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Diane De Selliers, Édition Au Singulier

Depuis 1992, la maison d’édition Diane de Selliers ne publie qu’un seul livre par an. Consacrés aux grands textes de la littérature et illustrés par des œuvres d’art, ils nous touchent par leur beauté et ravivent notre humanité. Les peintures, souvent inédites, sélectionnées après de vastes recherches à travers le monde, font la puissance et la singularité de la maison d’édition.

Rencontre avec Diane de Selliers, fondatrice des Éditions Diane de Selliers – membre du prestigieux Comité Colbert depuis 2009. 

Pourquoi avez-vous lancé une collection de livres d’art ?

Cette collection est née de la découverte d’une édition exceptionnelle des Fables de La Fontaine comprenant 275 gravures d’après des dessins de Jean-Baptiste Oudry illustrant les 245 fables de La Fontaine. Cette édition, mise en couleurs au XVIIIe siècle, se trouvait chez un libraire de livres anciens, près de la Grand-Place de Bruxelles. J’ai eu un coup de cœur pour cet ouvrage et j’ai voulu le partager avec le plus grand nombre de personnes. Je l’ai donc publié, dans une édition intégrale et contemporaine, dans ma maison d’édition, qui, à l’époque, démarrait. Cet ouvrage a remporté un très grand succès, et reste une de nos meilleures ventes. J’ai ensuite publié les Contes de La Fontaine avec les dessins de Fragonard, 60 dessins au lavis de bistre conservés au musée du Petit Palais à Paris, puis La Divine Comédie de Dante illustrée par Botticelli, une première. Trois ouvrages, trois succès. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’en faire une collection qui s’appelle « Les grands textes de la littérature illustrés par les plus grands peintres ».

Quelle est l’originalité de cette collection ? A quoi tient son succès ?

Cette collection présente, met en scène et révèle l’immense richesse de la littérature et des arts. Elle permet de mieux faire connaître de nombreuses œuvres essentielles à la connaissance universelle. Elle fait dialoguer les plus beaux textes de l’humanité, souvent méconnus, à travers des œuvres d’art.

Nos livres créent des liens entre la littérature et la peinture, le texte et son illustration : les images offrent un regard neuf sur un texte, elles permettent de l’interpréter, de le sublimer.

De même, la compréhension de l’image est souvent donnée grâce à la lecture. Je pense en particulier aux peintures des saints dont parle Jacques de Voragine dans La Légende Dorée ou aux héros de la mythologie racontés par Ovide dans ses Métamorphoses. Grâce aux récits, le lecteur reconnaît les personnages et distingue les attributs des saints et des héros. Les correspondances que nous créons éclairent et éveillent l’attention et l’imagination du lecteur.

Notre Maison donne également une vision plus large de l’œuvre à travers chaque ouvrage. Les textes, intégraux, sont enrichis de commentaires historiques, d’analyses, de notes et annexes. Ils donnent un éclairage très complet sur le contexte originel, l’histoire, la fortune de l’œuvre.

Cette collection donne du sens à nos vies car elle nous rapproche de ce qui constitue notre culture et notre identité. Elle célèbre la beauté qui nous entoure, grâce aux peintures, souvent hors de portée, confinées dans des musées ou des collections privées à travers le monde. Elle nous fait découvrir ou redécouvrir des textes fondateurs.

Pourquoi ne publiez-vous qu’un seul livre d’art par an ?

Nous avons fait le choix de ne publier qu’une seule nouveauté par an essentiellement pour deux raisons :

Le niveau d’engagement et de travail de chaque ouvrage est tel que nous avons besoin de temps, non seulement pour effectuer les recherches nécessaires, pour réaliser un livre le plus abouti possible, mais aussi pour le faire connaître et lui donner toutes ses chances de succès.

Chaque publication devient un événement éditorial et culturel à l’approche des fêtes de fin d’année. Nos lecteurs passionnés attendent chaque année avec impatience le nouveau titre à paraître. Nous lui donnons la plus grande visibilité. Et de nouveaux lecteurs découvrent avec bonheur notre collection.

 

Quelle est la place de la recherche dans le processus créatif d’un livre d’art ?

Chez nous, la recherche est l’une des étapes les plus importantes de la conception d’un livre d’art.

Elle repose sur deux axes majeurs :

– La qualité de l’ouvrage doit être parfaite. Notre attention porte sur la puissance des textes, la meilleure traduction à trouver, la reproduction des images, le choix du papier, la typographie, la mise en page, la reliure et le coffret. Chaque aspect du livre est étudié avec soin afin qu’il magnifie l’ensemble.

– La recherche iconographique fait partie de notre savoir-faire. Le processus est totalement intégré. Nous menons des investigations pendant plusieurs années. Nous parcourons le monde entier pour trouver et obtenir des illustrations inédites.

