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Fleur Pellerin : « L’Europe a un vrai rôle à jouer dans l’IA, mais elle doit adopter une approche différente de celle des États-Unis et de la Chine »

Fleur Pellerin : « L’Europe a un vrai rôle à jouer dans l’IA, mais elle doit adopter une approche différente de celle des États-Unis et de la Chine »

Ancienne ministre et aujourd’hui à la tête du fonds Korelya Capital, Fleur Pellerin propose une analyse des dynamiques de la compétition mondiale autour de l’intelligence artificielle (IA). Si l’Europe accuse un retard face aux géants américains et chinois, elle dispose néanmoins d’atouts uniques pour se démarquer. Dans cet entretien, elle analyse les défis du financement, les stratégies différenciantes et l’importance d’une approche coordonnée pour donner naissance aux champions européens de demain.

 

Forbes France : Le Sommet pour l’Action sur l’IA se tenait cette semaine à Paris. Qu’attendez-vous de cet événement ?

Fleur Pellerin : Nous avons assisté ces derniers mois à des annonces fracassantes des États-Unis, notamment avec des investissements massifs de plusieurs centaines de milliards de dollars dans l’IA. Face à cela, il est essentiel que l’Europe propose une réponse coordonnée, à la fois sur le plan de la réglementation et de l’innovation. Sans cela, nous risquons d’être cantonnés à un rôle d’observateurs.


 

Où se situent les opportunités pour l’Europe dans cette course mondiale ?

F. P. : Les cartes sont en partie rebattues avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme DeepSeek. Cependant, cette compétition reste extrêmement capitalistique. Seuls ceux qui ont les poches les plus profondes peuvent suivre le rythme, en raison des coûts colossaux liés à la puissance de calcul. Lorsque l’on compare les montants investis aux États-Unis avec ceux engagés par la Commission européenne, l’écart est abyssal. De plus, le marché européen est fragmenté, ce qui limite nos leviers de financement.

Cela dit, nous avons des signaux encourageants : des start-up comme Mistral, Hugging Face, H ou Poolside, fondées par des Français formés chez les GAFAM, reviennent s’implanter en France. Ce phénomène existe aussi en Corée, où nous investissons via Korelya Capital dans des acteurs comme Rebellions, qui cherche à créer une alternative à Nvidia. L’Europe peut tirer parti de certains segments spécifiques de la chaîne de valeur et se différencier en travaillant sur des modèles d’IA appliqués à des cas d’usage précis, plutôt que de tenter de rivaliser frontalement avec OpenAI ou Anthropic.

 

Quelles sont les conditions pour qu’une start-up européenne devienne un géant de l’IA ?

F. P. : Le principal enjeu reste le financement. Nous devons mieux aligner les capitaux publics et privés pour augmenter les montants levés à chaque étape du développement des start-up. Aujourd’hui, les investisseurs sont très segmentés, avec peu de fonds prêts à prendre le risque d’investir en seed sur des montants significatifs. Aux États-Unis, l’écosystème du capital-risque s’est structuré en avance de phase. En France, au moment du lancement de Bpifrance en 2012 sous la présidence de François Hollande, cette industrie était encore peu mature. Depuis, nous avons fait des progrès considérables, notamment sur le late-stage VC, mais nous souffrons toujours de l’absence d’un Nasdaq européen.

L’Europe a pourtant des atouts : nous formons d’excellents ingénieurs en mathématiques et en IA, et nous disposons d’un bon niveau de financement de la R&D. Il manque toutefois des initiatives européennes d’envergure pour permettre un passage à l’échelle.

L’Europe a un vrai rôle à jouer dans l’IA, mais elle doit adopter une approche différente de celle des États-Unis et de la Chine. En misant sur des niches stratégiques et en renforçant ses capacités de financement, elle peut émerger comme un acteur incontournable de cette révolution technologique.

 

Comment Korelya Capital soutient-il cet écosystème ?

F. P. : Nous investissons dans des entreprises qui développent des cas d’usage concrets en IA, comme Synapse dont les algorithmes aident à la prescription médicamenteuse ou encore Kayrros, qui utilise l’IA pour mesurer en temps réel les fuites de méthane et prévoir l’offre et la demande de pétrole. Nous sommes également actifs dans la deeptech, avec des investissements dans Mistral ou dans des entreprises coréennes spécialisées dans le hardware, comme Rebellions que j’ai déjà évoquée.

Notre second fonds, doté de 260 millions d’euros, est actuellement à moitié investi, et nous poursuivons son déploiement en consolidant les ponts que nous créons entre l’Europe et l’Asie.

 

Les levées de fonds ont fortement chuté ces dernières années en France. Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs dans ce contexte ?

F. P. : Il est crucial d’être particulièrement attentif à la valorisation des start-up, à l’expérience et à la cohésion de l’équipe fondatrice, ainsi qu’à la capacité de monétisation du produit. La gestion du cash devient aussi une priorité : les entreprises doivent bien anticiper leurs besoins financiers et savoir à quelle échéance elles généreront des revenus.

 

Quels secteurs vous semblent les plus porteurs pour 2025 ?

F. P. : L’IA appliquée à la santé reste un domaine stratégique, notamment en raison des avancées en biotech et en analyse prédictive. La robotique et l’optimisation énergétique sont également des secteurs clés, tout comme le hardware, où l’Europe peut jouer un rôle.

 

Vous participerez le 27 mars prochain à l’événement de Forbes consacré aux femmes du monde de l’entreprise et de l’entrepreneuriat. Quel message souhaitez-vous transmettre ?

F. P. : Lorsqu’en 2012, j’étais au gouvernement, il y avait à peine de femmes dans le capital investissement. Cela évolue, mais le secteur reste encore très masculin. Des figures comme Fanny Picard, Marie-Christine Levet et Litzie Marek, ou encore Laurence Méhaignerie ont ouvert la voie, mais les biais cognitifs sont longs à disparaître. Il est impératif de continuer à promouvoir les femmes dans le capital-risque pour diversifier les approches et soutenir une innovation plus inclusive.

 


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