Cofondatrice en 2013 de The Family, avec Oussama Ammar et Nicolas Colin, Alice Zagury est une figure de l’écosystème parisien, depuis son passage par la Silicon Sentier, aujourd’hui Numa, et Le Camping. Elle se dit radicale, assume sa masculinité, impose son caractère, et fait croître les jeunes pousses à Paris tout en y déployant l’esprit start-up. Portrait.
« Chez les startuppeurs, il y a des femmes-femmes, et des femmes-hommes. » Selon cette théorie, les premières auraient tendance à dire oui à tout, dans l’espoir de plaire à tout le monde, tandis que les secondes s’imprégneraient d’attitudes et de codes masculins. Ce croquis à gros traits du chef d’entreprise au féminin, Alice Zagury l’esquisse depuis quelques temps, certaine sur le fond, mais pas encore sur la forme. « Dans l’entrepreneuriat il faut être clivant », affirme-t-elle en rechargeant, non sans mal, sa cigarette électronique. Les bases sont jetées. « Si tu commences à vouloir plaire, tu vas développer un truc multi facettes. Tu dois assumer de ne pas satisfaire tout le monde. Et les insatisfaits seront ta prochaine cible. » La jeune femme en est persuadée, son caractère de « femme-homme », avec tous les préjugés de genre que cela sous-entend, lui a permis de s’imposer. « Combien de fois j’ai entendu ‘’elle se prend pour qui celle-là ?’’. »
Quelques minutes plus tôt, Alice Zagury était arrivée en retard, cueillie au saut du lit par un texto. Crinière relevée, elle s’est avancée sur le parquet craquant avec une moue désolée, tout en faisant signe pour qu’on lui apporte une boisson chaude. Claquement de bises, tutoiement immédiat et allure bonhomme sous un petit chemisier rose poudré. Alice Zagury, 32 ans, reçoit dans son antre. Un espace hybride, entre lieu de rencontre, de conférence et de travail, qui en cette matinée de juillet embaume la brocante bien briquée et le café fumant. The Family est un écosystème sous verrière qu’elle fait pousser rue du Petit Musc (Paris 4e) depuis quatre ans, avec les cofondateurs Nicolas Colin et Oussama Ammar.
La famille
Lancé en 2013, The Family n’est pas un incubateur. Ni un accélérateur. C’est une société d’investissement d’un nouveau genre. The Family, à l’image de Y Combinator fondée en 2005 dans la Silicon Valley, prend un pourcentage au capital de chaque jeune pousse qui passe par leur programme d’apprentissage et de croissance. « Notre métier est d’aider les start-up à grandir », résume Alice Zagury. « On pousse les boîtes à prendre le plus de risques, car on ne veut pas qu’elles réussissent, on veut qu’elles gagnent. » Tous les deux mois, l’équipe part avec ses nouvelles recrues, vingt start-up, pour un week-end à la campagne, histoire de s’imprégner de l’esprit et d’établir un plan d’action.
The Family, c’est une valse à trois temps : trois fondateurs, trois lieux, trois objectifs. Le trio créateur fournit des outils nécessaires et complémentaires à la croissance, un peu à leur image. Oussama Ammar, le gourou branché scalabilité, Nicolas Colin, l’énarque, ancien inspecteur des finances à la pointe de l’économie numérique, et Alice Zagury qui porte la « vibe » et fait fuser les idées. Leurs objectifs : éduquer les entrepreneurs, créer une infrastructure pour les propulser, et leur donner un accès aux investisseurs. Et trois lieux, à Paris « où l’on est bon sur le produit », à Londres, « où il y a la thune », et à Berlin « où ils sont bons en exécution ». Trois parties, mais un tout, la famille, car c’est un cocon dans lequel « les échecs sont acceptés, et les réussites sont célébrées », comme l’indique – in english – leur site internet.
« Tu seras bonne pour une secte »
La famille, celle de la trentenaire, est à mille lieues de la start-up nation. « Mes parents avaient chevillé au corps le sens citoyen. » Père psychiatre, expert pour les tribunaux, mère qui travaille pour la commission de spoliation des rescapés de la Shoa. « Un jour mon père m’a dit ‘’tu seras bonne pour une secte’’ », s’amuse Alice Zagury en expliquant qu’elle a toujours eu besoin de vibrer. « J’étais très exaltée, je voulais que les personnes autour de moi se déploient. » Fille modèle jusqu’à 12 ans, elle fait une violente crise d’adolescence. « Je souhaite cela à aucun parent ! Mais j’avais la chance d’être en banlieue, j’ai pu explorer, rencontrer beaucoup de monde, voyager à travers les gens. » En première, elle rentre dans le rang. Prépa HEC, EM Lyon. « J’étais hyper stimulée en prépa, et hyper déprimée en école de commerce. » Elle part à la recherche des vibrations, dans le monde de l’art, un milieu qui l’attire grâce à sa mère. Elle travaille en galerie, pour des artistes.
La rencontre avec Marie Vorgan Le Barzic – à la tête du Numa – est déterminante : « Elle m’a propulsé chef de projet pour la création d’un incubateur. » Alice Zagury découvre alors le monde des start-up. « Ce qui m’a immédiatement plu dans ce milieu c’est cette alliance du fond et de la forme, le fait qu’à chaque problème on y trouve une solution. » Après un tour d’Europe des initiatives entrepreneuriales, elle anime Le Camping dès 2011, premier accélérateur français (soutenu par la Région Île-de-France), structure dans laquelle elle fait venir Oussama Ammar. « Il casse les schéma, fait comprendre des trucs totalement contre-intuitifs. » Les entrepreneurs font alors la queue pour obtenir un court rendez-vous avec ce jeune entrepreneur – il a monté sa première entreprise à 12 ans et en a déjà revendu deux autres avant d’atteindre 18 ans – muté en business angel dans la Silicon Valley. C’est le déclic. « Quand on a monté The Family en 2013, mon père m’a dit ‘’en fait, la secte, tu l’as créée’’ », raconte Alice Zagury avec un brin d’émotion.
Ultra Radical
« En fait, c’est tout le contraire d’une secte. Mais c’est ultra radical. » Pour la CEO, The Family veut « rendre les entrepreneurs indépendants ». La structure ne reçoit donc pas de fonds publics. Trop de contraintes, de paternalisme, d’élitisme. Bien loin de la « génération black swan » qui est en train d’émerger. « On ne peut rien prédire, tout est possible ! », s’enthousiasme Alice Zagury. « Aujourd’hui, il faut à la fois être hyper pointu, et 360 degrés », constate-t-elle. « Je suis hyper impressionnée par la nouvelle génération : ils ont soif d’apprendre, ils sont émotionnellement centrés, ils font des voyages, ils sont habitués à ouvrir des portes, à multiplier des casquettes. »
Des casquettes en pleine mutation. Si jusqu’à présent, « les femmes étaient perçues comme plus fragiles et devaient donc compenser en devenant plus dures, plus expertes », selon Alice Zagury, « un modèle moins binaire est à inventer, dans lequel culturellement, l’ambition ne serait pas uniquement un truc masculin. »
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