Ce travail minutieux est très souvent réalisé en collaboration avec de grands spécialistes. Ils garantissent à chaque livre une rigueur scientifique exemplaire. Les images doivent répondre à des critères de qualité mais aussi de rareté et de pertinence par rapport au texte qu’elles illustrent.

 

Quels sont vos plus grands succès ?

Parmi les meilleures ventes de la Maison, il y a le premier, Les Fables de Jean de La Fontaine dont je vous ai parlé plus haut, une fresque de la société de la fin du XVIIe siècle, ainsi que La Divine Comédie de Dante, à l’origine de la collection.

 

Mais aussi Le Dit du Genji de Murasaki Shikibu, le roman fondateur du Japon, écrit au Xe siècle, premier roman psychologique au monde. Les scènes de ce livre furent illustrées sur des rouleaux calligraphiés dès le XIIe siècle par les meilleurs artistes japonais, et sa fortune iconographique a perduré tout au long des siècles. Même aujourd’hui, nous retrouvons des bandes dessinées et des mangas illustrant la vie du prince Genji, un homme épris de pouvoir et de femmes. Nous l’avons présenté avec des peintures originales japonaises provenant de rouleaux, d’albums, de paravents, de kakemonos, réalisées entre le XIIe et le XVIIe siècle. Ce livre a été primé en France, mais aussi au Japon où il a reçu en 2007 la distinction du Ministère de la Culture, et en 2013 un prix spécial du Ministère des Affaires étrangères.

La publication la plus folle jamais entreprise par mes équipes a été le Râmâyana de Valmiki illustré par les miniatures indiennes. C’est l’un des textes phares de la civilisation hindoue, écrit environ 800 ans avant notre ère. Ce livre exceptionnel de 1700 pages en 7 volumes est illustré par 660 miniatures indiennes du XVIe au XIXe siècle. Il a exigé un travail de recherche colossal. Avec une infinie persévérance, une rencontre avec le Maharadjah de Jaipur nous a permis de retrouver les manuscrits royaux de l’empereur Akbar datant du XVIe siècle, à l’origine de la miniature indienne. Ils étaient inaccessibles depuis plus de quarante ans. Au total, une décennie a été consacrée à ce livre pour recenser plus de 5 000 miniatures illustrant le Râmâyana à travers les cinq continents. Nous avons ensuite fait un choix drastique pour ne garder que les plus belles et être au plus près du récit. Ensuite, nous les avons toutes archivées dans notre banque de données, grâce à l’Institut Diane de Selliers pour la recherche en histoire de l’art, un fond de dotation que nous avons créé pour promouvoir et diffuser le fruit de nos recherches.

 

Présentez-nous votre collection en quelques chiffres ?

La Collection comporte 27 titres à ce jour, textes fondateurs, textes de spiritualité, de mythologie, poésie, récits, romans, autant d’ouvrages de la littérature universelle. Nous travaillons actuellement sur 5 nouveaux ouvrages qui verront le jour dans les 5 années qui viennent. Et pensons au futur. Plus de 20 000 peintures dans des domaines très divers ont été identifiées, plus de 5 000 sélectionnées pour figurer dans nos ouvrages. Plus de 12 000 pages ont été composées, soit 48 millions de pages imprimées : nos tirages sont en moyenne de 4 000 exemplaires par titre. Environ 200 auteurs, traducteurs, contributeurs ont œuvré à la création de cette collection patrimoniale.

En 2007, nous avons créé la Petite Collection afin de perpétuer la Collection : le même ouvrage, un contenu identique, avec une maquette adaptée à un format plus petit, plus pratique, qui ressemble à un grand « livre de poche ». La Petite Collection est très appréciée ; souvent les libraires la présentent en rayonnage, exposant un grand nombre de titres, un peu comme ils présentent les ouvrages de la Pléiade.

L’année prochaine, en 2020, nous fêterons le vingtième titre de la Petite Collection. Parmi les meilleures ventes de cette collection, j’aimerais citer les Fleurs du Mal de Baudelaire illustrées par la peinture symbolique et décadente, ainsi que le Cantique des Oiseaux d’Attar, un long poème persan qui raconte le voyage de milliers d’oiseaux à la recherche de la Divinité, Simorgh. Pour y arriver, ils doivent traverser sept vallées où beaucoup se perdront et mourront : la vallée du Désir, de l’Amour, de la Connaissance, de la Plénitude, de l’Unicité, de la Perplexité, et enfin, celle du Dénuement et de l’Anéantissement. Un très beau texte de spiritualité, illustré et commenté de 200 peintures de l’Islam d’Orient.

