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Pierre-François Thaler (EcoVadis) : « Il faut récompenser les entreprises engagées en RSE et non seulement pénaliser celles qui ne le sont pas pour faire changer les choses »

Pierre-François Thaler (EcoVadis)
Pierre-François Thaler (EcoVadis)

EcoVadis a fait de la notation RSE son credo depuis maintenant plus de 15 ans, bien avant que les enjeux durables ne soient aussi pressants dans le monde économique. Pierre-François Thaler, cofondateur et co-CEO de l’entreprise devenue licorne en 2022, nous explique comment il souhaite procéder pour que tous les acteurs de la supply chain soient impliqués dans la maitrise de leur impact climatique et social.

 

Forbes : En résumé, que propose concrètement EcoVadis ?

Pierre-François Thaler : EcoVadis est une plateforme de notation et un fournisseur de data de performance environnementale et sociale pour les entreprises à travers le monde. Ces données sont accessibles en cloud et donnent de la visibilité sur toute la chaîne en incluant les fournisseurs ou encore les partenaires de l’écosystème qui gravite autour de nos clients.

Avant de lancer le projet en 2007 avec Frederic Trinel, je travaillais chez l’éditeur de logiciels SAP Ariba (ex-SAP) et nous commencions tout juste à recevoir de nombreux questionnaires sur notre performance environnementale et sociale. Je me suis demandé comment rendre ces process plus efficaces et ainsi tout mutualiser au même endroit pour rendre l’accès à cette information moins coûteuse.

Si nous voulons que la planète reste vivable, il faut évidemment légiférer pour donner un prix au carbone mais aussi travailler sur la transition des pratiques d’achat en B2B. Les 1 400 grandes entreprises dans le monde, clientes d’EcoVadis, achètent 5 000 milliards d’euros de produits et de services par an. C’est ce segment-là qui retient notre attention avec une vision globale de la supply chain. EcoVadis compte à ce jour plus de 130 000 fournisseurs et entreprises parmi ses abonnés : c’est déjà beaucoup mais ces derniers sont au nombre de 10 à 20 millions dans le monde. Les outils de mesure sont prêts, l’heure est au passage à l’action et cela dépend aussi grandement de l’évolution réglementaire.

 

Cette évolution réglementaire semble d’ailleurs bien amorcée en Europe ?

P.-F. T. : Oui, l’Europe est en avance et elle contribue à inspirer le reste du monde. Nous avons eu droit en 2020 à la taxonomie européenne permettant une classification des activités économiques ayant un effet favorable sur l’environnement ou encore à la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), applicable depuis le 1er janvier 2024 et qui fixe de nouvelles normes pour encourager le développement durable des entreprises.

À l’échelle internationale, nous pouvons aussi évoquer l’initiative Science Based Targets (SBTi), lancée en 2015 lors de la COP 21 en partenariat avec le Carbon Disclosure Project, le Pacte mondial des Nations unies, le World Resources Institute et le Fonds mondial pour la nature. Au total, plus de 5 000 grandes entreprises ont décidé de certifier leurs engagements via ce biais pour faire de leur transition vers une économie bas-carbone un avantage compétitif à part entière.

Il existe une injonction contradictoire entre la recherche de rentabilité et de performance environnementale et sociale. Mais la RSE n’est désormais plus synonyme de désavantage concurrentiel, en particulier pour les acteurs de la supply chain.

En mars dernier, la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) a été votée pour justement promouvoir un comportement durable et responsable des entreprises sur les chaînes de valeur mondiales. Toutes les entreprises qui affichent un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros en Europe sont tenues de faire ce travail de « due diligence » auprès de leurs fournisseurs, pour s’assurer qu’ils ont bel et bien un plan de réduction de leur impact carbone.

 

Comment évaluez-vous le niveau de maturité des organisations en France et à l’étranger sur ces sujets RSE ?

P.-F. T. : Il existe de très grandes différences régionales sur ces enjeux. L’Europe est largement en avance et le score RSE moyen des PME et ETI françaises place l’Hexagone en troisième place derrière la Suède et la Finlande. C’est un grand atout de compétitivité car nos entreprises ont effectivement plus de chances de décrocher des appels d’offres.

