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Réveil Ecologique À La Villa Médicis

Villa Médicis

Reconstruire le regard — Chantier ouvert autour de l’anthropocène. Deux journées de réflexion et une exposition sur le mont Pincio à Rome. Du dérèglement climatique à l’extinction massive en passant par la dégradation des sols ou encore l’explosion démographique, les nouveaux pensionnaires de la Villa Médicis semblent avoir une conscience aiguë des limites de la croissance. Après le club de Rome en 1968, la villa médicéenne serait-elle devenue le nouveau centre pour penser un système humain à bout de souffle ? Si le politique semble faire défaut, l’art peut-il tenter d’approcher une réponse ? Ou au moins de réveiller les consciences ? Retour pour Forbes avec 4 pensionnaires de la célèbre Académie de France à Rome.

Villa Médicis à Rome

Quand le centre de l’Académisme …

Une institution de renommée mondiale. Debussy, Ingres ou encore Balthus…. Les murs de l’Académie de France à Rome, fondée par Colbert, ont vu passer les plus grands artistes. Ses pensionnaires sont aujourd’hui présents pour une durée d’un peu moins d’un an, rémunérés environ 3400 euros par mois. Un concours qui s’est ouvert à de nombreuses disciplines – peinture, histoire de l’art, musique, cinéma, etc.. et sans restrictions de nationalité — deux Italiens font par exemple partie de la promotion 2019. Avec un budget pour la Villa d’environ 7 millions d’euros – 4,7 millions du ministère de la culture et 2,3 millions de ses ressources propres, chaque pensionnaire dispose d’un budget de production. Ce creuset médicinien fait ainsi converser les différents arts et c’est comme si l’esprit florentin de Laurent le Magnifique était encore présent dans la villa du mont Pincio. Mais les pensées des artistes se tournent aujourd’hui particulièrement vers l’environnement comme en témoigne la dernière exposition sur l’Anthropocène.

Reconstruire le regard, Chantier ouvert autour de l’ Anthropocène.

… proclame que «l’Anthropocène n’est pas la fin des temps mais un temps de la fin»

L’eschatologie. L’étude des fins. Une science qui contemple une humanité qui tente d’arraisonner le monde sans y arriver. À la Villa Médicis, c’est un véritable chantier qui s’est ouvert pour confronter des regards d’experts artistiques et théoriques sur le besoin urgent de nouvelles représentations collectives les 26 et 27 mars derniers. Un panel d’intervenants qui rassemble aussi bien des philosophes, des scientifiques, des architectes que des artistes de la Villa. Une approche pluridisciplinaire qui permet de dévoiler les passerelles qui peuvent être bâties vers d’autres approches sur les questions écologiques. Les interventions ont d’ailleurs été enregistrées et vont faire l’objet d’une diffusion gratuite sur le site de la Villa. L’objectif : réveiller cette responsabilité qui dépasse les êtres humains. Une responsabilité du futur, d’une humanité à venir. C’est le principe de responsabilité développé par le philosophe allemand Hans Jonas en 1979. Celui-ci développe une éthique écologique préoccupée des problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les sociétés. Et aussi celles de demain. Mais quels sont les visages de ces têtes qui pensent la préservation de la planète ?

Quand l’art pense demain — 4 visages de la Villa Médicis

François Hébert et le Cinéma comme thérapeutique face à l’effondrement 

François Hébert

Filmer la fin d’un monde. François Hébert serait-il le prophète de malheur de la Villa ? C’est à la lecture du rapport d’un ami sur l’environnement qu’il prend conscience de la gravité de la situation. Une lecture qui crée un basculement chez ce jeune homme qui a déjà réalisé 5 films dont réponse au brouillard ou les Carnets d’Élisa. François Hébert a commencé à étudier le droit public avant de passer par la Fémis. Ce parcours atypique a donné naissance à une approche politique, presque sociologique, que l’on peut voir à l’œuvre dans Réponses au brouillard. Ce moyen-métrage documentaire sait parfaitement capter les problèmes de notre génération : « Moi, dans le futur, je rêve juste d’avoir un CDI », assure Théophane. Ici pas de scénario mais une récolte d’images documentaires, comme une façon d’organiser le pessimisme. « Apres mes études de cinéma, j’ai eu envie de comprendre mon rapport aux images». Une démarche qui s’accorde avec la définition de l’art d’Ernst Gombrich « comme tentative de l’homme de trouver un accord avec le monde où il se trouve ». C’est ainsi en se concentrant autour de la figure de l’historien de l’art Aby Warburg, interné quatre ans durant à la clinique du docteur Binswanger, qu’il travaille actuellement la question des thérapeutiques à même de faire face à l’effondrement. Un ambitieux programme pour un jeune homme talentueux.

