Il en faut du courage pour arpenter les rues de Paris et ses métros lorsque l’on est une working girl à talons ! Inconfortable et douloureux, les chaussures pour femmes peuvent être des bijoux empoisonnés, et ça, Lorraine Archambeaud l’a bien compris. Pour répondre aux attentes réelles des femmes concernant les chaussures à talons, la fondatrice de Bettina Vermillon a choisi d’innover dans le secteur en proposant des talons aluminium.
F- Lorraine Archambeaud, vous êtes la fondatrice de Bettina Vermillon, mais créatrice de chaussures n’était pas votre premier métier…
Lorraine Archambeaud – J’ai une particularité dans le sens où je suis designer meubles de formation, j’ai fait les Arts Déco. J’ai travaillé ensuite pour plusieurs marques, notamment Courrèges pendant 10 ans où j’ai me suis occupée de dessiner, de développer tout ce qui est accessoire dur c’est-à-dire les montres, les lunettes et les bijoux. Tout ce qui est cosmétique et notamment les souliers chez Courrèges. J’ai quitté Courrèges en 2010, juste avant que la maison ne soit rachetée. Et pour le projet de Bettina, je suis retournée à l’école où j’ai fait un BTS en accéléré, pour apprendre à fabriquer des souliers.
J’ai une approche de l’objet qui est extrêmement liée à son utilisation, j’estime que le soulier n’est pas qu’un accessoire de mode mais avant tout un accessoire de vie dans lequel on nous demande de courir, de marcher, de sauter, de danser, de séduire et donc je me devais d’apporter quelque chose de particulièrement innovant au niveau du talon à partir du moment où je choisissais ce support de création.
Et c’est ce que j’ai eu envie d’apporter avec l’aluminium, l’aluminium aéronautique, qui est une matière extrêmement dense, solide et en même temps extrêmement légère et qui permet évidemment, de par le fait qu’elle soit usinée, énormément de designs différents. Aucune marque ne s’était réellement posé la question de la nécessité, de la fonctionnalité, et surtout de la solidité et stabilité du talon. Donc ça a été mon point de départ avec la marque.
F- Avez-vous trouvé facilement des partenaires pour créer ces talons en aluminium ?
LA- J’ai trouvé un partenaire de fabrication en France qui est un sous-traitant de Dassault et qui fait des pièces de Formule 1. C’est lui qui a vraiment usiné le premier Talon Facett que vous pouvez trouver sur notre site. Et très vite les choses se sont très bien réalisées, et je me suis dit qu’il y avait quelque chose à creuser. Les talons sont envoyés en Italie dans la région de Milan pour la partie coloration de l’aluminium qui permet de protéger l’aluminium de la corrosion et de l’humidité pour éviter qu’il « n’évolue ».
Ce ne sont pas simplement des fabricants mais plutôt des partenaires de fabrication. Un projet comme celui-là, il faut le comprendre, l’épouser parce qu’on apporte une nouveauté, une innovation. Le fabricant doit s’adapter. Par exemple, mon fabricant italien a accepté que toute la mise au point soit réalisée en France, et qu’il ne reçoive que les talons à monter derrière avec toute la fabrication de la tige.
Entre moi et Bettina, le cœur c’est vraiment d’avoir eu la possibilité, dès le départ, de m’appuyer sur de vrais partenaires qui sont les mêmes depuis le départ. Je travaille donc avec eux. Ça, c’est très fort. Là où d’autres marques peuvent avoir des problèmes de fabrication où elles doivent changer ; où la mise au point n’est pas bonne, la durabilité de la qualité n’est pas là, les minima sont énormes… Là, il y a véritablement un coup de foudre entre la marque et ses partenaires. Il y a moi évidemment, il y a une relation de confiance, de respect, mais avant tout, je pense que ça les a titillés un peu au niveau du talon et ils ont eu envie d’aller plus loin.
F- En tant que designer, vous avez une approche différente dans la création ?
LA- En effet, j’ai cette approche très « objet », très utilisation. On est une marque de « real life ». Plus je travaille sur le soulier à talon, plus je me rends compte encore plus aujourd’hui avec ce mouvement d’awareness, d’empowerment, de MeeToo etc, que les femmes ont une chance de pouvoir en dire beaucoup avec un accessoire là où l’homme le fait mais pas du tout de manière aussi forte.
