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Pourquoi Le Vignoble Bordelais Boude-T-Il Le Bio ?

Bio
Source : Gettyimage

En 2013, les conversions en bio dans le vignoble bordelais chutent de 40%. Une vague dévastatrice de mildiou, maladie qui fait frémir le numéro un du vin français, écarte la perspective d’un territoire viticole éco-responsable. Aujourd’hui, si les domaines viticoles des grandes appellations françaises passent au vert, le Bordelais demeure largement en arrière-plan. Décryptage.

L’agriculture biologique met au cœur de son système le fonctionnement « naturel » du sol.  Elle repose sur le respect des équilibres naturels, excluant ainsi l’usage des produits chimiques de synthèse, et limitant l’emploi d’intrants. Certaines régions sont soumises aux contraintes d’un territoire inhospitalier au développement de l’agriculture biologique. À Bordeaux, appellation viticole de renommée mondiale, la culture de la vigne subit de plein fouet les défaveurs du climat girondin.

Le vignoble Bordelais : mauvais élève du bio

En termes de surface, la Gironde, cœur du bordelais, est le premier département viticole de France, mais elle ne consacre que 6,7% de son vignoble au bio. C’est d’autant plus explicite quand on compare avec les autres régions motrices dans le domaine. En France, 20% de tous les pesticides utilisés dans l’agriculture le sont dans les vignes, alors qu’elles ne représentent que 3% de la surface agricole. À Bordeaux, bien que comptant trois fois moins de pesticides dans ses vins qu’il y a quatre ans, la situation est critique puisque l’on compte 3 320 tonnes de pesticides pulvérisés par an.

Le plan Ecophyto 2 proposé par le Grenelle de l’environnement a pour objectif de réduire de 50% l’utilisation des produits phytosanitaires à l’horizon 2025, en instaurant un cadre d’action communautaire pour une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. La route jusqu’au « zéro pesticides » s’annonce tumultueuse, le plan Ecophyto 1 ayant constitué un échec total.

Il existe quatre familles de vignerons bio : les « sans-papiers », les biologiques, les biodynamistes et les Natures. De nombreux vignerons rechignent devant les formalités, les contrôles et le temps nécessaires à la certification bio, et s’en remettent à leur propre cahier des charges. Beaucoup d’exploitants soumis aux intempéries, en particulier dans le bordelais, veulent rester libres de traiter ponctuellement une attaque de mildiou ou d’oïdium dans leurs vignes qui menacerait leur récolte. Or, le processus de certification en agriculture biologique interdit tout recours aux traitements chimiques. C’est pourquoi bon nombre de viticulteurs girondins travaillent en bio mais sans réclamer le label AB.

La biodynamie est une continuité de l’agriculture biologique, en y intégrant la considération des cycles du cosmos et de la lune ainsi qu’une approche holistique. À elle seule, la biodynamie ne permet pas d’assurer la production de la récolte. Cependant sur des bases agronomiques saines, elle potentialise l’expression d’un terroir et renforce la bonne santé du vignoble.

Les vignobles Natures n’utilisent comme produit que le soufre en faible quantité. Pour Cécile Castex, œnologue et professeur à l’École Bordelaise du Vin, il est très difficile voire impossible de produire du vin Nature en Gironde. « Les vins Natures sont plus présents dans les Côtes du Rhône parce que les sols sont propices et les conditions climatiques sont idéales pour la culture de la vigne : beaucoup de soleil et de vent. Ici, c’est tout l’inverse, l’humidité et la chaleur combinés apportent les maladies et le problème des Natures, c’est qu’en se passant de tout produit, ils perdent la très grande majorité de leur récolte et la production qui survit n’est pas forcément de qualité. »

Le vin bio peut-il se faire une place en Gironde ?

Une des particularités des Bordeaux est de provenir, dans leur grande majorité, d’un assemblage de plusieurs cépages. Chaque grand cépage bordelais porte en lui des caractéristiques qui lui sont propres. L’assemblage permet aux vins de profiter des qualités complémentaires des différents cépages. Dans cette méthode de production, les parcelles sont traitées séparément.

Est-ce que la façon de produire à Bordeaux est compatible avec le bio ? Le vigneron bio refuse les intrants. Il n’utilise que des produits d’origine naturelle, en particulier le cuivre, et des produits préventifs sur les maladies. Le problème ? Une simple pluie peut rincer ces produits préventifs. En cas de mauvais temps, un viticulteur bio prend donc le risque de perdre en partie sa récolte. Il est ainsi compliqué de produire en bio compte tenu du climat océanique bordelais, avec une météo favorable aux maladies (mildiou et oïdium) et à la pourriture dans la vigne. Pour Nicolas Roux, vigneron de l’Entre-deux-mers en dernière année de conversion bio, le bio a été un choix de conscience : « J’ai eu l’impression de retrouver mon métier. En bio, quand on bichonne la vigne, elle nous le rend plus facilement qu’en conventionnel ». Si la conversion est un épanouissement pour le viticulteur girondin, elle n’en est pas moins difficile. « Il a fallu repenser les méthodes de fertilisation et augmenter la masse salariale car le bio nécessite plus de main-d’œuvre. On a subi beaucoup de pertes la première année à cause du mildiou. » Le terroir bordelais ne change pas en bio, et les spécificités qui font sa superbe ne sont pas altérées. Mais le passage au bio nécessite de revoir sa façon de produire, surveiller les stations météos d’une manière millimétrée et surtout être omniprésent dans la vigne.