Diane De Sellier

Nous avons aussi créé la Collection Textes en 2013 avec quelques joyaux comme Le Cantique des Cantiques, qui présente le plus célèbre chant amoureux en sept langues : l’hébreu, le grec et le latin, en regard de quatre traductions françaises, enrichi d’études, observations et commentaires qui offrent à une belle ouverture à la lecture de ce texte à la fois sacré et profane.

Également la biographie de Malek Jan Né’mati par Leili Anvar, La vie n’est pas courte, mais le temps est compté, vie et paroles de sagesse d’une femme du Kurdistan iranien, exemplaire, rayonnante de bonté et d’amour.

Quel est votre réseau de distribution ?

Les livres de la Collection ont un tirage limité entre 3000 et 4000 exemplaires avec un prix moyen de 200 euros pour les livres en un volume.

Dans la Petite Collection, le tirage de chaque livre est de 6000 exemplaires avec un prix compris entre 49 et 65 euros pour un volume.

S’il y a 20 ans, nous faisions 90% de nos ventes en librairie, aujourd’hui la moitié du chiffre d’affaires est réalisé en ventes directes.

Les ouvrages de notre Maison sont diffusés et distribués par Interforum, une filiale du groupe Éditis.  Ils assurent un service rapide et de qualité à l’ensemble de leurs points de vente en France et à l’étranger. Nous sommes distribués par ACC Distribution pour nos éditions en langue anglaise.

Il est intéressant de noter qu’Interforum met aujourd’hui un service personnalisé à la disposition de ses éditeurs avec l’impression des livres à la demande. Nous en avons profité pour le livre A la découverte du Dit du Genji de Murasaki Shikibu, un livre accompagnant la lecture du roman et de ses multiples facettes, personnages et péripéties. D’autres livres suivront le même processus de fabrication qui permet de ne pas immobiliser de la trésorerie pour des livres dont nous pensons que la vente sera restreinte ou lente.

Comment votre maison d’édition est-elle accueillie dans le monde culturel ?

Elle est très bien accueillie. La singularité et la qualité de nos ouvrages et de notre démarche sont salués dans les milieux culturels.  Le travail de notre Maison se distingue de l’édition traditionnelle par son souci d’exigence et d’excellence. Beaucoup de nos livres ont reçu des prix prestigieux qui contribuent à les faire connaître. Mon travail d’éditeur a été distingué lui aussi à plusieurs reprises : l’Académie des Beaux-Arts Cercle Montherlant m’a décerné le titre d’« éditeur de l’année » en 2013, et j’ai aussi reçu un prix comme « éditeur de l’année » par le Cercle de la Closerie des Lilas. J’ai été élevée au rang de Chevalier de la Légion d’honneur en 2007 et je suis Officier des Arts et Lettres depuis 2017.

Pour poursuivre sa mission, L’Institut Diane de Selliers pour la recherche en histoire de l’art a été fondé en 2012 dans le cadre de la législation sur les fonds de dotation. Son but est de faire connaître des œuvres « essentielles à la connaissance universelle de l’histoire de l’art » et de mettre une base de données iconographique à la disposition du public.

L’Institut archive plusieurs milliers d’illustrations de l’Antiquité à nos jours. Elles ont été collectées lors des recherches iconographiques faites par notre Maison. Elles sont issues de centaines de musées et bibliothèques, ainsi que de collections privées du monde entier.

L’Institut s’appuie sur des donateurs pour financer sa recherche et en partager les fruits. Les dons consentis donnent droit à une réduction d’impôt.

Le site web pour faire un don est : http://www.institutdianedeselliers.org/devenir-mecene/soutenir-linstitut/. Le Cercle des Amis de l’Institut bénéficie de conférences et visites privées en lien avec les œuvres d’art publiées et nous organisons pour eux des soirées privilèges.

Quels sont vos prochains projets ?

En 2022, à l’occasion de nos 30 ans, nous prévoyons d’organiser des rencontres rassemblant nos principaux auteurs autour des grands thèmes de l’humanité. Un livre sera édité et offert à l’occasion de cet anniversaire, qui mettra en avant les thèmes chers à la Maison.

Parallèlement, je prépare un livre qui racontera mon aventure entrepreneuriale consacrée à l’art et à la littérature. Il permettra aux lecteurs de découvrir le métier de l’édition qui m’a tant passionné.

En tant que femme entrepreneure, quelle est votre devise ?

On dit souvent que mes livres sont luxueux, eu égard à leur format, leur prix, la quantité d’images reproduites, leur qualité. Je pense que le vrai luxe à l’origine de ces ouvrages, c’est de leur donner du temps. Le temps et la persévérance pour réaliser de grandes œuvres.

Ma devise ? Aller au bout de ses idées, au bout de ses rêves ; tous les obstacles se franchissent ou se contournent, la passion et le sens ouvrent bien des portes.

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