Le basculement de l’opinion publique conduit peu à peu à l’inversement des paradigmes menant au changement des modèles urbains des villes arrivées à bout de souffle. Les chamboulements traversant notre société sont énormes et appellent au passage d’une logique de gestion urbaine conformiste à un pilotage réformiste guidé par les règles de performance. Nul ne doute que nos villes sont confrontées à l’infinité des défis qui sont devant nous, et qui exigent des assembleurs urbains une vision plus moderne et pragmatique créatrice des milieux durables, accueillants et résilients.
Nous pouvons changer le monde par la ville en inventant de nouvelles formes d’organisation spatiale qui donnent un cadre d’expression à chaque individu. Cette approche globaliste suppose de redesigner les dispositifs d’une politique publique territorialisée en bâtissant un pacte coopératif avec le secteur privé et un dialogue fluide avec les communautés locales pour clarifier les jeux d’acteurs et donner du sens à nos espaces de vie communs.
La ville durable traite une pluralité de thématiques étroitement liées et requiert une transversalité utile pour rendre les actions efficaces. Pour répondre aux exigences montantes en matière de fabrique des cités, il faut sans cesse s’adapter aux changements, comprendre les évolutions et apprendre de manière constructive des échecs. Très clairement, on assiste à une transition d’’un urbanisme fonctionnaliste vers un urbanisme écologique plus globalisant.
Cette ville plus soutenable, nécessite une simplification des normes et une souplesse des processus de co-création pour surmonter les carcans administratifs bloquants. Pour qu’une ville soit soutenable, il faut qu’elle soit ouverte et attentive aux citoyens en les incluant dans les stratégies de développement de leurs espaces de vie. Les décideurs politiques doivent attacher de l’importance à une fabrique urbaine qui met le paquet sur une grande coopération entre les acteurs publics et privés, en repensant la gouvernance pour s’orienter vers plus de rationalité, de territorialité et d’inclusivité dans l’action publique, à même d’entraîner des dynamiques et de faire émerger des propositions imaginatives.
Dans un contexte instable, l’urbanisme joue un rôle prédominant de nos jours. Construire les villes du 21ème siècle nous exige d’inclure stratégiquement la réduction de l’empreinte carbone que nous imposent les changements climatiques. Dans la perspective de suivre le rythme des transformations, nous devons passer d’un urbanisme réglementaire hyper administré à un urbanisme de projet qui met les maîtres d’usages au cœur des préoccupations.
D’un autre côté, la question de la métropolisation relève de l’évidence dans un monde de plus en plus globalisé et régionalisé, mais force est de constater que l’échelle micro-locale garde aussi son utilité car elle permet de proposer des réponses fondées sur les réalités et de créer des coopérations interterritoriales en matière de fabrique durable des espaces. Pour une efficacité maximale, il faut penser à un ajustement des outils de planification à tous les niveaux d’intervention pour lutter de manière ciblée contre les fragmentations sociales et territoriales.
La simple planification urbaine, parfois inadaptée à la rapidité des évolutions, a montré ses limites. C’est pourquoi, on assiste à l’accroissement d’un urbanisme intelligent du temps réel en phase avec les nouvelles manières de production territoriale qui intègre les modes actuels de travail, d’habitat, d’animation, de déplacement et de consommation.
Des expériences Internationales profondément nourries d’approches locales
Les villes à travers tous les continents structurent une feuille de route définissant leur trajectoire de développement soutenable.
Au Canada, la ville de Toronto est consciente que son attractivité dépend de sa durabilité. Ce territoire est souvent cité comme exemple du fait des mesures radicales mises en place pour améliorer le cadre de vie des habitants et équilibrer les écosystèmes. Des programmes opérationnels ont été initiés par l’équipe municipale et se déclinent en plusieurs actions : Stratégie de résilience urbaine préventive et offensive luttant contre les vulnérabilités des réseaux, Politique de l’arbre renforçant la captation et la séquestration carbone, Limitation de la consommation des terres agricoles, Plan de recyclage des déchets mettant la priorité sur la sensibilisation des citoyens, Exploitation optimale des toits des immeubles…
En Europe, les pays nordiques tels que le Danemark et la Norvège se sont engagés depuis longtemps sur les chemins de la durabilité. Consciente de son retard par rapport à ses voisins européens, Paris se rattrape intuitivement et dessine son plan climat dans le cadre de sa stratégie de ville post-carbone à horizon 2050. La municipalité de Paris lance des démonstrations grandeur nature via son laboratoire partenaire Urban Lab. En matière de contribution citoyenne à la gestion locale, un budget participatif doté d’une enveloppe de 100 millions d’euros a été instauré. Pour qu’elle devienne plus équitable, la ville de Paris démocratise l’accès des services publics. L’accent est également mis sur l’agriculture urbaine et la biodiversité par l’installation des fermes de grande envergure renforçant les circuits courts dans une perspective de ville nourricière. Quant aux transports à faible impact environnemental, la ville se compose d’un réseau riche en mobilités alternatives et douces comme le transport fluvial et les véhicules électriques en auto-partage. Un plan vélo vient renforcer les dispositifs existants. S’agissant du mix énergétique, les responsables municipaux mettent de grands moyens dans la massification des énergies propres telle que la géothermie. L’enjeu stratégique pour la ville est de perdre le moins d’énergie fatale. Pour ce qui concerne l’économie du sol, la municipalité conduit une politique d’optimisation de son foncier en luttant contre l’artificialisation accélérée de ses terres et en transformant les sous-sols en ressources. Enfin, un système de collecte pneumatique des déchets ménagers est déployé pour faire de Paris une ville plus propre.
