Vous êtes aujourd’hui la chanteuse française la plus écoutée dans le monde, donc devenue une ambassadrice de la francophonie. Ça vous fait plaisir ?
AYA NAKAMURA : Oui. Je l’ai appris en lisant la presse, comme tout le monde. C’est une fierté, un énorme truc positif.
Est-ce que cela ne vous donne pas aussi une responsabilité ?
A.N. : Non, je n’irais pas jusque-là. En tout cas, je ne le prends pas comme ça. Je vois plus cela comme une récompense pour le travail accompli avec toutes les équipes.
Êtes-vous une amoureuse des mots, de la langue française ?
A.N. : J’aime les mots et le poids des mots. Chaque mot a un poids et même quand je parle à quelqu’un, j’y fais très attention. Pourquoi ?
Parce que quand on écoute vos chansons, on voit que vous employez une parole directe, simple, qui touche les gens.
A.N. : J’essaye, oui.
Vous vous inspirez beaucoup du langage des quartiers, de l’argot des jeunes de la banlieue où vous avez grandi. Aujourd’hui, vous êtes coupée de ce milieu ?
A.N. : Mes amis n’ont pas changé. Même s’il est vrai que je côtoie beaucoup plus de monde, des personnes issues de milieux très différents. Je continue à vivre avec mes amis d’enfance, je vais toujours dans le quartier où j’ai grandi, c’est un point de repère important.
Craignez-vous ce que l’on pourrait appeler l’embourgeoisement de l’artiste ? Certains artistes arrivent sur le « marché » avec des textes très forts, parfois engagés, parce qu’ils ont vécu des choses fortes, traversé des épreuves, et tout cela se retrouve dans leur œuvre. Puis ils connaissent le succès, achètent une belle maison, une grosse voiture, s’isolent, et du coup, perdent leur inspiration…
A.N. : C’est vrai que ça peut changer les choses. On n’écrit pas le même genre d’histoire quand on a vécu dans les quartiers pendant quinze ans, qu’on a eu une enfance comme la mienne, dans un milieu modeste, puis quand on devient tout riche et tout blindé ! On n’a plus le même vécu, la même expérience. Pour retrouver de l’inspiration, il faut se laisser le temps de vivre. Maintenant, le bonheur ne se résumie pas aux grandes villas. On continue de ressentir des choses, d’observer le monde qui nous entoure…
» POUR RETROUVER DE L’INSPIRATION, IL FAUT SE LAISSER LE TEMPS DE VIVRE. »
… Heureusement d’ailleurs. Pourriez-vous chroniquer notre époque dans vos chansons ?
A.N. : Si ça m’inspire, bien sûr ! Si ça ne me parle pas, je ne vais pas le faire parce qu’il faut le faire.
Qu’est-ce que ça a changé pour vous de devenir un enjeu financier important pour toute une industrie ?
A.N. : Je ne me suis jamais considérée comme un enjeu financier. Au début, comme on ne s’attend pas à ça, on trouve cela bizarre, tous ces regards posés sur nous, l’attention que les gens portent à tout ce que l’on dit. C’est une pression que je n’avais pas l’habitude de ressentir.
Et ça vous paralyse ou ça vous galvanise ?
A.N. : Au début, cela m’effrayait. Maintenant, ça va.
J’imagine que vous avez plus de pouvoir et de liberté pour faire ce dont vous avez envie, maintenant que vous avez connu un immense succès.
A.N. : Non, j’ai toujours eu la chance de pouvoir dire et faire ce que je pensais. Dès le début de ma carrière, au niveau artistique, notamment. Je n’ai pas l’impression d’avoir plus de pouvoir.
Étonnant. Quand un artiste cartonne à ce point, en général, il prend ses aises dans sa maison de disques qui est prête à tout pour le garder…
A.N. : Avoir une maison de disques, ça n’est pas forcément être infantilisé. Moi, j’ai toujours eu un droit de regard sur les beatmakers, arrangeurs, clippeurs… Ça ne veut pas dire que je ne délègue pas, on ne peut pas tout faire tout seul. C’est dans les films que la maison de disques donne des ordres aux artistes, en réalité, c’est un accompagnement.
Vous aimez vous occuper de tout ce qui est extra-musical, le stylisme, la promo, les négociations business, etc. ?
A.N. : J’aime trop ! Et puis, ça fait partie de mon travail.
Par certains côtés, vous êtes devenue une chef d’entreprise.
A.N. : On peut dire ça comme ça.
Vous aviez des prédispositions pour cela ?
A.N. : C’est arrivé à temps. Je n’étais pas préparée à ça, ni en famille, ni à l’école, mais dans le showbiz, j’ai eu de bons professeurs. Au départ, je ne me concentrais que sur ma musique. Quand j’entrais en studio, j’étais surtout préoccupée par ma voix, je voulais qu’elle sorte de la meilleure manière possible.
Votre carrière internationale est en plein essor. Est-ce que vous allez un jour chanter en anglais, faire de la promo aux États-Unis ou en Grande-Bretagne ?
A.N. : Franchement, je ne pense pas pouvoir chanter en anglais pour l’instant. Cela n’empêche pas de faire connaitre ma musique aux US. Mais de toute façon, même si je n’arrive pas au niveau pour être capable d’écrire en anglais, je dois m’améliorer car cela m’ouvrirait des portes, me permettrait de parler à des artistes là-bas. Certains apprécient mon travail [Rihanna ou Madonna, entre autres]. Mais pour l’instant, ça n’entre pas dans mes projets.
