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Women in Africa | Aude De Thuin, ses colères, son action en faveur des femmes

Entrepreneure, self made woman, Aude de Thuin est engagée dans la reconnaissance de la place des femmes dans la société, combat qu’elle a concrétisé en créant le Women’s Forum for the Economy and Society. Elle invite les femmes à s’affranchir des modèles anciens pour assumer leurs ambitions et démontre que la mixité est un facteur de progrès et une nécessité pour l’avenir. Aujourd’hui, elle est présidente de Women in Africa, une initiative dédiée aux femmes africaines.

D’après vous, la place de la femme dans l’entrepreneuriat a-t-elle changé au cours des dernières années ?

AUDE DE THUIN : Oui. Ce n’est pas seulement lié aux femmes. Il y a depuis cinq à dix ans une grande attractivité de l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, de nombreux étudiants qui sortent des grandes écoles choisissent d’être entrepreneurs. Les femmes ont été un peu moins rapides parce qu’elles sont toujours dans leur propre biais qui les retient. Elles ont moins confiance en elles, il leur a fallu plus de temps pour se diriger vers l’entrepreneuriat parce que le monde dans lequel nous sommes n’est pas si favorable que ça aux femmes, contrairement à ce que l’on dit. Les femmes hésitent plus à se lancer. Souvent, quand
une femme lance une société, c’est parce qu’elle a le sentiment que son projet va faire la différence. Elles se lancent généralement dans des entreprises dites féminines, dans la communication, la mode ou liées aux enfants, ce qui n’est pas considéré comme de la véritable économie dans le regard des hommes. Mais les choses ont évolué, il y a un mouvement de société qui se traduit par l’envie de se lancer et de lancer sa propre entreprise. Un changement psychologique énorme.

Comment avez-vous fondé Women in Africa et pour quelle raison ?

A.D.T. : Des femmes africaines sont venues me chercher. Beaucoup venaient au Women’s Forum et elles m’ont sollicitée pendant quatre ans. Elles avaient besoin de ma folie créative et de mon engagement à l’égard des femmes. Je pense qu’elles ont d’abord cherché en Afrique si quelqu’un pouvait le faire. Mais il se trouve que j’étais la première au monde à avoir créé un forum de cette envergure. Elles sont venues chercher chez moi trois choses : mon engagement à l’égard des femmes, elles savaient que ma colère n’avait pas faibli et que je trouvais ce monde totalement hypocrite. Deuxième chose, elles avaient besoin
d’être connectées au monde pour que l’on prenne conscience de leur puissance créative. Elles voulaient que je lance quelque chose qui soit connu dans le monde entier, ce que j’ai fait. Et la troisième, c’est parce qu’elles pensaient que c’était un projet pour moi. J’ai beaucoup analysé les raisons pour
lesquelles, moi femme blanche, j’allais lancer cette initiative. Enfin, quand je suis allée en Afrique et
que je suis revenue en France, je me suis dit que j’avais raison de le faire.

Un projet comme Women in Africa n’existait pas, alors vous l’avez fait, avez-vous expliqué dans votre livre. Peut-on vous considérer comme une avant-gardiste ?

A.D.T. : Oui, dans tout ce que j’ai fait dans ma vie. C’est ce qu’on dit de moi. J’ai une différence, je ne me contente pas de dire, je fais. Quand je lance quelque chose, quand j’ai une idée, je la réalise. Je construis, je prends des risques. Je suis née avec des idées et une énergie. J’ai souvent considéré que c’était un fardeau à porter jusqu’au jour où j’ai compris que c’était une chance formidable.

 

Vous expliquez dans votre livre que c’est dans la peur que vous y arrivez. Est-ce que ça a été le cas pour Women in Africa ?

A.D.T. : Oui et j’ai eu raison d’avoir peur. Au départ, je devais avoir une vice-présidente à mes côtés, et dès que j’ai lancé l’opération, elle m’a lâchée, car elle avait reçu des pressions. J’ai compris que ce serait difficile. Ça a été le cas avec une deuxième femme qui a elle aussi reçu des pressions, mais les choses étaient lancées donc je suis allée jusqu’au bout. Et trois ans après, on m’a accusée de faire du colonialisme et de l’ingérence. J’ai subi des attaques très fortes et c’est à ce moment-là que j’ai présidente de mon groupe. Je ne pouvais pas faire marche arrière, car j’avais engagé de l’argent. Je me suis posé la question d’arrêter tellement les pressions étaient fortes, j’ai bien fait de ne pas céder.

