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CINÉMA | Trois femmes font leur cinéma

Le métier de producteur de cinéma est méconnu, davantage encore quand on l’accorde au féminin. Anne-Dominique Toussaint, Vanessa Djian et Pauline Seigland représentent trois générations de femmes qui tiennent un rôle grandissant dans le monde du 7e art, même si encore 80 % des films rentables sont réalisés par des hommes. Rencontres…

 

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Anne-Dominique Toussaint

ANNE-DOMINIQUE TOUSSAINT, 64 ANS /  LES FILMS DES TOURNELLES : 

Productrice de premier plan

« Les moments où l’on savoure vraiment un film sont finalement rares. » Productrice avec une filmographie à faire pâlir les professionnels du secteur, Anne-Dominique Toussaint sait de quoi elle parle. Depuis 1989, année de la création de sa société (Les Films des Tournelles), celle qui a quitté les bancs de l’université, à Bologne, pour se lancer dans le cinéma s’est taillée une solide réputation de productrice indépendante avec des films tels que Respiro d’Emanuele Crialese, Le Coût de la vie, Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay, qui dépassera le million d’entrées en France, le documentaire Retour à Kotelnitch d’Emmanuel Carrère, Caramel de Nadine Labaki, Les Beaux Gosses de Riad Sattouf et, très récemment, L’Innocent de Louis Garrel, César du meilleur scénario 2023.

 

« Dans les années 80, être une femme productrice était une idée complètement atypique », rappelle-t- elle. Avec une mère qui l’encourage, la jeune femme a pu compter sur le soutien moral de son mentor Ariel Zeitoun (le producteur du Grand Pardon et de La Banquière) dont elle fut deux ans l’assistante. « Il m’a fait faire toutes sortes de travaux qui me permettaient de comprendre le cinéma. Je devais m’occuper de la musique, des droits musicaux, de la promotion d’un film, de la gestion des comédiens… J’ai beaucoup appris. »

Vingt années ont passé et si les dix premières ont été difficiles, Anne-Dominique Toussaint a su s’imposer : « Quand au bout de dix ans, vous êtes toujours là, avec de beaux projets et une société saine, il y a quelque chose qui est ancré vis-à-vis des autres. »

 

En 2013, elle ouvre la Galerie cinéma dans le Marais, son quartier de prédilection, consacrée aux œuvres d’artistes issus de l’univers du cinéma, dans tous les champs de la création artistique (le dessin pour Charlotte Le Bon, la photographie pour Romain Duris…). « J’avais depuis très longtemps envie d’un lieu concret pour réunir des gens qui ont un lien avec le cinéma. C’est une relation différente avec des artistes avec lesquels je ne suis pas forcément en contact professionnel. Comme Cédric Klapisch, par exemple, qui se produit lui-même. »

Dernièrement, parce qu’aucune réalisatrice n’a été nommée dans la catégorie meilleure réalisation pour les César 2023, la productrice a fait savoir son indignation dans la presse. Membre de la Commission sur l’avance sur recettes du CNC, elle sait l’importance d’un cinéma qui reflète le monde réel dans sa diversité artistique. À la question sur la difficulté d’être une femme dans ce métier, elle répond : « C’est très important pour les filles d’être adoubées par un modèle, comme cela a été le cas avec ma mère qui était indépendante et qui m’a poussée. » Dernier conseil ? « Il m’a été donné par Ariel Zeitoun : le plus important est d’avoir un bon projet et un bon réalisateur, ce n’est pas de trouver de l’argent. Si tu es une bonne productrice, tu y arriveras. »

 

 

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Vanessa Djian

 

VANESSA DJIAN, 41 ANS / DAÏ DAÏ FILMS

Productrice engagée

« Si vous ne le faites pas avec moi, je le ferai toute seule. » En coproduisant Edmond d’Alexis Michalik, un film populaire sur une pièce mythique de notre histoire littéraire (Cyrano de Bergerac), Vanessa Djian était déterminée à convaincre Alain Goldman (Légende Films) de s’associer avec elle. Au fil de sa carrière, elle a franchi une étape déterminante avec ce projet cinématographique atypique.