En cohérence avec le plan directeur de Kigali, le Projet Wakanda ville durable au Rwanda, financé partiellement par le fonds vert Finerwa, est le fruit d’une réflexion des autorités rwandaises visant à réduire les impacts désastreux du réchauffement climatique. Les acteurs institutionnels portent l’ambition de construire un territoire soutenable qui montrera la voie à d’autres pays d’Afrique. Ce projet Rwandais qui fait l’objet d’une large collaboration avec des firmes de renommée internationale, contient des programmes riches en logements accessibles à toutes les classes sociales et vise à amplifier l’aménagement des espaces flexibles réduisant l’usage de la voiture individuelle. Côté énergies, le focus est mis sur le déploiement des énergies renouvelables et l’implantation des usines de technologies vertes.
Aux antipodes de certaines villes nouvelles marocaines vouées à l’échec par manque de projection dans l’avenir, la ville de Benguérir, à 30 km de Marrakech, se veut une anti-cité dortoir en diversifiant les typologies de bâtiments grâce à un aménagement fonctionnel adapté à la multiplicité des usages et une maximisation du potentiel du progrès technologique. Son évolution urbaine est maîtrisée par un pilotage largement optimisé des services, une frugalité bâtimentaire, des constructions durables à haute performance énergétique, des trames urbaines rythmant l’agencement de la ville et des modes de transports anticipateurs. Cette ville s’appuie sur une approche éco-systémique et abrite des laboratoires pour accentuer la recherche appliquée et les capacités locales en matière d’innovation. D’autres villes durables dans le sud du Maroc surgissent de terre et mobilisent les potentialités locales pour mettre au point un modèle de développement urbain inclusif. Au fond, le grand défi est de transformer des villes-dortoirs en villes créatives où il fait bon vivre.
En chine, les villes durables sont caractérisées par une verticalité urbaine pour répondre à la crise du logement et lutter contre l’étalement super-consommateur des sols aux conséquences néfastes, une facilitation d’accès aux pôles urbains centraux et une gestion maîtrisée de l’eau et l’énergie. Ce pays enregistre un taux de croissance phénoménal qui débouche sur des investissements massifs dans de nouveaux concepts de territoire durable comme l’expérimentation de la ville éponge à Shanghai pour contrer la montée des eaux. D’une autre manière, la ville-forêt chinoise « Liuzhou Forest City » imaginée par Stefano Boeri, qui prend forme, promeut un modèle d’urbanisme autosuffisant en énergie. Le verdissement de ses bâtiments et la plantation massive des arbres aboutiront à une amélioration de la qualité de vie des futurs habitants de ce territoire assurément agréable qui mise sur une très forte mixité fonctionnelle. Cette expérience rare au monde nous rappelle la nécessité de remettre l’agriculture et la nature au cœur des stratégies urbaines.
En matière de co-production de villes apaisées et hospitalières, il faudrait penser à des mécanismes collaboratifs et plus socialisants. Réellement, la force du phénomène de Placemaking qui connait un développement exponentiel en Australie, est de réunir les urbains de tout âge et de tout milieu social. Plus précisément à Brisbane, l’originalité d’une telle démarche bienveillante est de faire participer des gens complètement différents à des ateliers à ciel ouvert pour réfléchir à leurs futures places publiques, évolutives, interactives, intergénérationnelles et créatrices de passerelles humaines et sociales. En même temps, ces nouvelles méthodes permettent une meilleure représentation des femmes dans l’espace public. Il existe d’autres moyens novateurs comme les Fablabs, pour provoquer la rencontre des individus et l’échange de savoir faire. Pour qu’elle soit vivante, une ville doit faire travailler, ensemble et très en amont, des gens de bonne volonté qui prennent soin de leurs espaces. L’objectif est de bâtir nos villes de proximité selon une approche bottom-up. En effet, les villes ont besoin d’être valorisées et oxygénées par des lieux attractifs qui divertissent les humains et aèrent nos territoires tels que les Retail Parks et les bases de loisirs. Outre cela, la régénération urbaine est aussi un outil pour repriser certains morceaux de villes en déclin et donner une nouvelle vie à des espaces délaissés.
Les maires les plus engagés adoptent des processus d’évaluation standardisés et mondialement réputés comme les certifications environnementales LEED Cities & Communities, HQE Aménagement ou BREEAM Communities, qui se basent principalement sur l’efficience, la durabilité et la résilience des territoires et des communautés. Ces outils extrêmement avancés, à l’aide desquels les managers des villes, suivent de manière progressive l’état de la gestion territoriale, sont des appuis utiles à la définition d’objectifs précis pour déployer des programmes d’actions ciblés et des politiques publiques appropriées.
