La nouvelle directrice Environnement de LVMH arrivée en janvier 2020 accomplit un parcours sans faute depuis ses débuts à l’Ifop en 1991. Portrait d’une dirigeante discrète mais engagée, qui réconcilie ambition et convictions.
Pour brosser le portrait d’Hélène Valade, mieux vaut savoir marier les contrastes. La nouvelle directrice Environnement du groupe LVMH fait, en effet, l’unanimité sur un trait de sa personnalité : une forme de dualité très appréciée de ceux qui l’ont côtoyée. Réputée pour sa rigueur, presque sa froideur lorsqu’elle est concentrée sur ses dossiers, l’ambitieuse quinqua surprend son entourage par son humour, voire une manière de bonhomie quand l’ambiance s’y prête. « Je me souviens de fous rires quand on se retrouvait tous les deux, tard le soir, au bureau, pour boucler un rapport d’études », confie Frédéric Dabi, DG adjoint de l’Ifop, où Hélène Valade a passé près de quinze ans comme chargée d’études puis responsable du département Opinion. Éric Ghebali, qui l’a connue chez Suez Environnement où il dirige le développement international, partage le constat. « Quand il nous arrivait de déjeuner ou quand je la croisais dans un cocktail, elle était détendue, sympa, dit-il. Cela m’étonnait un peu car dans les réunions, elle était hyper sérieuse. » Cette faculté à souffler le froid et le chaud transparaît d’ailleurs dans ses activités annexes puisque, parallèlement à ces postes à responsabilité qu’elle occupe depuis près de trente ans, elle laisse libre cours à sa fantaisie au fil d’une carrière de comédienne amateur au sein de la troupe Archicube dirigée par le journaliste Christophe Barbier.
Son goût pour le théâtre puise ses origines dans une solide formation artistique. « Je suis une littéraire qui apprécie les arts depuis longtemps, explique-t-elle. À l’adolescence, je pratiquais assidûment la danse classique et jouais de la harpe. » Sans négliger pour autant ses études puisqu’Hélène Valade est diplômée de Sciences Po Paris et titulaire d’un DEA d’histoire contemporaine. Le cursus idéal pour rejoindre un institut de sondage tel que l’Ifop, en 1991, où elle va s’investir entièrement. « J’adorais les études, assure-t-elle, mesurer l’opinion publique, décrypter les enjeux politiques. Ce métier m’a passionnée. » « Je n’imaginais pas qu’elle changerait un jour de secteur tellement elle était dans son élément », renchérit Fréderic Dabi.
Quand l’observatrice devient actrice
C’est au sein de l’Ifop puis lors de son passage à TNS Sofrès où elle dirige aussi le pôle Opinion que naît son intérêt pour les questions environnementales. Dans les années 90, nombre d’enquêtes montrent que ces sujets intéressent de plus en plus les Français. L’Ifop crée d’ailleurs le premier observatoire du développement durable. Une approche à laquelle elle n’est pas insensible et qui rejoint une autre de ses marottes, la collaboration entre le public et le privé. « Regardez d’ailleurs ce qui se passe en ce moment avec cette crise sanitaire, observe Hélène Valade. La coopération entre les deux secteurs est indispensable pour y faire face. » Et de donner l’exemple du groupe qu’elle a rejoint, LVMH, qui a soutenu l’action de l’État face à la pénurie en fabriquant du gel hydroalcoolique et en achetant plusieurs millions de masques.
Immergée dans ces nombreux thèmes environnementaux qui la captivent, l’observatrice de la société songe à en devenir une actrice. « J’ai proposé à plusieurs grandes entreprises de me recruter pour créer une direction du développement durable à une époque où ce métier n’était pas très répandu, se rappelle- t-elle. Gérard Mestrallet s’est montré intéressé. » Le célèbre patron l’embauche et la nomme à la Lyonnaise des eaux avant de la promouvoir directrice du développement durable au sein de Suez Environnement. « C’était un visionnaire. Il a très vite compris la nécessité de créer de nouveaux services pour réaliser des économies d’eau et d’énergie, quitte à aller contre son business à court terme. Au bout du compte, ces nouveaux services se sont avérés très rentables », s’enthousiasme Hélène Valade, qui devient alors une authentique militante de l’économie circulaire au sein de Suez. « J’ai, entre autres, incité le groupe à investir dans l’électrique pour les voitures de fonction », lance-t- elle avec une pointe de fierté dans la voix.
