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L’Urgence Climatique Doit S’Inscrire Dans L’Urgence Economique

urgence climatique
BRISBANE, AUSTRALIA - 2020/02/04: A protester dressed in blue holds a banner saying "Climate Change is a Health Emergency" during the demonstration in Brisbane. Extinction Rebellion protesters vowed to disrupt the reopening of Queensland Parliament outside Parliament House in Brisbane City to call for an end to government corruption, urgent climate change action and for the abandoning of support for the Adani coal mine on the Queensland central coast. The internationally renowned group halts business as usual by way of blocking roads, organising rallies and disrupting mining operations in an effort to force political change. (Photo by Joshua Prieto/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

Tant qu’à être dans un monde soudain devenu si différent, c’est le moment de changer certaines pratiques de consommation et de production… que nous devrons changer de toutes façons. Par Philippe Delmas, auteur de « Un pouvoir implacable et doux, la Tech ou l’efficacité pour seule valeur » (Fayard, 2019).

Notre vie est à crédit.

Crédit économique, accordé avec prodigalité parce que le court terme nous prend à la gorge et que nous avons appris de la crise de 2008.

Crédit climatique, assumé parce que le long terme a de meilleures manières. Ces dettes sont également indispensables mais de nature bien différente. La première est négociable voire révocable. Il flotte l’idée qu’elle ne sera jamais vraiment remboursée. La seconde est irrévocable : le climat est un créditeur âpre et porté à l’usure qui fait payer cher les retards.

Quel rapport établir entre ces deux dettes ? Les uns, soucieux de la crise immédiate, veulent en protéger la résolution en reportant les contraintes nées du long terme. A quoi sert de soigner demain si l’on doit mourir aujourd’hui ? Les autres expliquent que défendre le long terme est un bon moyen d’aider le court terme. Tant qu’à être dans un monde soudain devenu si différent, c’est le moment de changer certaines pratiques de consommation et de production que nous devrons changer de toutes façons.

La seconde approche paraît justifiée par l’urgence climatique. Le GIEC demande une baisse de 45 % des émissions entre 2010 et 2030 : elles ont augmenté de 18 % fin 2019… Cependant, la plupart des suggestions ne semblent pas mesurer l’ampleur du désastre économique en cours. Lutter pour le climat doit aider l’économie tout de suite sans la ruiner davantage. Accélérer la R&D sur les batteries, de véhicule ou de réseau électrique serait utile, mais de faible impact à court terme. L’isolation des logements est efficace pour le BTP, mais coûte cher pour un impact climatique limité, comme l’a illustré Esther Duflo.

Si le but est d’aider le climat et la relance à court terme, il faut avoir en tête des grandeurs simples. En incluant les émissions qu’ils importent, les pays de l’OCDE émettent environ un tiers des gaz à effet de serre et les pays en développement ou émergents (PVDE), les deux tiers. L’UE en représente environ 10 % : ses émissions sont équivalentes à celles des seules industries exportatrices chinoises. Du point de vue de la planète, le rendement climatique des efforts de l’Europe est modeste – précisément parce qu’elle fait ce qu’il faut. Ce n’est pas une raison pour arrêter, y compris parce que le rendement économique de ses efforts peut être grand si elle domine des technologies clés pour l’environnement. Cela veut dire que nous devons distinguer deux approches pour concilier climat et relance immédiate.

En ce qui concerne nos pays, la clé est le soutien à cette partie de la demande qui contribue à réduire rapidement les émissions. En premier, les transports, qui en produisent 30 % et dont les émissions ont augmenté de 13 % depuis 1990, malgré tous les progrès parce que nous nous déplaçons plus. Accélérer le passage à l’électrique, véhicules et infrastructures, est une mesure d’effet direct sur le climat et la croissance, dont la contrepartie est de ne pas relâcher la progression des normes sur les moteurs thermiques. Ensuite, l’ensemble des industries produisent 30 % des émissions. Les progrès sont massifs (-45 % depuis 1990) mais plusieurs secteurs pourraient réduire leurs émissions avec des procédés qui existent mais ne sont pas rentables aujourd’hui. Les y aider serait utile et efficace et permettrait aussi d’augmenter le prix du CO2 sans pénaliser notre compétitivité – moyennant des taxes adéquates aux frontières de l’UE.

Tout ceci aura un impact sur la relance et sur le climat, mais sera marginal pour ce dernier. L’autre volet de la relance doit donc porter sur la réduction des 70 % des émissions mondiales produits par les PVDE.

Certains plaident pour une réduction des échanges. Ceci n’a de sens que pour quelques produits clés, dont l’agroalimentaire, où l’Europe peut être autosuffisante. Y parvenir pourrait passer par un plan de relance agricole, en ciblant les productions favorables à la réduction des émissions qui, en France, n’ont pas baissé depuis 1990. Quant aux PVDE, ils ont besoin d’acquérir leur autosuffisance alimentaire. Les règles de l’OMC ont imposé une mondialisation absurde à ce sujet, qui ne nous apporte rien (importer des fraises du Chili a-t-il un sens ?) et nuit gravement aux PVDE. Faute de pouvoir protéger leurs autosuffisance, ils importent une partie de leur alimentation et celle-ci s’éloigne de leurs traditions, qui correspondent à ce que leurs sols peuvent produire. Pour les autres secteurs, réduire les importations n’aura guère d’impact net sur le climat (il faudra produire quand même) et en aura un négatif sur nos économies, où des milliers d’emplois dépendent des exportations vers les PVDE.

En revanche, aider ceux-ci à améliorer leur environnement et réduire leurs émissions serait un inves- tissement utile, rentable et conforme à nos engagements dans l’Accord de Paris. Ces actions doivent être d’effet rapide pour eux comme pour nous, ce qui réduit la cible. En ce qui concerne le climat, une priorité accessible est le remplacement des centrales à charbon et à pétrole des PVDE (hors Chine) où elles produisent 38 % de l’électricité. Des financements exports et des garanties de risque à des conditions exceptionnelles pourraient permettre à nos industriels d’accélérer ce remplacement. Il en va de même dans la gestion de l’eau, des déchets ou des transports, y compris de leurs infrastructures. Il serait utile et fructueux d’aider nos industriels à répondre à ces besoins dans des conditions dérogatoires qui rendraient service à notre économie et notre planète en améliorant la vie de millions de personnes.

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