Si le dialogue et l’action entre les nations sont aujourd’hui indispensables pour répondre à l’urgence climatique, nos voisins du Benelux pourraient-ils être une source d’inspiration pour de futures réformes concernant l’environnement en France ?
« J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous », peut-on lire dans Laudato si’, l’encyclique environnementale du pape François. Alors qu’Élisabeth Borne vient récemment d’être nommée en France Ministre de la Transition écologique et solidaire, deux femmes tiennent une position similaire depuis déjà plusieurs années chez nos voisins du Benelux : d’une part, Marie-Christine Marghem, avocate en Belgique et d’autre part, Carole Dieschbourg, la doyenne européenne des Ministres de l’Environnement au Luxembourg. Si le dialogue et l’action entre les nations sont aujourd’hui indispensables pour répondre à l’urgence climatique, nos voisins du Benelux pourraient-ils être une source d’inspiration pour de futures réformes en France ?
Ce que la France pourrait apprendre de ses voisins du Benelux
Première particularité, la stabilité des ministres de l’environnement : respectivement 5 années pour la ministre belge et près de 6 ans pour son homologue luxembourgeoise. À titre de comparaison, la France a connu pas moins de 6 Ministres à ce poste depuis 2013
Du côté de la Belgique, le succès de l’éolien offshore. En 2020, la capacité en Mer du Nord devrait atteindre 2200 MGW, soit l’équivalent de la capacité installée de deux centrales nucléaires. L’éolien offshore est en effet deux fois plus productif que son équivalent onshore. La Belgique va aussi lancer une nouvelle plateforme – le Modular Offshore Grid – qui permettra de relier les différents parcs éoliens et d’amener l’électricité produite à terre. Ce développement éolien fait partie du plan d’accompagnement de sortie du nucléaire belge. La Belgique importe d’ailleurs encore aujourd’hui près de 20 % de son énergie de la France et des Pays-Bas. Mais cette dépendance énergique va décroître dans les prochaines années grâce à ces projets qui font de la Belgique le numéro 5 mondial en matière d’énergie renouvelable et d’interconnection électrique.
Du côté du Luxembourg, la clarté du plan énergie climat. D’ici 2030, le Grand-Duché ambitionne de réduire de 50 % à 55 % son empreinte énergique en prenant l’année 2005 en référence. En 2050, le pays devrait atteindre la neutralité écologique. Le secteur du transport est la priorité de l’actuel gouvernement, celui-ci représentant à lui seul 64 % des émissions totales de CO2 du pays. Pas moins de 200 000 frontaliers viennent en effet chaque jour au Luxembourg pour y travailler, soit environ 30% de la population totale. Mais le pays est prêt à prendre des mesures radicales : le Grand-Duché vient en effet d’annoncer pour 2020 la gratuité de tous les transports publics.
La Belgique et le Luxembourg. Deux pays qui collaborent étroitement, grâce notamment au Secrétariat Général du Benelux installé à Bruxelles depuis 1944. La Belgique, comme le Luxembourg, veulent aussi être pionniers dans la protection des océans. La Ministre Marghem a notamment signé un accord sectoriel avec l’association belgo-luxembourgeoise des producteurs et distributeurs de cosmétiques, détergents et produits d’entretien. Celui-ci prévoit qu’en 2020, l’ensemble des cosmétiques ne contiendra plus de microplastiques. Un bel exemple d’une coopération binationale efficace pour répondre à un problème écologique concret.
Carole Dieschbourg — Ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du Luxembourg
Questions aux deux Ministres de l’Écologie, Carole Dieschbourg, Ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du Luxembourg et Marie-Christine Marghem, Ministre fédérale belge de l’Énergie, de l’Environnement et du Développement durable.
Philippe Branche : Tout d’abord, Mesdames les Ministres, comment avez-vous survécu aussi longtemps à ce poste ?
Carole Dieschbourg : Je suis la doyenne européenne des ministres de l’Environnement et je n’avais pourtant pas prévu de devenir Ministre un jour. Je crois qu’il faut rester honnête, qu’il faut travailler avec passion. Il faut s’investir beaucoup pour mettre en place ce que l’on dit, je persévère, car j’aime beaucoup mon métier.
Marie-Christine Marghem : Je défends avec flamme mes convictions. La clef de la survie est selon moi d’avoir une excellente équipe. Je suis ministre depuis 2014. Nous avons subi de fréquentes attaques politiques et le poste de Ministre n’est pas une promenade de santé. Notre équipe gouvernemental est avant tout tournée vers les résultats, ce qui nous permet d’atteindre nos objectifs.
Votre rôle de Ministre en quelques mots ?