Est-ce que le climat bordelais est un véritable handicap ? Dans le cas de la vigne, un facteur important susceptible d’expliquer les variations de niveau de traitements phytosanitaires entre deux années est la pression parasitaire, cette pression étant elle-même en large partie liée aux facteurs climatiques. Importé des Etats-Unis au XIXe siècle, le mildiou est un champignon parasite spécifique de la vigne. Il se développe à la faveur des printemps pluvieux et doux. Contaminant les organes herbacés de la vigne, il peut entraîner d’importantes pertes de récoltes. Le mildiou a fait beaucoup de ravages en 2018. Toutes les appellations ont été concernées, jusqu’au bassin méditerranéen. Du jamais vu depuis plusieurs décennies, de mémoire de viticulteurs bordelais. La conjonction de précipitations et de température élevées a donné cette virulence, et les vignes ont dû être traitées à la mesure de la catastrophe.

La viticulture bordelaise : entre compromis et paradoxes

La viticulture raisonnée est une méthode qui tend à n’employer les produits phytosanitaires pour le traitement de la vigne que lorsque cela est nécessaire. Pourquoi le bordelais préfère privilégier le raisonné au bio ? Le processus de certification en agriculture biologique interdit tout recours aux traitements chimiques, et même le cuivre, fongicide autorisé en bio qui apporte pourtant une couverture efficace contre le mildiou, se révèle insuffisant en cas de grosse attaque. C’est pour cette raison que le mode d’agriculture raisonnée est fortement représenté en Gironde. Pour Cécile Castex, la certification bio est plus une mode qu’une véritable référence. « La présence de tous ces labels est superficielle. L’empreinte carbone autour de la viti-viniculture est présente dans tous le cas, que l’on soit en bio ou en conventionnel ».

Jean-Marie Briau est un viticulteur conventionnel du Bergeracois. En 2018, 80% de son merlot, cépage le plus ravagé par le mildiou, a été touché par la maladie, ce qui a induit à 5% de pertes malgré les traitements. « Le bio coûte moins cher parce qu’il nécessite moins de produits, mais il faut traiter beaucoup plus souvent avec la bouillie bordelaise et le cuivre, avec un risque beaucoup plus élevé de perte de récolte à cause du mildiou ». Le viticulteur de Gardonne dépend de la cave du Fleix, avec qui il tient un engagement AgriConfiance tenu par un Livret du producteur. Cet accord fonctionne selon une charte « Certiphyto » qui impose des normes millimétrées selon le principe de l’agriculture raisonnée.

Jean-Marie Briau dans sa vigne, le tracteur en plein effeuillage.

AB, Bio Cohérence, Demeter, HVE, Terra Vitis, Nature et Progrès, Byodivin, AVN…, la multiplication des labels établit une confusion des vignerons et par conséquence des particuliers. « Les consommateurs ne sont pas formés à tous ces labels, il y en a trop ». Même les élèves de Cécile Castex, qui ont pourtant des cours sur le vin bio, ne peuvent les citer tous. « Les labels sont une affaire de marketing. Les consommateurs se fient au label AB que tout le monde connaît. »

Un paradoxe persiste : le bio est présent dans la vigne, mais pas dans le vin. La culture biologique de la vigne est réglementée mais pas le processus de vinification. Pour l’œnologue bordelaise, cela relève de l’hypocrisie : « Le cuivre et soufre utilisés en bio sont à vrai dire les pires métaux polluants. La fermentation alcoolique digère les pesticides, mais pas le cuivre. Levures, bactéries, et soufre sont présents : il n’y a pas de restrictions dans le chai ». Les résidus de produits phytosanitaires sont omniprésents, en bio comme en conventionnel, et en quantité particulièrement importante en Gironde. En 2018, 16 molécules de pesticides avaient été trouvé dans un cru de Bernard Farges, vice-président du CIVB (Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux). La majorité des résidus retrouvés en bouteille proviennent de pesticides fongiques, utilisés pour lutter contre le mildiou. La maladie se trouve donc bien sur tous les fronts dans le vignoble bordelais.

En l’absence de restrictions, peut-être existe-t-il des solutions pour éradiquer les résidus ? Pour Cécile Castex, il faut considérer en amont le vaccin et non le traitement : « Nous sommes dans une recherche de clones résistants au mildiou. Il faut garder la variété sans la modifier, afin de garder l’unicité du terroir bordelais ». Selon Sylvie Dulong, présidente de la FRAB Nouvelle-Aquitaine et elle-même vigneronne bio, la recherche de solutions s’annonce très ardue : « Nous sommes très exigeants sur les spécificités des cépages diversifiés qui font la réputation de nos vins, de nos appellations. Comment tout remettre en cause ? Nous ne sommes pas à l’abri d’un contournement de la résistance ». Pour l’heure, la réduction des traitements préventifs et systématiques s’impose, car la prophylaxie de la vigne demande à favoriser la biodiversité. L’utilisation du cuivre est encore une nécessité en viticulture biologique puisque la vigne n’est pas capable de s’auto-défendre et que le cuivre est efficace contre le mildiou. L’optimisation des doses, le respect de la biodiversité et les cépages résistants sont les alternatives les plus saines. 

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