Au sein de cette grande entreprise, elle se distingue par une autre qualité. « Elle sait faire avancer ses dossiers sans nécessairement communiquer, se souvient Éric Ghebali. On voit tellement de gens qui parlent publiquement de projets qui n’aboutissent jamais… » Sa touche personnelle ? Aller sur le terrain pour s’imprégner des métiers qui concourent aux succès du groupe. « J’ai fait un stage ouvrier de quinze jours en Auvergne avec les personnels qui réparent les canalisations, se rappelle-t-elle. Parce que concevoir des politiques sans chercher à comprendre comment les métiers s’exercent concrètement, c’est risquer de passer à côté des vrais enjeux. » Une attitude empreinte d’humilité qui lui vaudra au passage le respect des équipes. Elle a renouvelé l’expérience au sein de LVMH peu après son arrivée en passant du temps dans un atelier Fendi, en Italie.
Un départ qui a surpris
Implantée dans une entreprise qui jouit d’une forte visibilité, elle contacte ses homologues pour constituer en 2007 un réseau innovant, le Collège des directeurs du développement durable dont elle prend la présidence. «J’aime mettre les gens en relation les uns avec les autres, affirme Hélène Valade. Ça permet un partage d’expérience enrichissant. » En 2015, elle entre au conseil d’administration de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) qu’elle préside depuis 2018, démontrant un sens politique qui ne se démentira pas tout au long de son parcours professionnel. Cette position institutionnelle lui permet de devenir une interlocutrice des pouvoirs publics.
Une référence dans son domaine, elle est chassée par un cabinet de recrutement qui agit pour le compte de LVMH en 2019. Après une rencontre décisive avec « ce grand capitaine d’industrie » qu’est Bernard Arnault, elle décide de quitter Suez, prenant de court ses nouveaux dirigeants qui l’avaient adoubée, à commencer par le directeur général, Bertrand Camus. « Elle avait été confirmée dans ses fonctions à un moment où il y a eu pas mal de départs, volontaires ou non, note Éric Ghebali, directeur du développement international. Son départ nous a donc étonnés. En même temps, je comprends la situation. Les enjeux environnementaux sont devenus majeurs pour tous les groupes importants. LVMH avait sans doute besoin de quelqu’un de très compétent et reconnu à ce poste. » De son côté, Hélène Valade est attirée par le milieu du luxe qu’elle connait mal, n’ayant étrangement jamais planché sur les problématiques de ce secteur particulier, pas même lorsqu’elle était dans les études. Attirée par quoi, précisément ? Par ces grandes marques qui font rêver des centaines de millions de femmes dans le monde ? Pas vraiment. Plus que le glamour, c’est la fibre culturelle du luxe qui vibre en elle. « Je quittais un milieu où l’on se préoccupait de l’essentiel car l’eau, c’est la vie, assure-t-elle, pour aller vers une autre forme d’essentiel. Le luxe, c’est l’art et donc, la civilisation. »
Quant à son terrain de jeu favori, le développement durable, elle se sent très à l’aise avec la vision d’un groupe qui promeut un capitalisme responsable. Son prédécesseur, resté en poste pendant près de trente ans, avait enclenché un cycle devant aboutir en 2020 à de meilleures performances en matière d’environnement : il lui appartient désormais d’imaginer un programme ambitieux pour les prochaines décennies. « Il est un peu tôt pour vous dire dans le détail ce que seront nos objectifs car je suis encore en phase d’observation, mais il est certain que les chantiers ne manqueront pas, confie-t-elle. La maroquinerie, les parfums ont des liens forts avec les ressources naturelles. On doit être capables d’associer la qualité des produits de luxe à leur qualité environnementale. » Dans une logique de capitalisme responsable comme on l’a vu, mais aussi pour muscler la stratégie commerciale des marques du groupe. « La jeune génération, il ne faut pas seulement la faire rêver pour la séduire, a-t-elle constaté. Elle demande à une marque d’avoir une utilité sociétale. Pour les consommateurs, la capacité d’une marque à être utile à la société est déterminante. »