Carole Dieschbourg : Un ministre est un facilitateur, mais aussi un pilote. Il doit adopter une approche holistique qui intègre toutes les parties prenantes d’une négociation et synthétise les différentes opinions. Notre ministère répond à trois objectifs : la protection du climat, la préservation des ressources naturelles et enfin la limitation de la pollution. Selon moi, un ministre doit aujourd’hui également répondre aux attentes de la jeunesse et même les anticiper.
Marie-Christine Marghem : Mon ministère comprend lui aussi trois compétences : l’environnement, l’énergie, et le développement durable que j’appellerais la compétence mère. Nous avons choisi de mettre en œuvre les 17 objectifs onusiens de développement durable notamment en travaillant avec le monde associatif. Par ailleurs, la Belgique dispose d’une structure institutionnelle complexe avec un niveau fédéral et trois régions. Nous devons, dès lors, prendre en compte les différentes opinions politiques exprimées dans mes trois compétences à ces différents niveaux. Enfin, en tant que Ministre, je me dois de rester à l’écoute des citoyens afin d’anticiper et de mettre en place une transition énergétique efficace, juste et durable.
Comment collaborez-vous avec les autres ministres européens ?
Carole Dieschbourg : Un exemple parlera de lui-même. Le plus grand honneur a été pour moi la participation aux accords de Paris lorsque le Luxembourg avait la présidence du Conseil en 2015. Les Européens étaient unifiés. L’Europe parlait d’une seule voix et luttait à Paris contre le réchauffement climatique. C’était un moment magique que je n’oublierai jamais.
Marie-Christine Marghem : Nous collaborons au niveau européen de façon très efficace grâce à la Commission Européenne. Nous pouvons discuter et échanger sur les différentes bonnes pratiques pour mettre en place les guidelines européennes. A titre d’exemple, la Belgique prend beaucoup d’initiatives pour encourager les Green Bonds au niveau européen. Nous avons besoin de cette collaboration européenne, car les questions climatiques dépassent le seul cadre national.
Le fait d’être une femme est-il un avantage ? un inconvénient ?
Carole Dieschbourg : Ni l’un ni l’autre. Il y a encore peu de femmes à haut niveau dans les entreprises ou en politique. Il faut inviter les jeunes femmes à l’action, notamment en politique. Je crois que l’âge joue aussi beaucoup : j’ai eu la chance de devenir Ministre à 36 ans. Parfois l’apparence compte beaucoup, et dans ce sens, devenir une personne publique n’a pas été toujours facile.
Marie-Christine Marghem : Un avantage et un inconvénient. Je suis très fière d’être une femme. Et c’est un grand avantage, car je crois que nous avons une plus grande capacité d’ouverture sur le monde. Dans certains milieux professionnels, le fait d’être une femme peut parfois constituer un inconvénient. Je suis née avec un handicap physique et cette différence-ci s’ajoute à celle-là. Je m’efforce cependant toujours d’atteindre mes objectifs, sans chercher d’alibis.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes ?
Carole Dieschbourg : Je les inviterais à avoir le courage de réaliser leurs souhaits tout en ayant le courage de rester elles-mêmes.
Marie-Christine Marghem : Je les inviterais à aller jusqu’au bout de leurs convictions.
Carole Dieschbourg et S.A.R. le Grand-Duc Henri de Luxembourg lors de la COP24
Pour finir, quelle question aurais-je oubliée ?
Carole Dieschbourg : Pensez-vous que la finance a un rôle particulier à jouer pour l’écologie ?
Le Luxembourg est un véritable hub financier avec près de 50 % des obligations vertes européennes listées à la bourse du Luxembourg. Lancée en partenariat avec la Chine en 2019, une plateforme permettra bientôt de créer « un centre de négociation d’obligations vertes à vocation mondiale » au sein du Luxembourg Green Exchange (LGX) qui a été fondé en 2016. L’État a un rôle de derisking en se portant garant afin de porter des projets innovateurs. À titre d’exemple, notre International Climate Finance Accelator fait actuellement appel à projets, et pas seulement pour les Luxembourgeois. Le Luxembourg pourrait ainsi avoir une empreinte positive plus grande que le pays.
Marie-Christine Marghem : Que faites-vous au quotidien ?
J’essaie toujours de m’améliorer et de promouvoir, dans ma vie quotidienne, l’économie circulaire. Je vis entourée d’objets de récupération que j’ai chinés car j’apprécie particulièrement les objets qui ont une âme. Ce mode de vie est le fruit de mon éducation et de mes convictions. J’essaye de faire de ma vie le miroir de mon engagement.
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