Théophane « Moi, dans le futur, je rêve juste d’avoir un CDI »

Clara Iannotta et la création d’instruments

Clara Iannotta

« Je m’amuse». Voilà ce qui anime l’esprit pétillant de Clara Iannotta. L’artiste basée à Berlin a su bien s’entourer, notamment d’un ami ingénieur qui l’aide à donner vie à son inspiration. « Je veux créer une musique visuelle pour une écoute physique. » explique-t-elle. Tout un programme. Mais quelle est l’origine de ce génie créateur ? Réponse : une enfance sans jeu. « Petite, mon père nous interdisait tous les jeux et nous devions les construire nous-mêmes ». Une compositrice qui voit depuis le monde de façon différente. « Je vois en effet un objet comme un potentiel et non une utilité». Une perception unique. Devenue musicienne, elle a donc décidé de construire ses propres instruments pour « Regarder la musique», comme l’écrivait Luciano Berio dans son cours d’esthétique à Harvard. Un exemple : son Piano-Machine. « Je déteste le son de clavecin qui dégage le passé, le baroque.». Clara Iannotta a eu l’idée d’utiliser un EBow de guitare pour mettre en résonance les cordes de l’instrument baroque par excellence. Et le nouvel instrument donne « des sons très, très purs». Pour finir sur la vie à la Villa et son caractère : « Je n’ai aucune vie sociale car je travaille énormément. Et si je suis propre dans la vie, je reste attirée par le sale dans l’art. ».

L’antimachine de Clara Iannotta

Riccardo Venturi et le concept de dispatrie

Villa Médicis
Riccardo Venturi

Qui de mieux qu’un Italien dans la Villa française pour aborder le concept de dispatrie ? Riccardo a participé activement à la récente exposition Reconstruire le regard — Chantier ouvert autour de l’anthropocène. Italien de naissance, Riccardo Venturi est né à Rome et travaille à Paris depuis 2002 en tant qu’historien d’art contemporain et critique. Après avoir obtenu un doctorat en histoire de l’art à l’Université de Nanterre, il développe actuellement un concept qu’il a créé : la dispatrie. « Deux syllabes suffisent — même une — et la prononciation d’un seul mot pour révéler, derrière la langue parlée, la présence d’une autre langue. Cela s’appelle un accent. » selon Alain Fleischer : l’accent, cette langue fantôme qui est idéale pour approcher son concept. Son projet : un roman sur la dispatrie et travailler sur les interstices de ce concept. « On quitte son pays sans jamais le quitter ». Une conceptualisation de l’Autre qui parle bien à l’Italie, passée au XXème siècle de pays d’émigration à pays d’immigration, du Little Italie de New-York aux naufragés de Lampedusa. « Le mot naturalisé est particulièrement révélateur de l’état de dispatrie, constitutive de trois éléments : l’identité, le territoire et la langue. » relève-t-il. Un thème particulièrement actuel à l’heure où les nationalismes semblent se réveiller. Pour finir, sa démarche d’organisation du travail s’inspire d’Italo Calvino, l’écrivain italien du Vicomte pourfendu. C’est-à-dire un bureau par projet. Il dispose donc de trois bureaux : un pour la dispatrie, un pour l’étude de Piranèse avec ses vues de Rome « des petits personnages écrasés par les ruines » et un dernier sur l’Anthropocène.

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Piranèse : Veduta dell’Anfiteatro Falvio, detto il Colosseo, 1757

 

Pauline Lafille et le son des tableaux

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Pauline Lafille

Et si les tableaux avaient une musique ? Ou plutôt des sons ? Voilà le projet original de Pauline Lafille, historienne de l’art à la Villa Médicis. « Le séjour à Rome permet d’avoir une approche transversale par les différents contacts avec les pensionnaires. J’ai ainsi pu présenter mon travail de recherche sous forme d’exposition, ce que je n’avais jamais eu l’occasion de faire jusqu’à présent.». Elle explique ainsi sa démarche « Il ne s’agit pas de bruiter les tableaux. Mais par les bruits, d’offrir une nouvelle façon de regarder. Donner par le son une texture, une ambiance qu’on ne voit pas forcément, voire faire deviner un hors champ. » Il ne s’agit aucunement de faire bruire les tableaux mais plutôt de révéler par l’oreille ce que l’œil ne voit pas. Amener l’œil à découvrir les différents registres qu’il n’aperçoit pas au premier regard. Un exemple : La bataille de San Romano de Paolo Uccello (1456), avec le panneau du Louvre qui représente une scène juste avant une bataille. Imaginons un instant un hennissement — « un des plus originaux de la Renaissance» selon l’historienne de l’art ou encore le bruit du frottement des plumes qui ornent les casques… Le bruit permet ainsi de donner une temporalité au tableau, de saisir le commencement de la bataille. L’œil voit, l’oreille guide. Pauline Lafille serait-elle la synesthète de la Villa ?

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La bataille de San Romano de Paolo Uccello – 1456

L’œil du Quattrocento. Le livre de Michael Baxandall révélait que la perception d’une œuvre était purement sociale, propre à un temps et à une éducation. Et c’est finalement cette même démarche qu’on pourrait observer dans l’exposition sur l’Anthropocène de la Villa Médicis. Un œil que l’on travaille pour former un nouveau regard sur l’environnement. Ou autrement dit, esthétiser la destruction de la planète pour éveiller les consciences. C’est donc une réalité angoissante qui s’offre à nos yeux ; angoissante — littéralement ce qui nous tient à la gorge. Cette même angoisse que l’on peut pourtant aussi voir, de Kierkegaard à Sartre « comme le vertige de la liberté ». Une exposition qui serait au fond plus une invitation à l’action qu’à la réflexion.

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