Rien ne va plus entre l’Allemagne et la France. En effet, le projet de taxonomie verte de la Commission européenne voit s’opposer les deux pays. En Allemagne, ce projet visant à considérer les nouveaux investissements dans l’énergie nucléaire et le gaz naturel comme « verts » ne fait pas l’unanimité.
Dimanche 2 janvier, le gouvernement allemand a critiqué la tentative de la Commission européenne de classer les investissements dans le nucléaire comme respectueux du climat, alors que de nombreux experts ont souligné la fiabilité de l’énergie nucléaire et sa capacité à produire de l’électricité sans émissions de gaz à effet de serre (GES). Cependant, le gouvernement allemand a indiqué être ouvert à la labellisation de certains projets de gaz naturel comme durables, alors même que les émissions de dioxyde de carbone et de méthane sont inhérentes à la combustion du gaz naturel : une aubaine pour Gazprom et la Russie !
Il y a quelques jours, l’Allemagne a fermé la moitié de ses six centrales nucléaires encore en activité dans le cadre de son engagement à éliminer toute énergie nucléaire d’ici 2022. Une nouvelle décision qui laisse perplexe, compte tenu de l’incapacité de l’Allemagne à respecter les engagements de l’ère Merkel en matière de climat.
La ministre fédérale allemande de l’Environnement, de la Protection de la Nature, de la Sécurité nucléaire et la Protection des consommateurs, Steffi Lemke, a vivement critiqué la proposition de la Commission européenne. Selon la ministre allemande, l’énergie nucléaire « ne peut être considérée comme durable », car elle peut entraîner des catastrophes environnementales et elle engendre une grande quantité de combustibles usés. En Allemagne, les Verts mènent l’offensive contre l’énergie nucléaire, tandis que le gouvernement, dirigé par le Parti social-démocrate (SPD), dans une coalition avec les Verts et le Parti libéral-démocrate (FDP), adopte le gaz naturel comme énergie verte.
Le projet de la Commission européenne est l’aboutissement d’une bataille d’un an entre les États membres de l’Union européenne (UE) pour déterminer quels investissements sont respectueux de l’environnement. L’UE a entrepris de créer un système de taxonomie pour définir quelles activités économiques sont durables. Cet outil réglementaire vise à rendre les investissements respectueux du climat plus attrayants pour les sociétés de capital privé, en empêchant l’« écoblanchiment ». Ce phénomène se produit lorsque des entreprises et des entités gouvernementales attribuent abusivement des qualités écologiques à un produit, à un service ou à une organisation, dans le but d’obtenir des contrats lucratifs ou des incitations fiscales.
La taxonomie de l’énergie nucléaire fait depuis longtemps l’objet de débats au sein de l’UE. Outre l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg s’opposent également à la classification des réacteurs nucléaires comme énergie durable aux côtés de l’éolien et du solaire. La France, qui tire 70 % de son électricité de ses centrales nucléaires, est un fervent défenseur de cette nouvelle taxonomie. D’autres pays consommateurs d’énergie nucléaire, comme la Finlande et la République tchèque, soutiennent la position française et considèrent qu’il est crucial d’éliminer progressivement les centrales au charbon. L’Allemagne, l’un des principaux pays décideurs au sein de l’UE, est donc en profond désaccord avec la France pro-nucléaire. Les désaccords politiques entre la France et l’Allemagne ne sont pas nouveaux. Cette querelle politique est essentielle pour comprendre le débat sur l’énergie nucléaire.
Le projet de taxonomie verte de la Commission européenne tente de trouver un terrain d’entente entre des intérêts contradictoires. Selon ce projet, le gaz naturel et l’énergie nucléaire seront classés parmi les sources d’énergie verte de transition afin d’inciter les pays à s’éloigner du charbon et des énergies émettrices de carbone. Ainsi, les agences de régulation considéreront l’énergie nucléaire comme une source d’énergie durable si les pays mettent en place des moyens sûrs et respectueux de l’environnement pour éliminer les déchets radioactifs. Il s’agit d’une préoccupation majeure pour le gouvernement allemand, qui cherche à éviter des catastrophes environnementales comme celles de Fukushima ou de Tchernobyl.
Toutefois, selon le projet de taxonomie verte de la Commission européenne, le nucléaire serait considéré comme une énergie verte que jusqu’en 2045. Après cette date, les centrales nucléaires seront soumises à des mises à niveau de sécurité pour garantir le respect des normes de protection. Cette garantie devrait permettre d’apaiser les inquiétudes de l’Allemagne.
À l’heure actuelle, les techniques de pointe d’élimination des déchets nucléaires devraient rassurer les critiques. Une fois traités, les combustibles nucléaires usés provenant de centrales électriques peuvent encore produire jusqu’à 95 % d’électricité. Les autogénérateurs ultra-performants offrent des solutions pour la gestion des déchets. Ils sont en effet conçus pour utiliser les déchets nucléaires usés comme combustible.
Si ce projet de taxonomie verte est acté au niveau européen, il est essentiel de rappeler que la Russie, le Qatar et la Norvège demeurent les premiers exportateurs de gaz naturel et de réacteurs nucléaires vers l’Europe. Ainsi, l’adoption de ce projet serait sans aucun doute une victoire pour le Kremlin, qui se prépare à acheminer 55 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an vers l’Allemagne via le gazoduc Nord Stream II, qui vient d’être achevé.
Les émissions de carbone liées au gaz naturel sont 50 % moins élevées que celles liées au charbon. Néanmoins, le gaz naturel ne peut être qualifié d’énergie verte, mais plutôt d’énergie de transition (pour être considéré comme « vert », le gaz naturel ne devrait produire aucune émission de carbone). Pourtant, ces derniers mois ont montré que la course folle de l’Allemagne et de l’Europe aux énergies renouvelables pourrait provoquer une crise économique et humanitaire. En effet, l’Europe ne dispose d’aucune solution appropriée en matière de stockage de l’énergie ou de réseaux intelligents. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne souhaite opérer un changement de politique et ouvrir de nouvelles perspectives commerciales pour les secteurs du nucléaire et du gaz.
Pourtant, la sécurité nationale doit être prise en compte, notamment en raison des craintes de guerre entre Moscou et Kiev et l’ultimatum de Vladimir Poutine. Si l’énergie nucléaire et le gaz naturel sont nécessaires pour combler le fossé entre les combustibles fossiles et les énergies renouvelables (et méritent les avantages politiques et fiscaux offerts par une taxonomie verte), il faut veiller à limiter l’influence russe dans le secteur énergétique de l’UE. Pour ce faire, l’Europe pourrait mettre en place des restrictions strictes sur les importations d’énergie, le financement et la technologie russes (en les soumettant aux normes environnementales et sécuritaires les plus strictes). L’Europe pourrait également envisager de privilégier les achats de gaz naturel liquéfié auprès d’exportateurs d’énergie américains tels que Cheniere et Tellurian. Enfin, il serait intéressant de coordonner les sanctions UE/OTAN si le Kremlin venait à agir de manière agressive en Ukraine ou ailleurs.
Néanmoins, tout cela dépendra de la capacité de la France et de l’Allemagne a trouvé un terrain d’entente sur le projet de taxonomie verte.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Ariel Cohen
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