler autant d’images iconiques, tout en ayant réussi à rassembler tous les talents de l’époque.

 

La génération dont vous avez fait partie a donc fondamentalement changé notre rapport à la mode ? 

C.S : Les années 90 sont une période de grande inspiration qui est redécouverte en 2021. Vous pouvez le voir dans la façon dont les Millennials s’habillent, remettent au goût du jour le jean Levi’s, les débardeurs vintage, les Birkenstock… Il y a aussi cette appétence qui se confirme pour les albums vinyles, les appareils photo Polaroid. Les maîtres de la photographie de l’époque sont imités par les influenceurs d’Instagram. Pourquoi ce phénomène ? Parce que trente ans plus tôt, nous avons vécu une véritable fusion créatrice entre différents domaines : la mode, la musique, l’art et le divertissement En photographie, il y avait une vaste gamme de styles couvrant la romance épique en noir et blanc de Peter Lindbergh, la liberté sexy d’Ellen Von Unwerth… Je voulais vraiment que Captivate ! rende hommage à cette expérimentation visuelle et cette liberté d’expression.

 

Claudia Schiffer : Un matin, en rentrant chez moi, j’ai été arrêtée dans la rue par un homme qui me demandait si j’étais « la fille de Guess ». J’ai compris alors que ma vie avait changé pour toujours

 

Claudia Schiffer. Image Lucie McCullin © 2021 Cloudy Film Limited.

 

Qu’est-ce qu’une photo réussie selon vous ? 

C.S : Avant tout, il doit y avoir une connexion entre le modèle et le photographe. En tant que mannequin, vous devez étudier le travail d’un photographe, le travail d’un designer afin de retranscrire leur vision devant l’objectif. En Valentino, vous vous transformez en héroïne romantique ; en Versace, en sirène ; en Chanel, en une femme du monde chic et sans effort… Ce que j’ai appris très tôt, c’est que chaque photographe « voit » différemment. Helmut Newton, par exemple, était méticuleux dans les moindres détails, et c’est ce qui donne à son imagerie une telle force graphique. En revanche, Elgort est passé maître dans l’art de capturer l’exubérance à l’extérieur.

Dans ce puzzle complexe, il y a aussi l’interventions d’experts : coiffeurs, maquilleurs, décorateurs, stylistes, directeurs artistiques, éditeurs… Vient ensuite, la magie qui s’opère dans la chambre noire, dans l’impression, la retouche et la mise en page. 

 

Votre plus grand souvenir de carrière ? 

C.S : J’étais à Paris, j’avais 17 ans et je démarrais dans le métier au côté de ma compatriote Ellen von Unwerth. Nous avions improvisé une séance photo à proximité du Centre Pompidou, je portais d’ailleurs mes propres vêtements ! Et puis, l’équipe de Guess est tombée sur les photos et nous a proposé de collaborer sur la campagne publicitaire de Guess Jeans. Dès lors, tout s’est enchaîné : Revlon m’a appelé pour me demander d’être le visage de son premier parfum, j’ai parcouru les États-Unis et les plateaux TV de Jay Leno à Oprah Winfrey en passant par David Letterman. Un matin, en rentrant chez moi, j’ai été arrêtée dans la rue par un homme qui me demandait si j’étais « la fille de Guess ». J’ai compris alors que ma vie avait changé pour toujours. 

© Herb Ritts

 

Claudia Schiffer :En tant que Supermodels, nous sommes également devenus des symboles d’un succès autodidacte.

 

Qu’est-ce qui a changé dans le mannequinat et dans l’industrie ? 

C.S : L’industrie a évolué dans des proportions que – même dans mon imagination la plus folle – je n’aurai jamais soupçonné ! Il y a plus de collections, plus de marques, et il y a désormais l’interférence des réseaux sociaux. Leur impact est énorme ! Cela amène encore plus de visibilité à la commercialisation des produits de mode et de beauté, offre une plus grande exposition aux mannequins en permettant d’interagir directement avec sa communauté. Néanmoins, il y a un revers à cela puisque cette forte exposition engendre la pression de tout partager avec tout le monde. Dans les années 90, on pouvait encore avoir une vie privée

Comment ne pas également aborder la fulgurante ascension des influenceurs ! Il y a tellement de talents aujourd’hui issus d’origines diverses, de régions géographiques variées, d’âge ou de taille différentes. L’expression de l’individualité, du style personnel sont défendus comme jamais auparavant. Les mannequins non professionnels sont devenus une source d’inspiration vitale pour leurs pairs ainsi que pour les designers. C’est tellement sain de voir une telle diversité de visages et de styles ! Enfin, la nouvelle génération de mannequins investit d’autres sphères par son activisme : le développement durable, le bien-être, la technologie, l’industrie du divertissement… Il est possible d’étendre sa carrière dans tellement d’autres domaines.

