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Anne de la Baume : la solidarité en héritage

Anne de la Baume Village Village Lille
portrait d' Anne de la Baume

En plein cœur de Lille, place des Bleuets et anciennement appelé place des droits de l’homme, la façade classique de l’hôtel particulier du 17ème siècle ne laisse rien deviner de son extension moderne au reflets miroitants. Elle ne laisse rien imaginer non plus de sa transformation en résidence intergénérationnelle « Villa Village ». Un lieu désiré, créé et financé pour un budget de 3 millions d’euros par Anne de la Baume, pour que vivent ensemble, cabossés par la vie ou non, jeunes, vieux, de toutes origines sociales ou culturelles. Rencontre une héritière qui fait bouger les lignes de la bienfaisance.

 

Quelle est la genèse de Villa Village ?

 Anne de la Baume : L’idée est née quand j’avais 15 ans et je l’ai fait à 73 ans donc j’ai mis du temps (rires). Alors que je rendais visite à des vieilles dames dans une maison de retraite d’aristocrates russes ruinées, j’ai été frappée par l’hermétisme déprimant de ces endroits. Je m’étais dit à l’époque qui si un jour j’avais les moyens je ferai une maison où il y aura des mélanges de générations, à l’opposé des ghetto actuels : qu’il s’agisse des jeunes dans les pensionnats -j’étais moi-même pensionnaire et j’ai détesté- ou des personnes âgées dans les maisons de retraite, la vie c’est au contraire vivre ensemble.

hôtel particulier Lille La Baume

 

Quel a été le déclic pour concrétiser dans ce rêve de jeunesse ?

Quand j’ai eu les moyens de le faire, c’est à dire en vendant des tableaux dont j’ai hérité. J’ai acheté un hôtel particulier à Lille car mon grand-père était lillois, mais aussi parce que c’est une très belle ville, moins chère que Paris. Je voulais être dans le centre-ville pour réunir les jeunes et les personnes âgées dans la vie, pour que les étudiants puissent aller à l’université et que les personnes âgées ne soient pas tenues à l’écart du monde et aient par exemple accès aux commerces.

Vous l’avez financé entièrement ?

 Oui c’est un projet sans subvention : j’ai vendu des tableaux qui appartenaient à ma mère et à mon grand-père pour avoir suffisamment d’argent pour faire un fond de dotation. J’ai réuni 3 millions. C’était très important car je voulais être totalement libre dans mes choix. Je tiens à ma liberté dans la vie. Mais comme on me pose beaucoup la question, je précise que ce n’est pas une obligation et que d’autres projets du même type peuvent solliciter les municipalités qui ont certainement des immeubles en friche à réhabiliter ou encore fédérer des entreprises locales.

C’était également un défi architectural de créer ces logements dans un hôtel particulier du 17 ème siècle.

C’est Stefania Stera une architecte pleine de talents qui a fait le projet d’extension de l’hôtel, avec un bâtiment très contemporain en tôle ondulée miroir où se reflète la partie 17e. C’était aussi une jolie manière de reprendre l’idée de réunir des personnes âgées et des étudiants, l’ancien et le moderne. 

C’est un projet autour du vivre-ensemble.

Oui, dans ce projet, je voulais montrer ce que chacun peut apporter à l’autre en vivant ensemble, et cela se confirme à Villa Village où même si les personnes âgées sont plus contraignantes elles deviennent des référents pour les jeunes étudiants. Et puis les « vieux » ont besoin d’être un peu secoués : râler les maintient en vie… la vie est bien faite ! La répartition des habitants s’équilibre ainsi avec un tiers d’entre eux composés de personnes de grande précarité en réinsertion.

 

Villa Village est aussi une réponse au mal-logement en France avec une partie de vos locataires qui étaient dans sans toit…

 

C’est-à-dire que je ne comprends pas pourquoi le logement n’est pas la préoccupation première des différents gouvernements. Avoir un toit sur la tête, même petit évite tout une série d’angoisses qui mènent la société dans le mur. C’est la première étape de la réinsertion.  Je suis attristée qu’en France -soi-disant civilisé- il y ait tant de gens qui dorment dans la rue.

Pas de caution, pas de loyer en avance… Comment choisissez-vous vos locataires ?

Je ne fais pas la sélection des dossiers, je m’adosse sur une personne fantastique issue de l’associatif à qui je rappelle de ne pas trop raisonner en termes de gains… même s’ils ne paient pas leur loyer depuis plusieurs mois. Il faut que les habitants soient heureuxPami les plus cabossés avec un passé douloureux, le fait qu’ils rentrent chez eux est la première étape pour pouvoir aller mieux. D’ailleurs parmi mes locataires ce sont souvent ces derniers qui ont le plus de revendications, mais c’est une preuve d’intégration : ils se comportent comme des vrais locataires et n’ont plus cette angoisse qu’on les remette à la rue un jour.

Dans cette résidence intergénérationnelle, comment avez-vous pensé l’aménagement ?

L’indépendance est centrale dans mon projet. Il y a onze appartements où chacun a sa salle de bain, ses WC, ses meubles, sa cuisine même s’il y a des espaces de convivialités pour qu’il puisse se retrouver autour de grandes tablées. Au début j’organisais moi-même des diners mais cela commence à se faire sans moi. Dans cette idée de logements prêts à l’emploi l’esthétique était également très important avec le choix de beaux matériaux. J’ai des amis m’ont dit « mais pourquoi tu as fait si beau ? » auxquels j’ai répondu « que je ne vais pas faire moche parce qu’ils sont pauvres, cela ne va pas la tête ? ». Si le lieu est beau on le respecte plus et s’y sent mieux. Et on se reconstruit mieux dans du beau.

Comment vous définiriez-vous ? Philanthrope ?

 

Je suis née pendant la guerre de parents résistants dans un milieu très privilégié où j’ai pris conscience de ma chance très tôt. Je me définirai comme quelqu’un qui a beaucoup de chance et qui aime la partager. Sachant que la générosité va dans les deux sens : cela vous fait plaisir d’être généreux et cela vous dédouane j’imagine aussi.

Comment vous définiriez-vous Villa Village ?

Notre société crève de la solitude… les gens se parlent plus ou peu. A travers Villa Village il y a l’envie de retrouver une société comme celle de nos grands-parents où les générations se mélangeaient plus. Quel que soit le milieu, les grands-parents s’occupaient des enfants l’été… il n’allaient pas au club Med !

 

 

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