Ne plus avoir peur de parler d’argent, ne plus avoir peur d’oser gagner plus d’argent, et, plus que tout, se réapproprier sa juste valeur en entreprise. Dernier tabou, dernier bastion professionnel à conquérir : la négociation salariale des femmes actives. Des collaboratrices, et même cadres dirigeantes, prisent en étau entre la présomption d’arrogance et l’injonction d’humilité qui les conduisent à se censurer, se sous-évaluer et à créditer leurs réussites et performances à des éléments extérieurs, plutôt qu’à leurs compétences ou savoir-faire. Avec son podcast et sa méthode Ma Juste Valeur®, Insaff El Hassini, donne des ailes aux femmes.
L’argent fait partie des sujets encore tabou en France alors que culturellement aux Etats-Unis, par exemple, l’approche est décomplexée. Les femmes françaises sont doublement impactées par cette question. Quel est l’ampleur du problème ?
Insaff El Hassini : Historiquement, la France a une tradition de pudeur liée aux questions d’argent. L’argent, comme le sexe, est du domaine du privé, de l’intime. Il y a donc une véritable gêne à se saisir du sujet ouvertement et d’afficher ses désirs et/ou ses ambitions financières. Sur ce sujet, les femmes françaises sont doublement impactées, puisqu’à cet héritage culturel puritain s’ajoute le vernis des biais de genre et des conventions sociales. On observe ainsi que les différentes présomptions (de vénalité) et injonctions (de désintérêt) ont conduit leur mise à l’écart sur les sujets liés à l’argent (rémunération, patrimoine, investissement financiers etc…) et à un véritable abandon par les femmes de leurs pouvoirs financiers. En effet et à date, la grande majorité ne sait toujours pas quels sont les éléments qui composent leur rémunération globale, comment la calculer ou comment découvrir la juste valeur de leur profil sur le marché de l’emploi ; et laissent ainsi le soin aux recruteurs de décider, à leur place, de la juste rémunération qui leur est applicable.
Par ricochet, les femmes seraient-elles piégées par « le syndrome de l’imposteur » également sur la question de la rémunération ?
I.e.H : Oui, elles se retrouvent fréquemment piégées par leur syndrome de l’imposteur et/ou de la bonne élève, et passent des années dans une même entreprise sans être augmentées, parfois même après avoir été promues à des postes à responsabilités. Dans le privé, elles délèguent la question financière à leur conjoint, un peu par manque d’éducation financière, un peu par confort, lourdeur de la charge mentale et beaucoup par convention sociale. Résultat : elles sont nombreuses à subir une forte baisse de revenus et tombent dans la précarité suite à une séparation, un divorce ou un décès.
Il y a donc urgence à ce que les femmes se libèrent et brisent le tabou de l’argent, car leur liberté économique annonce et précède leur véritable liberté politique.
Même les femmes cadres dirigeantes sont conditionnées à se sous-évaluer ?
I.e.H : Absolument. Il existe à la fois une présomption d’arrogance et une injonction d’humilité envers les femmes, ce qui les conduit à développer un puissant syndrome de l’imposteur, se censurer, se dévaluer, se sous-évaluer et à créditer leurs réussites et performances à des éléments extérieurs, comme la chance, plutôt qu’à leurs compétences ou savoir-faire. C’est d’ailleurs pour cela que l’on observe que la majorité butte sur l’exercice de la négociation de rémunération, car elles ont tendance à négocier leur rémunération en fonction de leur niveau de confiance plutôt que de leur niveau de compétence et la valeur de leur profil sur le marché de l’emploi.
Cependant, il semble également important de préciser que même lorsque certaines femmes s’affranchissent des conventions sociales et lèvent leurs barrières internes, il y a encore beaucoup de résistance du monde de l’entreprise à reconnaitre leur travail à sa juste valeur. Certaines subissent même des représailles lorsqu’elles vocalisent leur juste valeur et réclament une rémunération à hauteur de leur contribution générale, c’est pourquoi beaucoup préfèrent se contenter du statu quo plutôt que de risquer d’être victimes de harcèlement moral et tomber dans l’engrenage d’une pathologie de souffrance au travail.