Ma génération a eu un rôle modèle en faisant du « vieillissement » un non-sujet ! Regardez Naomi Campbell, Kate Moss, Amber Valletta ou Cindy Crawford…nous continuons toutes à travailler. 

 

Rétrospectivement, comment expliquez-vous l’incroyable phénomène des « Supermodels » ? Pourquoi des filles comme Cindy Crawford, Linda Evangelista, Naomi Campbell et vous-même ont-elles pris le pouvoir bien au-delà de la fashion sphère ? 

C.S : Les mannequins étaient une force créative et commerciale. Dans la récession du début des années 90, je pense que nous avons contribué à maintenir le glamour et l’optimisme de la mode lorsque le marché des créateurs était en forte baisse. Alors que l’économie reprenait, le rôle du mannequin était de projeter l’image d’une marque à travers le monde à une époque où le secteur se mondialisait, il y a eu une sorte de démocratisation de la mode. Le phénomène des supermodels vient aussi de leur apparition collective pour de nombreuses marques comme Versace, Chanel, Dolce & Gabbana : c’était très puissant à l’image. Cet effet a tout « dynamité » !

Bien sûr, les époques précédentes avaient des stars iconiques à l’instar de Lauren Hutton, Twiggy, Penelope Tree et Iman pour n’en nommer que quelques unes, mais en tant que Supermodels, nous sommes également devenues des symboles d’un succès autodidacte, à une époque qui défendait l’ambition féminine et qui était également alimentée par le sexe, le pouvoir et le glamour. Avant les années 90, la carrière d’un mannequin durait rarement au-delà de la trentaine et il y avait un renouvellement constant des visages.

En outre, il y avait une autre différence déterminante puisqu’avant les années 90, les modèles étaient largement classés dans les catégories purement commerciale et éditoriale. Lors de notre émergence, nous avons décloisonné cet univers en étant invitées à des talk-shows, en apparaissant dans des films, dans des clips musicaux… Les années 1990 ont été une période charnière qui a bouleversé les idéaux de beauté et de mode. Les campagnes sont devenues une partie importante de la culture visuelle et la photographie de mode projetait une « vision idéalisante ». Innovation et expérimentation animaient toute la scène fashion. Aujourd’hui, les jeunes se retrouvent dans ces codes. 

 

© Bruce Weber

 

Quelles relations entretenez-vous aujourd’hui avec les autres Supermodels ? 

C.S : Je dois dire que c’est tellement spécial quand nous nous rencontrons à nouveau comme ce fut le cas pour la collection 2017 de Donatella Versace en l’honneur du 20e anniversaire de la disparition de Gianni. Nous avons vécu tellement de moments ensemble et, pour Versace, nous faisions partie d’une grande famille. Le temps n’a fait que renforcer nos liens. 

 

Beaucoup d’ex-mannequins se sont lancées dans l’entrepreneuriat avec succès. Est-ce une reconversion que vous envisagez ? 

C.S : Le mannequinat m’a ouvert le monde et m’a fait découvrir tant d’esprits créatifs incroyables. J’ai beaucoup appris sur la photographie, le design de mode, les affaires et, aussi, sur moi-même. J’ai beaucoup de chance d’aimer ce que je fais ! Les collaborations conceptuelles et les rôles de curation m’ont semblé être une étape naturelle pour moi. En plus de l’exposition Kuntspalast Captivate !, j’ai une collaboration de verrerie et de céramique avec les merveilleuses marques du patrimoine portugais Vista Alegre et Bordallo Pinheiro. Les collections (lancées l’année dernière) s’inspirent de mon amour de la nature, dans cet esprit, de nouvelles gammes sortiront en 2022. J’aime tellement découvrir le savoir-faire de ces créateurs et dessiner des formes et des motifs.

Je viens également de collaborer avec la jolie marque Réalisation Par, que j’ai découverte via ma fille Clémentine. La collection très inspirée des nineties est maintenant disponible. J’ai regardé dans mes archives et j’ai trouvé des robes en soie, des imprimés marguerites et des graphismes noir et blanc classiques – ces trouvailles ont été le point de départ.

“Captivate! Fashion Photography from the 1990s”

Book découverte

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