Des stratégies fortificatrices d’un avenir commun plus durable
Face aux ruptures urbaines, les enjeux deviennent planétaires et nécessitent une coordination mondiale. Une raison qui explique la mobilisation des organisations internationales autour des villes durables et résilientes, à l’image des agences de développement, le FMI, l’IFC, l’OCDE et l’ONU.
En effet, les banques et les fonds d’investissement doivent être mis à contribution, de manière plus significative, pour financer les transformations structurelles de la ville. Les institutions financières devraient apporter de l’assistance personnalisée aux communautés locales pour garantir leur stabilité et cohésion. En réalité, le marché appétissant des villes durables, estimé à près de 5000 milliards de dollars, représente des opportunités colossales pour les acteurs classiques et les apporteurs de solutions disruptives en phase avec les changements gigantesques à l’œuvre dans les villes d’aujourd’hui, toutes tailles confondues. Grâce à cette impulsion plus positive et plus embarquante, les concrétisations réelles et effectives se multiplient mais demeurent insuffisantes et ne touchent qu’une partie minoritaire de la population urbaine mondiale qui passera à 6 milliards en 2050 selon les toutes dernières estimations.
Certes, les politiques de compensation carbone sont importantes mais la réduction à la source des émissions reste l’élément structurel. Pour faire face au péril climatique, Il faut mener un combat sans relâche dans la recherche de solutions efficientes et développer les technologies minimisant les émissions de carbone. Pour ce faire, il est primordial de parvenir à une convergence entre trois piliers : le volontarisme politique, l’engagement citoyen et la responsabilisation des entreprises pour plus d’inclusion des personnes fragiles et défavorisées.
Par ailleurs, la ville circulaire et fertile peut constituer l’une des réponses pragmatiques. A travers son approche métabolique, ce concept se différencie par la valorisation et la réutilisation de l’ensemble des ressources par une connexion entre les entrées et les sorties, permettant ainsi d’optimiser les flux. Ce processus maintient de la valeur générée localement tout en renforçant l’adaptabilité et la profitabilité de l’ensemble des systèmes territoriaux.
D’autres mesures respectueuses du climat sont à prévoir par les municipalités comme la promotion de l’Eco-urbanisme, le déploiement des low-techs, l’électrification des transports municipaux, la transition vers un modèle de l’éclairage public solaire et la priorisation des matériaux recyclables dans les normes locales de construction. Plus globalement, il faut développer la capacité de la ville à disposer d’une énergie hyper locale pour réduire la facture énergétique des consommateurs et baisser son empreinte carbone. Les bâtiments en tant qu’éléments urbains fondamentaux, plus qu’ils soient performants, devraient produire leur propre énergie via des réseaux décentralisés Micro-grids et mutualiser leurs différentes ressources : Énergétiques, Spatiales et systémiques dans l’objectif de développer de nouveaux services, à savoir le partage des places de parkings ou la mobilité électrique.
Façonner une vision stratégique du développement territorial implique de fixer un cadre aux initiatives citoyennes qui parfois dépassent les capacités des acteurs institutionnels, et de pratiquer un urbanisme réversible qui favorise des formes urbaines novatrices. La ville durable met en réseau les polarités principales et promeut une urbanité où cohabitent une diversité de fonctionnalités et une mixité des usages. C’est surtout une ville qui fait gagner du temps à ses usagers et rapproche les humains des services du quotidien.
Unanimement, les acteurs mettent en avant la nécessité d’un changement de mindset. C’est absolument indispensable pour faciliter la mise en pratique de l’intelligence des habitants qui fera l’intelligence de nos villes. Une grande part de l’économie locale se dématérialise. De ce fait le numérique irrigue l’ensemble des systèmes et sous-systèmes constitutifs des espaces urbains. Il devient donc primordial de donner aux maîtres d’usages, un accès fluidifié aux données via l’OpenSource, pour ensuite effectuer des analyses prédictives amélioratrices de la qualité des services publics urbains.
Pour accompagner cette approche urbanistique orientée vers l’humain, les créateurs d’un avenir meilleur ont besoin d’une pleine visibilité des règles du jeu pour répondre adéquatement aux aspirations de tous. Réfléchir, Expérimenter et Disrupter sont les maîtres mots d’une gouvernance durable des territoires de libertés abritant des populations soucieuses de leur bien-être.
En somme, les cités soutenables se font de plus en plus par une complémentarité du public-privé, qui n’empêche pas certains contrôles pour éviter toute sorte de dérapage urbain. La vocation des deux parties est de fusionner leurs intérêts pour construire main dans la main des solutions servicielles, intégrées et financées, servant efficacement les humains dans leur territoire d’accueil.
<<< À lire également : Les Villes Eponges – Les Cités Intelligentes De Demain >>>
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