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Euro 2024 : La planète foot toujours aussi réticente à céder du terrain aux femmes journalistes sportives

© Marion Aydalot

Avant l’heure olympique, le quart d’heure footballistique avec l’Euro 2024 qui s’est ouvert vendredi 14 juin en Allemagne. Presque deux ans après la performance des Bleus au Mondial de Doha au Qatar, les vice-champions du monde sont particulièrement scrutés. Dans ce tableau, une situation semble immuable : la place des femmes à l’antenne. Les journalistes sportives plafonnent à 15% dans les rédactions en France… Un score très loin d’être équilibré. Peut-on parler de plafond de verre infranchissable ? D’une disqualification d’office parce que femme ? Eléments de réponses avec Marion Aydalot, l’un des rares visages féminins à l’antenne pour parler foot.

 

Pourquoi la féminisation pour aller vers plus de parité est-elle toujours aussi compliquée ? 

Marion Aydalot : Il est vrai que nous ne sommes pas nombreuses, sans doute parce qu’il n’existe pas de quotas en la matière, et qu’il n’y a pas, dans les rédactions, de prise de conscience du problème. Je suis l’une des rares à donner mon avis à l’antenne. Il faudra des actions plus concrètes pour passer un cap. Il y a toujours cette idée que les femmes ont moins de connaissances que les hommes, que leur approche du sport est plus superficielle et qu’elles ne comprennent pas totalement les enjeux des compétitions. Nous devons toujours prouver que nous méritons cette place : l’erreur nous est interdite, et à l’antenne je ne m’autorise aucune faute, aucun lapsus, il faut que ce soit parfait. 

Il y a donc l’idée que « ce journalisme » est la chasse gardée des hommes. En 2021, il y a eu une centaine de signataires d’une tribune appelant à sortir le sport – et le football – de ce carcan. Et il y a eu aussi le documentaire coup de poing de votre consœur Marie Portolano : « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste ». Ressentez-vous une évolution depuis ? 

Le documentaire de Marie Portolano a incontestablement fait bouger les lignes et marqué les esprits. Pour autant les résultats tardent à se concrétiser. Ce n’est pas uniquement la faute des hommes, les femmes de ce milieu ont aussi beaucoup de mal à se soutenir les unes les autres. Elles ont toujours peur de perdre leur place, elles imaginent à tort ou à raison qu’elles peuvent être remplacées par une autre à tout moment, et elles ne comprennent pas qu’en général, quand elles perdent leur place, c’est un homme qui leur succède.

D’autre part les dirigeants ont une peur panique de voir leurs audiences baisser s’ils mettent des femmes à l’antenne. J’ai simplement le regret de voir qu’il va falloir légiférer en la matière, j’aurais aimé que cela se fasse de façon naturelle. Mais au moins le sujet est sur la table aujourd’hui. 

Quand on regarde le profil des journalistes sportives comme vous, on constate qu’il y a aussi un critère physique qui doit aller de pair… Peut-on parler d’une injonction – de plus imposée – aux femmes évoluant dans ce milieu ? 

En ce qui me concerne, être une femme avec des talons m’a plutôt porté préjudice, être féminine n’est pas gage de sérieux. Je dirai que l’injonction, c’est plutôt : « ressemblez aux hommes ». Les femmes de ce milieu pensent souvent qu’il faut se déguiser en homme pour être respectée, leur peur est d’être sous-estimées.

Heureusement, les réseaux sociaux, notamment Instagram, ont aidé les femmes à mieux s’assumer physiquement, et donc les journalistes sportives sont davantage différentes les unes des autres qu’autrefois. Les progrès existent donc, même s’ils sont trop minimes. 

© Marion Aydalot

 

Pourquoi n’arrive-t-on pas à briser le plafond de verre ultime de confier le commentaire de match d’une finale de Coupe du monde de Football à un duo féminin ? 

Je me le demande. Pour certains hommes de ce milieu, les voix de femmes sont « trop aigües », encore une fois on pense qu’elles n’ont pas la culture foot, qu’elles risqueraient de faire des erreurs, et qu’à l’arrivée cela provoquerait une baisse d’audience. L’évolution dans ce domaine risque de durer, il est compliqué de changer des habitudes ancrées depuis si longtemps… Confier à un duo féminin une finale de Coupe du Monde ou de Ligue des Champions est totalement inenvisageable aujourd’hui, la question ne se pose même pas. Les directeurs de rédaction ne le veulent pas, ne l’imaginent même pas. La place des femmes aujourd’hui est parfois en bord-terrain pour les interviews de joueurs, ou éventuellement en duo avec un homme pour le commentaire d’un match peu important. 

Quels sont vos pronostics sur cet Euro 2024 ? Qui peut créer la surprise et défier les favoris ? 

L’Euro est sans doute la compétition de football la plus difficile de la planète ! Le niveau est relevé, c’est pourquoi je ne pense pas qu’il puisse y avoir une grosse surprise, comme il pourrait y en avoir en Coupe du Monde. L’Angleterre a, sur le papier, les meilleurs joueurs. L’Allemagne a montré qu’elle n’était pas morte et qu’elle pouvait l’emporter à la maison. Évidemment le travail de Deschamps avec l’Equipe de France est impressionnant, mais je pense que le niveau est moins bon qu’en 2018. Enfin, le Portugal a une équipe très forte et très homogène. 

Quel parcours voyez-vous pour Les Bleus ? 

Les matches amicaux ne m’ont pas rassurée et je dois avouer que depuis la finale au Qatar, je trouve que le niveau de la France a baissé. Pour autant, elle fait toujours partie des meilleures équipes du monde. Même si je ne vois pas les Bleus gagner l’Euro, Deschamps est le meilleur sélectionneur et l’équipe fait peur à toute l’Europe. Kylian Mbappé n’a pas montré grand-chose en sélection depuis un an et demi, mais avec un joueur de ce niveau, s’il est au maximum de ses possibilités, on peut éventuellement rêver… 

Au-delà de cette compétition, le monde du football est aujourd’hui chambardé par les ambitions de pays comme l’Arabie Saoudite qui a créé un nouvel écosystème. Pensez-vous que le foot européen ne sera bientôt plus l’épicentre mondial ? 

A long terme, l’Arabie Saoudite peut faire bouger les lignes. Mais aujourd’hui, l’Europe est le continent référence du football mondial, qui possède les meilleurs centres de formation. La France et l’Espagne sont, en la matière, les plus avancées au monde, les supporters européens ont une culture foot incomparable avec le reste de la planète, le football a été créé en Angleterre. Rivaliser avec la Premier League est aujourd’hui impossible, et là aussi le monde du football a des habitudes

 

 

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