Princesse Zazou, de son état civil Hania Zazoua, vous égaye de ses couleurs chatoyantes, ses effets d’optique sophistiqués et ses personnages folkloriques. Des œuvres qui se lisent comme un rébus de nos vies truffé de messages. L’artiste algérienne charismatique a émergé pour durer. Ses expositions attirent, interpellent, secouent sur les deux rives de la Méditerranée. Derrière ses créations ensoleillées, beaucoup de second degré et de messages sur nos sociétés tourmentées à décrypter. Dialogue avec la fondatrice de cet Ovni Brokk’Art, créateur d’objets oniriques.
Vous avez une audience grandissante à l’étranger, et en France notamment. Qui êtes-vous, Princesse Zazou ?
Princesse Zazou est mon nom d’artiste, mais à l’état civil je suis Hania Zazoua. J’ai choisi le pseudo de ‘Princesse’ tel un hommage au premier nom donné par mon père. Un choix certainement pas anodin. Ce surnom en dit long sur la place de la femme dans le cœur de cet homme algérien, aujourd’hui septuagénaire. J’ai en outre souhaité me réapproprier ce nom pour tordre le coup à un préjugé qui a la vie dure. Le terme ‘Prince’ revêt plusieurs significations, toujours nobles, comme celle d’un homme de grandes valeurs, le sauveur de ces dames et de ses sujets. A l’inverse, conjugué au féminin, le mot ‘Princesse’ a une consonance plutôt péjorative : on affuble de ce qualificatif certaines femmes qui auraient tendance à joueur aux divas, qui seraient imbuvables ! Très jeune, j’ai saisi cette subtilité dans les usages et j’ai souhaité me l’approprier pour revendiquer une autre dimension de ce même terme ‘Prince’, cette-fois au féminin.
Profusion de couleurs, graphisme énigmatique, détournements d’objets, féminité revendiquée… Vos œuvres sont un feu d’artifice optique ! Quelles sont les clefs pour décrypter votre univers ?
Mon univers est effectivement le plus souvent coloré. Ceci volontairement. Mais la couleur est un cheval de Troie ! Derrière cette construction et déconstruction d’images et de sens se nichent des strates complexes, des éléments de langages truffés de double-sens et de « kitch conscient » mis au service d’un art engagé qui questionne. J’use et j’abuse de différents médium sans toutefois m’attacher à l’une des techniques picturales. Je concède toutefois être sur fil – au sens propre et figuré – entre Art et Design. Le design, à travers la commercialisation d’accessoires fonctionnels, me permet surtout de financer mon activité de créatrice à Alger et d’exposer des artistes engagés.
Au-delà de l’esthétique résolument sophistiquée, du ‘beau’, il y a un état à dépasser. Si l’on observe de plus près mes œuvres, on peut croiser des mouches (depuis 2014 précisément)… ce qui surprend de prime abord. Ces insectes nous alertent sur le fait que, si tout a l’air de fonctionner, leur présence est néanmoins révélatrice d’un état en putréfaction dont on a fait le déni. Combien même nous voudrions détourner le regard, le processus de décomposition se poursuivra… On peut aussi croiser un lapin, alter ego du compagnon de Carol Lewiss dans ‘Alice aux pays des merveilles’. Il représente pour moi l’homme des médias d’aujourd’hui qui, pour certains, coure, coure d’une news à l’autre et qui, en définitive ne nous livre que des informations au conditionnel, aux vérités relatives et quelques fois sur-mesure !
On croise aussi beaucoup de personnages en habits traditionnels algériens et maghrébins, des personnages aux regards fardés par des poissons, des fleurs ou des lunettes décalées, que le public baptise les Algéroises, Kabyles, Chaouis, Oranaises (en référence aux costumes que je leur fait porter), alors que la plupart de ces personnages sont occidentaux, français ou anglais… Derrière ces visuels en trompe-l’œil, j’aime à démontrer qu’il est possible de faire dire ce que l’on veut à une image. De fait, j’invite le public à méditer sur le pouvoir et les dangers de la désinformation médiatique, les ‘Fake News’…
L’Algérie est votre principale toile de fond. Vous n’hésitez pas à porter des coups de griffes artistiques au pouvoir en place bousculé depuis un an par la mobilisation pacifique de vos concitoyens. On retrouve ainsi souvent le mot symbolique « Dégagez » inséré dans des bulles, ou encore le drapeau algérien déployé ici et là. Vos créations résolument irrévérencieuses nous interpellent. Quels sont vos messages ?
Mon quotidien, mon engagement citoyen et donc forcément l’Algérie, est une des toiles de fond de mon expression depuis plus de 14 ans. Un an après le début du « Hirak » (terme désignant la mobilisation citoyenne des Algériens), le pays reste certes toujours aux mains des mêmes dirigeants sauf qu’ils ont pleinement conscience que nous épions leurs faits et gestes, que nous les refusons et que nous avançons inexorablement vers notre Algérie rêvée. Une Algérie en marche vers la réussite et l’inclusion de tous. Nous devons allier nos forces, nos courages, nos intelligences, nos amours pour construire ensemble un pays qui nous reconnaîtra chacune et chacun et qui nous portera autant qu’on le portera.
Ce parfum de révolution de velours inspire le respect à travers le monde. Aujourd’hui, quel est le pouls de l’Algérie ?
La prise de conscience collective et le regain de dignité auront été notre butin dans cette guerre pacifique, pour la suite le chemin sera long, mais la persévérance, la déconstruction des schémas handicapant ne tenant pas compte de la diversité et de la mixité de la société sont nécessaires. Nous devons tenir compte de toutes et de tous, et surtout de tout âge, de la jeunesse évidement, sans toutefois nous défaire des aînés et de leurs expertises : le danger vient des usurpateurs et ont peut l’être à tout âge. Nous devons réinventer nos modes de construction d’avenir. l’Algérie est certes en crise mais la faillite politique est aujourd’hui mondiale et nous devons, tous, réviser nos manières d’être et nos coexistences.
Quels sont les mots qui vous ont le plus touchée lors d’expositions publiques ?
Souvent, ce ne sont pas des mots mais des yeux qui brillent, de l’étonnement ou de l’émotion. L’Ovni Brokk’Art donne à voir au public des pièces qu’il n’attendait pas et qui vont le toucher, le questionner. Ce dialogue artistique ouvre le champ des possibles pour une rencontre féconde.
Quelle est votre actualité cette année ?
J’expose actuellement à Alger avec d’autres artistes le fruit de notre œuvre « CO-ERRANCE » de Brokk’Art. Il s’agit d’une ‘flânerie consciente l’esprit alerte’, mais aussi une envie d’écriture et de témoignage de ce tumulte artistique contemporain algérien. Ceci pour tenter de ‘rendre plus audible’ non pas ce qui ne vas pas, mais les multiples choses qui vont bien et que le monde a oublié.
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