En recrutant Hélène Valade, LVMH n’a pas seulement acquis les compétences d’une collaboratrice de renom, il a aussi embauché une dirigeante qui, derrière une apparence fluette, sait défendre ses convictions. Frédéric Dabi avait déjà remarqué à l’Ifop qu’elle pouvait monter au créneau pour soutenir un collègue en difficulté. « Elle détestait les injustices, dit-il, et elle était capable de se mouiller pour les autres. » Un courage et une générosité qui l’impressionnaient à l’époque. Aujourd’hui, elle ne ménage pas ses efforts pour promouvoir l’égalité hommes/ femmes. « Il y a autant de femmes que d’hommes sur la planète, martèle-t-elle, mais ça ne semble pas évident pour tout le monde. La construction des villes, par exemple, a souvent été pensée par des hommes. Elles deviennent plus vivables pour les hommes. Idem pour les transports publics. Il faut rééquilibrer les choses au sein des entreprises, notamment en matière de salaires et de responsabilités. »
Un message clair sans être militant qui caractérise parfaitement cette forte personnalité susceptible de s’engager un jour en politique, selon des proches. « Je la voyais plutôt s’orienter vers l’action publique que le secteur privé, avoue Frédéric Dabi. À l’époque où on bossait ensemble, on débattait beaucoup car j’étais à gauche et elle à droite. » Mais quand on interroge Hélène Valade sur cette possibilité, celle qui a longtemps admiré Jacques Chirac reste évasive. « Mes amis y pensent pour moi », glisse-t-elle.
Christophe Barbier, journaliste et comédien : « Hélène est à la fois une bosseuse et une rieuse »
L’éditorialiste de BFMTV a rencontré Hélène Valade il y’a vingt-cinq ans, lorsqu’elle dirigeait le pôle Politique de l’Ifop et lui, la rédaction de L’Express. Depuis 1998, ils font partie du théâtre de l’Archicube qu’il a créé en 1991 avec quelques amis normaliens. Répliques.
Racontez-nous les débuts au théâtre d’Hélène Valade…
CHRISTOPHE BARBIER : Je l’ai connue à l’Ifop dans les années 90. C’est elle qui m’a proposé de nous rejoindre ou en tout cas d’essayer. Elle a commencé en jouant dans Le Dindon, de Feydeau. Elle avait un rôle difficile car il fallait qu’elle prenne un accent anglais pendant toute la pièce.
Elle parvient à concilier sa vie professionnelle et cette passion pour la comédie qui est très chronophage ?
C.B. : Oui car c’est une grosse bosseuse. Cela occupe ses weekends, parfois ses soirées. Il faut apprendre les textes, participer aux répétitions et, bien sûr, aux représentations, et comme elle fait tout très sérieusement, elle tient à être irréprochable. Elle a dû faire une pause d’un an quand elle a changé de boulot.
Quel est son emploi au théâtre ?
C.B. : Elle est parfaite pour du Guitry. Elle me fait penser à Yvonne Printemps, une beauté froide, marmoréenne. Elle peut aussi bien jouer la jeune première qu’une fille très libre, impertinente, presque garçonne. Avec sa voix de soprano léger et son petit gabarit, elle est à son affaire quand on se produit dans des appartements où le public est tout près des comédiens. C’est aussi une rieuse qui sait faire rire.
Vous avez un souvenir de scène avec elle ?
C.B. : Plusieurs ! Mais c’est vrai qu’un soir, elle a fait un magnifique lapsus en disant « vieil érotique » au lieu de « vieil hérétique » ! On a tellement ri qu’on en a perdu le fil. Il nous a fallu improviser, elle a très bien meublé.
Pensez-vous que ce hobby lui a apporté quelque chose professionnellement ?
C.B. : C’est certain. Nous avons tous progressé dans la prise de parole publique grâce au théâtre.
Vous avez été surpris quand elle a rejoint LVMH?
C.B. : Non. Je connais un peu le monde du luxe car mon ex-épouse travaillait chez Hermès, et je suis certain qu’Hélène y sera très à l’aise. Car derrière les paillettes, il y a la compréhension de notre époque et la rationalité économique, deux domaines dans lesquels elle excelle. LVMH a senti la bascule sociétale, ils avaient besoin de quelqu’un d’aussi compétent qu’Hélène sur l’environnement.
Comment voyez-vous son avenir professionnel à long terme ?
C.B. : Elle serait idéale pour diriger une grande administration. Elle pourrait même faire une très bonne ministre de l’Environnement ! Mais en a-t- elle envie ?
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