Vous avez été à l’origine d’immenses succès, notamment le Women’s Forum for the Economy and Society. Quelle est votre secret ?

A.D.T. : En grandissant, j’ai compris que j’étais forte, mais extrêmement fragile. Je donne une image de quelqu’un de fort, de quelqu’un à qui tout réussit, car les médias ont aussi donné ça et je l’ai cherché, mais en réalité, j’ai construit dans la difficulté, dans la douleur, dans des efforts énormes. J’ai eu des échecs, j’ai fait un burn out. On peut être fort avec beaucoup de fragilités, d’émotions et des doutes et réussir.

Vous avez été récompensée par Forbes comme étant l’une des femmes les plus inspirantes. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

A.D.T. : C’est toujours un honneur d’être reconnue comme quelqu’un qui agit. J’ai pris ça comme un cadeau et un encouragement.

Votre ouvrage Changer le monde par les femmes est une invitation à mieux vous connaître, mieux vous comprendre. Sonne-til aussi comme un cri d’alerte, une nécessité de changer ce monde ?

A.D.T. : Le Covid-19 a eu un impact désastreux sur les femmes. J’ai beaucoup travaillé sur le phénomène de la salle à manger, c’est-à-dire que dans la plupart des maisons, il n’y a pas de bureau, les hommes travaillaient sur la table de la salle à manger et les femmes dans la chambre ou dans la cuisine et elles se sont occupées majoritairement des enfants, du ménage, de la cuisine en plus de faire leur job. Elles ont été pénalisées et sont sorties de la crise complètement épuisées. J’en connais même plusieurs qui ont fait des burn out et qui ont eu envie de changer de vie. J’ai constaté aussi parallèlement que la numérisation du monde s’est accélérée pendant le Covid-19. Or, qui dit digital, intelligence artificielle, dit homme, car 90 % de l’intelligence artificielle est entre les mains des hommes, et donc j’ai fait ce double constat que les femmes étaient pénalisées par ce changement du monde qu’a provoqué le Covid-19. Elles n’étaient
plus dans le monde d’aujourd’hui et j’ai considéré à ce moment, qu’il y avait une urgence. J’ai accepté
ce livre comme une nécessité de prendre en compte les femmes dans la construction du monde de demain.

Qu’est-ce que vous diriez à la jeune Aude qui débarque à Paris et qui deviendra peu à peu une grande femme d’affaires ?

A.D.T. : Je lui dirais de garder sa fragilité. Il faut rester ce qu’on est profondément et en même
temps développer ses forces, car ce monde est très dur pour les femmes. Il faut avoir peu d’illusions,
il faut s’appuyer sur les autres. J’ai eu la chance d’avoir des soutiens indéfectibles. Il faut conserver
ses valeurs, son éthique personnelle. Enfin, il faut écouter ses émotions et ses intuitions.

Quel est l’état d’esprit d’Aude de Thuin aujourd’hui ?

A.D.T. : Très bon, parce que j’ai créé une nouvelle entreprise pour les femmes en plus du Women in Africa. Nous sommes en train de lancer avec trois associés, dont Angélique Gérard, une initiative mondiale destinée aux jeunes femmes afin de les amener dans les métiers de demain, car 80 % des métiers d’aujourd’hui vont disparaître dans les dix prochaines années et la plupart concernent les femmes. J’ai ressenti une très grosse colère quand j’ai observé cela. C’était à la sortie du Covid et j’ai eu cette idée de créer quelque chose pour amener les filles à partir de 12 ans à penser qu’elles ont un rôle à jouer dans ce monde à travers les métiers de demain. Sinon, ce sera un monde catastrophique et de nouveau construit par les hommes. Ce projet s’intitule pour l’instant « Just Look Up ». Nous ferons un forum mondial en mars 2023 à Paris. On lancera une académie de formation, ainsi qu’une plateforme
de recrutement. J’ai commencé ma carrière en faisant les choses seules, maintenant, je la termine
en faisant avec les autres.

Quelle femme vous inspire particulièrement ?

A.D.T. : Je suis très inspirée par les grandes femmes qui n’avaient peur de rien, des femmes qui sont des pionnières, comme Simone Veil, Marie Curie, l’aventurière Alexandra David-Néel. Je lis beaucoup de biographies de femmes qui ont entrepris avant les autres. Ce qui m’intéresse, c’est leur caractère et leur personnalité profonde. 

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