Helena Wasserman est une femme pressée ou plutôt impatiente de faire évoluer le logiciel économique en matière de croissance verte et investissements responsables. L’ancienne lauréate du classement 30 Under 30 Europe de Forbes US, passée par la prestigieuse Fondation Clinton ainsi que l’accélérateur TechStars rapproche les family office, les fonds souverains, les grandes fortunes et les investisseurs en capital-risque en vue de déployer ses initiatives « Investors For Climate » et « Unstoppable ». Objectif : dépasser les intérêts spécifiques de chaque partie prenante afin de les faire converger sur la question climatique. Rencontre.
Pensez-vous encore possible de changer le monde ?
Helena Wasserman : Absolument. Je crois qu’il est possible de changer le monde. Je ne crois pas qu’une seule personne puisse renverser la table, mais je crois que tout à chacun peut être acteur du changement dès lors qu’il se sent concerné, déterminé et engagé sur le long terme. Vous avez besoin d’un calendrier d’au moins 20 ans pour créer un changement significatif. Par exemple, vous pouvez modifier une loi ou transformer une industrie. Regardez ce que Tesla a fait pour l’industrie automobile en moins de deux décennies… En 2020, soit dix-sept ans après ses débuts, Tesla devenait le leader (par capitalisation financière) sur le marché de l’automobile dépassant General Motors (fondé en 1908) et Ford (1903).
Pour y parvenir, il est nécessaire d’avoir une vision audacieuse du changement. Ma mission est de donner à un million d’entrepreneurs les moyens de lutter contre le changement climatique. Je veux me réveiller le jour de mon 100e anniversaire et avoir l’impression d’avoir tout donné !
Purifier l’air, l’eau, l’énergie et la nourriture pour que nous puissions tous prospérer sur la planète. J’y travaille avec persévérance et conviction. Une étude de Harvard sur le changement social a révélé qu’il suffit que 3,5 % de la population participe activement à des manifestations pacifiques pour garantir un basculement sérieux. Je crois fermement à la fois aux manifestations pacifiques et à la construction d’un système durable à travers l’entrepreneuriat. C’est pourquoi je soutiens les entrepreneurs qui luttent contre le changement climatique par le biais des entreprises.
Comment aidez-vous les porteurs de projets à pitcher face aux investisseurs et qu’est-ce qu’un dossier « solide » à vos yeux ? Une start-up française – par exemple – peut-elle accéder à votre programme Investors for Climate ?
Investors for Climate, une communauté que j’ai cofondée avec Christine Amour Levar, est un réseau agrégeant 200 investisseurs dans le monde. Avec Unstoppable, nous proposons un programme pour soutenir les fondateurs en phase de démarrage dans les domaines de l’énergie, de l’alimentation, de l’eau, de la biodiversité, des circuits durables et bien plus encore. Le programme est entièrement à distance, nous accueillons donc des profils du monde entier. Ils peuvent postuler sur notre site Internet sur la base de trois critères : premièrement, la règle dite « 100×100 », ce qui signifie qu’ils ont le potentiel d’atteindre 100 millions de dollars de revenus récurrents à forte marge et de réduire jusqu’à 100 millions de tonnes d’émissions de CO2e par an via leurs activités.
Ensuite ces entrepreneurs doivent élaborer une solution qui, selon nous, fera évoluer le statu quo, nous sommes donc fiers de leur donner une voix et une visibilité auprès de notre réseau d’investisseurs. Notre programme dure douze mois car nous souhaitons accompagner ces dirigeants sur le long terme. Notre feuille de route est axée sur la commercialisation et la collecte de fonds. Nous ne nous concentrons pas sur la technologie et les produits, mais plutôt sur le soutien aux fondateurs dans le financement et l’optimisation des ventes. Notre dispositif est conçu pour les profils en pré-amorçage et en amorçage. Tout au long du programme, ils clôturent généralement entre 400,000 et 1,5 million de dollars.
Les femmes fondatrices ou bien encore les dirigeantes évoluant dans la Nature Tech (les technologies ayant trait à la biodiversité), sont prioritaires dans notre programme.
Les femmes sont ultra minoritaires dans les levées de fonds, nous parlons de près de 2% d’argents collectés… C’est un immense chantier qui révèle une autre inégalité criante dans le business. Comment briser ce plafond de verre ?
Être entrepreneur est difficile, et être une femme entrepreneure l’est davantage. Il y a une réalité aujourd’hui dans le monde des affaires, celle de la persistance de biais, de préjugés attribués aux femmes. Dans l’écosystème, c’est la figure du mâle blanc qui parvient à conclure la majorité des deals commerciaux. Nous devons donc soutenir les femmes.
Ceci étant posé, nous avons créé le programme Unstoppable Women pensé pour accompagner les femmes fondatrices dans la Climate Tech. Dans le détail, nous nous concentrons sur la manière de lever des capitaux quand on est une femme, mais également sur les problèmes spécifiques qui limitent leurs potentiels, tels que la confiance en soi, le syndrome de l’imposteur, ainsi que la résilience émotionnelle nécessaire pour créer une startup.
En fait, ce qui est difficile dans le fait d’être entrepreneur, n’est finalement pas d’avoir une idée ou d’être dans un marché porteur. Ce qui est complexe, c’est de prendre des décisions rapides, de devoir constamment innover pour rester pertinent et d’avoir la résilience émotionnelle nécessaire pour continuer lorsqu’au quotidien vous vous heurtez plus souvent à un « non » qu’à un « oui ». Comment rester fort dans ce contexte et comment mobiliser efficacement des capitaux afin de pouvoir se concentrer sur le développement de son entreprise ?
Vous avez envie en outre de changer notre définition de la croissance. Comment réorienter nos économies pour réduire la production et la consommation en vue de limiter les dégâts sociaux et environnementaux ? Le concept de « décroissance » n’est-il pas utopique ?
Je ne crois pas à la décroissance. La transition écologique constitue une énorme opportunité financière, tout comme la construction de modèles économiques circulaires sans gaspillage. Par exemple, à New York, je loue mes vêtements sur Rent the Runway. Cette société a été cotée en bourse en 2021 et, aujourd’hui sa capitalisation boursière s’éleve à 81 millions de dollars. C’est ça la croissance.
Parmi les investisseurs qui s’intéressent aux technologies innovantes en matière de protection du climat, nous parlons de la stratégie d’investissement 100×100, ce qui signifie que nous voulons créer des entreprises qui ont le potentiel d’atteindre 100 millions de dollars de revenus récurrents à forte marge et d’éliminer 100 millions de tonnes d’émissions de CO2 par an. Moi-même en tant qu’investisseur, je ne me concentre pas sur l’investissement dans les licornes, je souhaite que les événements conjoncturels autour de la liquidité – via des fusions et acquisitions ou des introductions en bourse – restituent du capital aux investisseurs, mais cela ne peut pas être le seul critère gagnant. Au lieu de licornes, j’aime parler de la construction de « phénix ». Quand le seul objectif est de fonder une société pour qu’elle atteigne le milliard de dollars de valorisation (licorne), pour notre part, nous parlons de construire des phénix, soit des entreprises saines avec la règle des 100 x 100 décrite plus haut.
En conclusion, maximiser la valeur actionnariale comme seule finalité d’une entreprise n’a plus de sens pour moi. Bénéficier à quelques centaines d’actionnaires déjà riches au lieu de penser aux neuf milliards de personnes sur la planète qui n’ont donc pas accès à l’air pur non pollué et à la nourriture saine. Ce mode de pensée appartient au passé.
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