C’est vrai que l’histoire de Bettina est partie avant tout du produit. Donc j’ai une attitude vis-à-vis de cette marque où je me mets au service des inspirations, des femmes d’aujourd’hui. Je me mets au service de ce qu’on nous demande aujourd’hui en tant que femme, ce rythme effréné, cette attitude parfaite qu’on doit avoir absolument partout. La stabilité était quelque chose d’extrêmement important. Et c’est vrai qu’avec les talons en aluminium, là où on était un peu en vibration, en retenue permanente avec des talons en plastique, avec le talon en aluminium on retrouve de l’aisance. On se sent correctement, reposées, soutenues, accompagnées.
F- Par rapport à une paire de talon en plastique, le coût d’un talon en aluminium diffère ?
LA- Oui, ça n’a rien à voir. Mais c’est l’histoire. Ça fait partie de l’esprit de la marque, de son ADN. J’y crois énormément, je fais tous les modèles en 39 pour que je puisse les porter tout de suite. Je suis une femme, je vis en talon. Mais pas que. Donc tout ce que j’enfile, je vois, je vis avec, je les porte, je les soumets à mon rythme en prenant le train, le métro, en faisant des shootings en talons, etc.
Je les fais vivre à mon pied avant d’être sûre de pouvoir les lancer. Ce qui m’a plu c’est la complexité de l’objet, de cette contrainte de la force, de la cambrure, de la pointure du 35 au 42 en demi pointures. De toute la coordination de ces différents fabricants : il y a du 2D, de la 3D. Il y a du cuir, de l’acier, de l’aluminium. C’est de la matière naturelle, il y a énormément de contraintes, il y a trois semelles. Il y a toute cette sous-traitance qui permet la réalisation d’une paire de soulier. Il y en a 15.
Tout ça donne un côté assez mystérieux à la réalisation de souliers. On se demande réellement comment c’est réalisé, et moi je sais de quoi je parle. Je sais les faire, je pense que ça se voit et en plus je suis une femme, donc je sais de quoi je parle.
F- Vous êtes une jeune marque, comment se sont passés vos débuts ?
LA- J’ai réalisé la première collection BANDITA qui est inspirée de Tom Dixon, le designer. J’ai commencé à faire des show-rooms, à présenter pendant les fashion weeks. Et c’est très long, il faut que les personnes viennent, qu’ils aient envie parce que nous sommes une jeune marque. J’avais cette collection showroom chez moi et ce sont des amies qui m’ont dit « tu sais, essaie de lancer une prod’, et puis on sera là. Tout ça nous plait. On en a envie ».
En 3 ans on a énormément testé de manière très directe, vis-à-vis de nos clientes, les modèle les collections parce qu’on a fait 27 pop-up en 3 ans et demi. Il fallait que je confronte tout de suite le modèle à des clientes en direct et voir les réactions qu’elles pouvaient avoir d’inquiétude ou non, d’être rassurées ou pas.
Quand on voit des réactions aussi directement, ça apprend beaucoup. Quand on lance une marque, on ne sait jamais quelle tête vont avoir nos clients. Donc c’est très intéressant. Et ça a été les premières expériences de vente. Et maintenant, on ouvre le « wall sell » de manière ciblée à certains points de vente et au fur et à mesure on va développer la marque. Mais c’est vrai que le début a été très intéressant.
F- Vous proposez actuellement une toute nouvelle expérience au Bon Marché ?
LA- Nous sommes au Bon Marché dans le cadre d’une exposition qui s’appelle « Geek mais chic », qui est un peu une crazythèque digitale d’expérience que présente le Bon Marché via 80 marques. On est présent jusqu’au 22 avril avec la « collection particulière » où on propose à nos clientes de choisir leur design de talon, leur hauteur et leur couleur en live, devant nous. Ensuite on monte les talons devant elles et elles repartent tout de suite avec. Ce n’est pas une précommande, ce n’est pas quelque chose qui sera livré dans 6 semaines, c’est maintenant. Là aussi j’ai eu envie de garder ce côté, « craquage de l’instant », l’envie du moment, qu’est-ce qu’on peut respecter. Comment respecter cette envie-là. Et ça personne ne le fait. Le montage en live d’un talon sur une paire, personne ne le fait.
F – C’est une sacré expérience !