Vous êtes l’une des expertes sur le sujet de la rémunération, de la négociation et de l’égalité salariale : parlez-nous de votre méthode unanimement saluée « Ma Juste Valeur » ?
I.e.H : J’ai construit la méthode Ma Juste Valeur® en partant du constat que les femmes n’étaient pas préparées aux règles du jeu du monde du travail et du monde de l’entreprise. Nous sommes d’excellentes professionnelles, mais nous n’arrivons pas à transformer l’essai lorsqu’il s’agit de notre rémunération, et répercuter ainsi notre niveau de compétence, d’expertise et d’expérience sur notre niveau de rémunération.
Les principales raisons sont que :
- nous « émotionalisons » trop le sujet qui devient une bombe à retardement lorsqu’il n’est pas adressé en temps et en heure, et se traduit par de la confusion mentale et une incapacité à clarifier nos véritables besoins et objectifs de carrière ;
- nous ne sommes pas préparées à parler le langage de l’entreprise et construire un argumentaire qui soit audible pour nos employeurs ; et
- nous n’avons jamais été préparées à l’exercice de la négociation de rémunération, alors que nos employeurs, eux, sont rompus à l’exercice, ce qui optimise nos chances d’échecs.
C’est pourquoi j’ai décidé de mettre à profit mes compétences de juriste et ma connaissance de la finance de marché (puisque je suis juriste financier à l’origine), notamment celle de la valorisation des produits sur les marchés financiers, pour développer une méthode de négociation de rémunération inédite, factuelle & rationnelle, aussi implacable qu’une formule mathématique. Dans le détail, j’enseigne aux femmes comment aller découvrir la juste valeur de leur profil sur le marché du travail, comment construire une stratégie de négociation alignée avec leur tranche de vie, leur priorité, leurs objectifs de carrières et la culture de leurs entreprises ou de leurs secteurs d’activité, puis à la vocaliser efficacement face à un recruteur, leur employeur ou un client.
Et c’est la raison pour laquelle la méthode MA JUSTE VALEUR ® connait autant de succès (plus de 5000 femmes formées à la négociation de rémunération à travers le monde et un taux de réussite de plus de 90%), c’est parce ma méthode permet aux femmes de se détacher de leurs émotions et envisager leur rémunération comme la contrepartie d’un produit (leurs compétences) qui a une valeur et un juste prix sur le marché de l’emploi.
Comment diffuser ce message à TOUTES bien au-delà du cercle des cadres supérieures et des catégories socio-professionnelles privilégiées ?
I.e.H : La négociation de rémunération ne devrait pas, à mon sens, être l’apanage d’une poignée de privilégiées. C’est pourquoi je milite activement pour que des cours de négociation de rémunération soient dispensés dans l’enseignement supérieur et auprès des organismes d’accompagnements professionnels (type Pôle Emploi). Ainsi, j’ai également mis en place tout un programme d’accompagnement à la négociation de rémunération (guide de négociation de rémunération, cours en ligne, formations & coaching) à un prix abordable pour toutes les bourses. Car l’empowerment des femmes et la reconnaissance de leur contribution à notre société passe aussi et surtout par leur empowerment économique, une éducation financière et une préparation à la réalité du monde du travail adéquat.
Sheryl Sandberg (n°2 de Meta, ex-Facebook) vous a désignée présidente de son association Lean In France, association axée sur le leadership au féminin assumé et débarrassé de tous ses complexes. Notre génération a-t-elle le pouvoir de faire bouger les lignes dans un contexte où la crise sanitaire pèse davantage sur les femmes ?