Un parcours commencé il y a une quinzaine d’années, quand elle débute dans le cinéma, à la réalisation. Elle enchaîne les collaborations internationales prestigieuses avec Clint Eastwood, Christopher Nolan ou encore Luc Besson, avant de choisir de se sédentariser en se tournant vers la production. Biberonnée au cinéma américain indépendant, elle apporte sa double culture en intégrant Légende Films : « Je me tenais au courant de tout ce qui se montait en France comme à l’étranger. Stand-up, court métrage, livres, BD, etc. Je me découvrais une vraie passion pour dénicher l’histoire, le talent, le livre ou la pièce qui me ferait vibrer en tant que spectatrice. »

 

Après trois années ponctuées de beaux succès (Les Gamins, La French, la Folle Histoire de Max et Léon du Palmashow…), la jeune femme se lance enfin : elle monte deux sociétés (Daï Daï Films et Rosemonde Films). « Produire est un mille-feuille de problèmes à résoudre, qui vont du développement à la sortie du film, mais je voulais développer mon activité, me jeter dans le grand bain. » Celle qui s’est imposée parmi les productrices importantes (Nevada de Laure de Clermont-Tonnerre, Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé…) est bien placée pour constater que la place des femmes y est encore minoritaire. Convaincue que le réseau peut faire bouger les lignes, elle cofonde avec Karolyne Leibovici le club Girls Support Girls, qui réunit les femmes du cinéma, des métiers de la création au financement : « Nous sommes en train de constituer un fonds pour accompagner les projets et les films qui naissent de ces rencontres et nous paraissent ambitieux. » Une initiative qui prouve que la sororité au cinéma peut être très féconde avec, en phase de réflexion, un prix de « femme de l’année » à venir.

 

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Pauline Seigland

 

PAULINE SEIGLAND, 35 ANS / FILMS GRAND HUIT

Productrice multiple

« Je n’ai pas vocation à faire du divertissement. Nous produisons des films qui sont vraiment très différents, assez politiques parce qu’ils racontent le monde. » Jeune productrice césarisée à deux reprises pour Les Mauvais Garçons (meilleur court métrage) et Maalbeek (meilleur court métrage documentaire), Pauline Seigland a cofondé avec Lionel Massol sa société Films Grand Huit (2015). Depuis sa sortie des Gobelins jusqu’au poste de directrice de production pour Christophe Honoré mais aussi Agnès Varda, en passant par le secrétariat, Pauline Seigland a gravi tous les échelons du cinéma en s’impliquant artistiquement dans ses projets. Elle produit aujourd’hui en priorité les longs métrages des réalisateurs avec lesquels elle a déjà fait des courts métrages : « On développe des histoires sur une idée, on finance le film, on le tourne, puis ensuite on le fait vivre le plus possible dans les salles et les festivals. Et on le vend à l’international : c’est la ronde ininterrompue d’un travail avec plusieurs projets en simultané. » Trois autres longs métrages sont en effet en gestation.

 

Si les femmes de sa génération viennent enfin grossir les rangs des productrices, elles se bousculent moins dans les projets avec des enjeux financiers importants. « Plus les budgets augmentent, moins il y a de femmes présentes aux postes à responsabilités : devant, derrière la caméra et aux manettes », explique la jeune femme également membre du conseil d’administration du collectif 50/50.  « Les femmes ont besoin de modèle. » À l’instar d’Agnès Varda pour qui cette dernière a travaillé (Ciné Tamaris) : « On connait la femme réalisatrice mais moins la productrice, alors qu’Agnès Varda était aussi une véritable femme d’affaires quand il s’agissait de négocier les droits de ses films aux États-Unis. Elle m’a donné un conseil qui m’a été très précieux : on ne sait jamais comment faire un succès. Par rapport aux professionnels expérimentés, les jeunes débutants ont l’insouciance, la naïveté, qui leur donnent une force qui leur fait emprunter des chemins nouveaux. »

 

 

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