LA- Oui, c’est intéressant. Tout de suite, elles ont envie de prendre plusieurs talons, elles ont envie de jouer avec. C’est assez intéressant et on apprend beaucoup.
F- Et vous pensez lancer ça en dehors de l’exposition ?
LA- Mais bien sûr, parce que pour nous c’est une vraie nouvelle collection, qui est présentée à l’étage Bettina, et puis le BM est venu nous voir pour cette collection-là. Mais en revanche, on présente au Bon Marché la collection saisonnière de cet été, La Piuma, et on présente aussi l’iconique qui correspond un peu à nos carry-over, à nos reconduits. On a le Pixel, le Zebra. Mais c’est vrai que c’est une personnalisation qui est unique, c’est un peu révolutionnaire.
Et je voulais qu’elle puisse rentrer dans cette intimité, de ce soulier qui est un objet mystérieux. Et au final, c’est également la mienne, lorsqu’on voit comment on monte le talon. Et là depuis samedi ça marche très bien, le Bon Marché est très content
F- Est-ce que vous pouvez nous parler de votre nouvelle collection Piuma ?
LA- La collection Hiver s’appelle Second Skin. Le travail était de jouer sur cette espèce de double peau entre une première tige soit à base de cuir très souple soit à base de velours par exemple, et par dessus, une seconde peau qui est travaillée avec des matières plus lisses, avec une coupe franche, pas forcément de piqûres. Il y a ce double jeu : deux tiges, deux peaux qui viennent l’une sur l’autre.
Et la grande nouveauté pour cette collection, ce sont des talons qui sont bicolores. Donc on a une ligne d’un talon et on a rajouté une bague de couleur différente. Ça encore, c’est nouveau !
F- Des nouveautés, il y en aura pour 2019 ?
LA- On a le projet de proposer la collection d’essayage à domicile via un coffret connecté. Sur le site de Bettina, vous pourrez choisir une paire, et en fait, d’office, la marque vous envoie 3 paires. La demi pointure au-dessous, le demi pointure au-dessus. Donc vous avez la possibilité via Stuart, donc via un réseau de livraison à domicile très rapide, et pas dans 3 mois, 3 semaines, ni prise de rendez-vous. C’est votre moment d’essayage, c’est le moment d’essayage en couple, entre copines, au bureau.
L’avantage, c’est que pour le soulier on n’a pas besoin de cabines, on peut l’essayer partout. C’est un peu le coffret de Cendrillon 2.0 qui arrive chez vous, et enfin vous renvoyez ce que vous voulez. Il y a la partie expérience de l’essayage et la partie craquage, vous prenez la paire qui vous convient. On projette de faire ça courant 2019.
F- C’est un gros projet digital !
LA – Concernant le digital, on veut clairement devenir la marque de soulier à talon digitale avec un développement international et où le client est au centre du développement, de nos expériences. On a énormément à apprendre de nos clientes lorsqu’on veut vendre des souliers à talon de toute manière. Il se passe tellement de chose que c’est normal.
F- Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux « Woman Boss » en devenir qui lisent Forbes ?
LA – Je suis persuadée que toute personne a évidemment un talent. Il faut juste le révéler. Ne pas se dire qu’on n’en a pas. C’est quelque chose que j’ai souvent entendu aux Arts Décoratifs. Tout le monde a du talent, il faut juste qu’il se révèle. Il faut provoquer le terrain pour qu’il puisse se révéler. Et il faut aussi s’écouter pas mal. Et ce qu’on dit souvent c’est « Osons !», il faut oser le faire. Ce n’est pas donné à tout le monde de prendre des risques, de porter des projets comme par exemple celui-là, mais il y en a plein d’autres. Parce que là, c’est une cohérence avec la personnalité. Et je pense que lorsqu’on a ce côté entrepreneur, on a vraiment ce côté un peu « tête brûlée » où on y va, on y croit.
Quand on est entrepreneur, il faut oser. Lles femmes aujourd’hui se mettent moins en valeur. La preuve en est, je me suis même cachée derrière un autre nom, Bettina Vermillon, je n’ai pas donné mon nom parce que j’estime que c’est quand même assez énorme de se dire « la nouvelle collection Hiver de Lorraine Archambeaud est moche » c’est compliqué à gérer. On a énormément de nouveaux sujets qui n’existent pas aujourd’hui sur le marché et il faut aimer innover à tout point de vue.
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