I.e.H : Nous sommes une génération de femmes qui ne veut plus avoir peur de parler d’argent, qui ne veut plus avoir peur d’assumer ses désirs financiers, qui ne veut plus avoir peur d’oser gagner plus d’argent, et qui souhaite reprendre sa juste place dans notre société pour lui donner – enfin – une direction qui nous représentent véritablement. Notre génération est également une génération qui a également compris que l’argent était le dernier bastion du patriarcat, et la crise sanitaire, économique et politique mondiale que nous vivons en atteste. Nous ne souhaitons plus payer le prix de la virilité exacerbée, de choix politiques et diplomatiques que nous ne cautionnons pas, et nous avons compris que le seul moyen pour cela était de reprendre notre pouvoir économique, de l’exercer dans comme bulletin de vote afin de pouvoir réajuster les directions à prendre pour notre société.
Je ne sais pas si notre génération a le pouvoir d’opérer ce changement, seul l’avenir nous le dira. En revanche, nous sommes une polyphonie de femmes convaincues et déterminées à le faire.
Apprendre à négocier sa rémunération c’est bien, mais apprendre aux organisations à reconnaître leurs employé.es à leur juste valeur c’est mieux. Comment relever ce double défi ?
I.e.H : Ce défi est LE défi de notre monde de l’entreprise face à la crise actuelle de talents. Les talents ne sont plus disposés à suivre les anciens schémas fondés sur des rapports de force et de domination, c’est aussi la raison pour laquelle les jeunes talents et les femmes quittent aussi massivement le monde de l’entreprise pour le free-lancing ou l’entrepreunariat, au prix parfois d’une certaine insécurité financière.
Les entreprises doivent impérativement revoir leur environnement de travail, leurs politiques salariales, leurs valeurs et leurs cultures RH, car celles-ci ne sont plus adaptées aux attentes des jeunes générations et des talents. C’est pourquoi je propose également des audits et des formules d’accompagnement à la revue des politiques salariales & RH et des cultures d’entreprises, car au-delà de l’aspect moral, c’est la chose la plus économiquement intelligente pour pouvoir relever le défi de la compétitivité.
Insaff El Hassini : « Nous sommes d’excellentes professionnelles, mais nous n’arrivons pas à transformer l’essai lorsqu’il s’agit de notre rémunération, et répercuter ainsi notre niveau de compétence, d’expertise et d’expérience sur notre niveau de rémunération. »
Quelques techniques concrètes de revalorisation à partager à nos lectrices ?
I.e.H : Mon premier conseil serait de faire un audit de votre situation salariale en allant découvrir la juste valeur de votre profil sur le marché de l’emploi. Cet exercice est un excellent moyen pour prendre conscience de votre valeur, vérifier que votre rémunération est alignée au prix du marché et vous mettre en mouvement si besoin. Mon deuxième conseil serait de lister vos priorités de vie et vos objectifs de carrière, puis les faire coïncider avec un avantage en nature que vous proposerez à votre employeur :
- Est-ce un 4/5ème rémunéré au temps plein pour vous libérer du temps à consacrer à votre famille ou votre « side project» (+20% de rémunération) ?
- Est-ce une formation diplômante, qui vous permettra de changer de catégorie, d’évoluer en interne ou en externe, et d’accéder à un niveau de rémunération jusqu’à présent inatteignable (entre 10K et 40K pour les MBA) ?
- Est-ce une place dans une crèche d’entreprise pour vous alléger des frais de garde (+800€ par mois de salaire non imposable) ?
Pour aller plus loin :
Le podcast Ma Juste Valeur® est disponible sur toutes les plateformes d’écoutes. Insaff El Hassini partage également chaque lundi sur Linkedin un conseil de négociation de rémunération, son audience y est aussi importante.
BIO EXPRESS
- 2014 : Lancement du mouvement Lean In en France et création de la Méthode Ma Juste Valeur ®
- 2018 : Tour de France de la Négociation de Rémunération avec la méthode Ma Juste Valeur ®
- 2019 : Tour du Monde de la Négociation de Rémunération avec la méthode Ma Juste Valeur ®
- 2020 : Lancement du Podcast Ma Juste Valeur ®
- 2021 : Lancement des cours en ligne + formations à la négociation de rémunération Ma Juste Valeur ®
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