Quand on regarde en arrière, on constate que nombre d’artistes de chez nous ont conquis l’Amérique en chantant en français…
A.N. : Oui, à commencer par Édith Piaf. Les Anglo-Saxons apprécient la langue française.
» SI UN PROJET NE ME PLAÎT PAS, UNE PUBLICITÉ OU AUTRE CHOSE, JE NE LE FERAI PAS, MÊME S’IL Y A UNE ÉNORME SOMME D’ARGENT EN JEU. »
Comment Aya Nakamura va évoluer dans les années à venir ?
A.N. : Je ne sais pas. Je n’ai pas de plan de carrière. Je sais juste que je resterai moi-même. J’ai eu beaucoup de propositions de cinéma. À voir… Ça m’intéresse. Peut-être que je prendrai un jour des cours de comédie.
Votre compagnon, Vladimir, est l’un de vos DA. C’est facile de travailler avec son conjoint ?
A.N. : Pour l’instant, ça va. Mais ça n’est pas mon producteur, là, ça aurait été très compliqué. Un producteur supervise tout, il participe à toutes les décisions. Là, nous ne sommes que sur la vision artistique.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le succès ? La célébrité ? L’argent ? Les moyens que cela vous procure pour travailler ?
A.N. : Au début, on ne pense pas à l’argent. Il ne vient pas tout de suite de toute façon. On veut faire du bon son, on pense qu’il y a des gens qui vont kiffer dessus. C’est ça qu’on aime. Après, vient la célébrité et là, on commence à penser à l’argent.
Et qu’avez-vous décidé à partir de là ?
A.N. : De ne pas faire n’importe quoi pour de l’argent.
Par exemple ?
A.N. : Si un projet ne me plaît pas, une publicité ou autre chose, je ne le ferai pas, même s’il y a une énorme somme d’argent en jeu.
QUAND JE RENCONTRE DES JEUNES FILLES COULEUR ÉBÈNE QUI ME DISENT
« T’ES MON EXEMPLE, T’ES TROP BELLE », J’ADORE.
Vous semblez plus attachée à votre image qu’à l’argent.
A.N. : Je ne sais pas. Indirectement, oui, puisque je n’accepte que les projets qui me ressemblent.
Comment investissez-vous vos gains ?
A.N. : Houla, c’est personnel !
Je ne vous demande pas de chiffres, juste votre profil d’investisseur…
A.N. : Un peu père tranquille et un peu de risque, entre les deux !
Vous avez conscience d’être un personnage très singulier sur la scène française ?
A.N. : Pourquoi ?
Des femmes noires, d’origine africaine, qui représentent la chanson française à l’international, il n’y en a pas beaucoup. Il n’y en a même jamais eu beaucoup.
A.N. : Oui, c’est vrai. Quand je rencontre des jeunes filles couleur ébène qui me disent « T’es mon exemple, t’es trop belle », j’adore. Quand j’étais petite, je ne voyais pas de chanteuse de ma teinte qui cartonnaient, ça n’existait pas. Aujourd’hui, ces petites filles peuvent se dire : « Moi aussi, je peux le faire. » Donc oui, ça me rend fière de mon parcours.
Beaucoup de jeunes filles, quelle que soit la couleur de leur peau, s’identifient à vous, notamment dans leur rapport aux garçons. Quels sont les messages que vous voulez leur faire passer dans vos chansons ?
A.N. : J’ai tendance à laisser mon esprit écouter mes sentiments. L’amour, ça n’est pas fait pour souffrir. Quand on commence à endurer des choses trop difficiles, je trouve qu’il est temps de se faire comprendre. C’est ça que j’essaye de dire dans mes chansons. Il faut savoir se respecter et, si on n’y arrive pas, se dire bye-bye cordialement.
Le thème de la violence faite aux femmes, des féminicides, est dans l’actualité. Vous pourriez la dénoncer ?
A.N. : Bien sûr. Dans une chanson, pourquoi pas. Ou dans une campagne si on me le demande.
Vous êtes très sollicitée pour participer à des opérations destinées à défendre la cause des femmes ?
A.N. : Non, pas souvent. Je ne sais pas pourquoi… Je n’y suis pas opposée en tout cas.
Vous avez déjà été victime de racisme ?
A.N. : Non, jamais. Mais j’y suis très sensible quand même. Lorsque j’apprends que quelqu’un a été victime de racisme, c’est comme si c’était moi. Ça me choque qu’il y ait encore des racistes en 2021. Mais en fait, quand on regarde l’histoire, le racisme n’a pas d’âge.
Michelle Obama avait twerké sur une chanson de Beyonce, vous imagineriez Brigitte Macron twerker sur un morceau d’Aya Nakamura ?
A.N. : Ça ferait un peu bizarre mais pourquoi pas ! Ha ha ! La différence, c’est que Michelle Obama était copine de Beyonce, ça se justifie plus.
# EN CHIFFRES
- 3 albums dont Nakamura, vendu à plus de 1 million d’ex. dans le monde
- 2 milliards de vues sur sa page Youtube
- 9 singles certifiés dans 19 pays
- N° 1 aux Pays-Bas, une première depuis Édith Piaf en 1968 !
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