Notre dernier “Network Impact Report” publié en mars pour la quatrième année consécutive confirme cette accélération de l’adoption des bonnes pratiques RSE en entreprise, comme l’utilisation croissante des énergies renouvelables, la déclaration des émissions de gaz à effet de serre (GES), la mise en place de programmes d’égalité professionnelle, et plus encore.

De leur côté, les États-Unis ont longtemps été en retard mais un effet de rattrapage a eu lieu ces cinq dernières années. L’Asie aussi progresse très vite et nous disposons à ce titre d’une équipe de 80 personnes au Japon qui travaille avec 20% des plus grands groupes du pays. Le privé comme les pouvoirs publics ont pris conscience de l’urgence car beaucoup d’acteurs de la supply chain auront du mal à survivre sans transition. Si nous n’investissons pas en ce sens, cela va rendre notre accès aux ressources d’autant plus critique.

 

Quels conseils donneriez-vous à une entreprise pour qu’elle parvienne à instaurer des pratiques RSE plus vertueuses dans tout son écosystème ?

P.-F. T. : Commencez par regarder ce que les clients attendent. Ce n’est pas la peine de travailler sur tous les fronts en même temps, il faut cibler un sujet RSE pour ensuite en faire un atout compétitif à valoriser auprès de ses clients.

Le deuxième conseil serait de prioriser les fournisseurs et les catégories les plus importantes en termes de potentiel d’impact. Et enfin, une stratégie RSE ne doit pas être uniquement coercitive mais doit aussi actionner des leviers incitatifs et positifs pour tout l’écosystème.Il faut récompenser les entreprises engagées en RSE – en leur donnant la priorité – et non seulement pénaliser celles qui ne le sont pas pour faire changer les choses.

 

Vous avez levé 500 millions de dollars en 2022. À quoi ont servi ces fonds et quelles sont les prochaines étapes ?

P.-F. T. : Cela nous a surtout permis d’accentuer nos investissements en R&D afin de lancer de nouveaux produits, par exemple sur la décarbonation des supply chain ou encore sur le mapping des risques RSE de millions d’entreprise en utilisant l’IA.

Nos efforts vont aussi se concentrer sur notre croissance externe et nous avons d’ores et déjà des discussions en cours avec certaines entreprises engagées sur des thématiques RSE très ciblées comme les droits humain ou la biodiversité. Nous souhaitons désormais aller davantage en profondeur pour renforcer notre offre. Ces entreprises sont d’ailleurs globales car le fait de s’attaquer au secteur de la supply chain nous impose d’être sur le volet international. Et pour cause : 80% de notre chiffre d’affaires est aujourd’hui réalisé à l’export.

 

Votre dernière levée vous a permis d’accéder au rang restreint des licornes, ces start-up valorisées à plus d’un milliard d’euros. Dans le même temps, vous êtes aussi qualifié de centaure en dépassant les 100 millions de dollars de revenus annuels récurrents (ARR). Lequel des deux statuts préférez-vous ?

P.-F. T. : Oui, nous sommes bien à la fois une licorne et un centaure. Le statut de licorne offre surtout de la reconnaissance mais ce n’est pas une fin en soi. La croissance organique de notre modèle est à mon sens plus intéressante car cela conforte notre capacité à entraîner plus d’organisations dans cette dynamique de réduction des impacts environnementaux et sociaux.

C’est pour cela que je prône davantage l’accès au statut de gigacorne ; lorsque l’exploit de réduire ou capturer les émissions de CO2 d’une gigatonne (un milliard de tonnes) par an a été atteint. Nous avons encore beaucoup à faire pour y parvenir, l’enjeu reste de simplifier la gestion de la complexité liée aux sujets d’agrégation et de lisibilité des données carbone.

 

Il semblerait qu’une éventuelle introduction en bourse soit aussi envisagée ?

P.-F. T. : Oui, c’est une des options possibles à moyen ou long terme car cela peut amener une grande visibilité à notre marque, tout en faisant preuve de transparence. Mais ce n’est pas un passage obligé et rien n’est encore acté.

 

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