Rechercher

En route vers 2022 | La Terre au défi de nourrir 10 milliards d’habitants

Si, en théorie, des solutions existent pour nourrir autant d’habitants, elles semblent contradictoires et répondre à des préoccupations opposées, écartelées entre nécessaire augmentation des surfaces cultivées et conséquences négatives sur le climat. Avec, en plus, le souci d’une population de se nourrir « plus propre » mais à un coût abordable. Que faire ?

 

Premier sujet de controverse : quelles surfaces consacrer à l’augmentation de la production agricole ? Dans un contexte de changement climatique dont on redoute, à juste titre, les effets les plus sévères, difficile d’admettre qu’il suffirait d’augmenter les surfaces cultivées et les rendements pour résoudre le problème, sans se soucier du reste. Dans un rapport récent, la FAO (l’Organisation Des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime qu’une des conséquences les plus notables d’une augmentation de la production agricole mondiale de 50% entraînerait « une hausse des prélèvements d’eau destinés à l’agriculture pouvant aller jusqu’à 35% ».

Une telle augmentation accroîtrait, à l’évidence, les conflits sociaux liés à ces prélèvements supplémentaires : la guerre de l’eau fait déjà des ravages sur de nombreux territoires de façon directe ou indirecte. Provoquant des déplacements de population qui, à leur tour, accroissent les tensions. A cela s’ajoute le contexte du changement climatique lui-même : la Californie, premier État agricole américain, est de plus en plus souvent en proie à de sévères périodes de sécheresse qui menacent, à terme, son approvisionnement en eau potable. En particulier les habitants de San Francisco et de Los Angeles, alimentés par des rivières au débit de plus en plus erratique.

Du côté de la surface des terres cultivées, si celle-ci devait se faire au prix d’une déforestation accrue, le remède pourrait être pire que le mal, assurent la plupart des climatologues, qui soulignent le risque d’un rejet supplémentaire dans l’atmosphère de gaz à effet de serre aggravant encore le réchauffement. Malheureusement, une fois les alertes posées, les solutions proposées sont moins claires, la FAO se contentant de recommander « une gouvernance des terres et de l’eau plus inclusive et adaptative »… On en reste également au stade des généralités du côté de la Commission Européenne, qui indique, dans le cadre de sa stratégie « Farm to Fork », présentée aux Etats membres en 2020, qu’il faut mettre en place « un système alimentaire et agricole durable en augmentant l’agriculture biologique, en finançant la recherche et l’innovation… ».

 

Le salut viendra-t-il de l’innovation technologique ?

On peut commencer à chercher les solutions du côté de l’innovation technologique, soucieuse d’améliorer les conditions d’exploitation des terres agricoles afin d’améliorer les rendements. Un peu partout dans le monde, on augmente l’utilisation de l’imagerie satellitaire, grâce au nombre de plus en plus important de satellites envoyés spécifiquement pour de tels usages, dont les images sont de mieux en mieux exploitées par les algorithmes d’intelligence artificielle qui analysent les données. Au Japon, les riziculteurs peuvent se servir en temps réel d’une cartographie qui leur indique, par exemple, les niveaux d’azote des jeunes plants. Ils peuvent distribuer de façon plus précise les engrais, là où ils sont nécessaires. Idem pour le niveau de protéine qui indique le meilleur moment pour la récolte. L’imagerie satellitaire, couplée ou non à l’usage de minuscules capteurs connectés et répartis au milieu des champs, peut également servir à mieux identifier des zones précises où il faut davantage d’eau. Optimisant ainsi la distribution et la consommation du précieux liquide.

Ailleurs, on met au point des tracteurs de plus en plus autonomes (comme pour les véhicules de tourisme) qui peuvent être pilotés à distance tout en choisissant eux-mêmes le meilleur itinéraire pour la plantation ou l’enlèvement rapide de plantes malades. On robotise également de plus en plus certaines cueillettes (feuilles de thé). Pour accélérer encore ce développement technologique et le rendre plus proche du besoin des agriculteurs, des universités se développent, un peu partout en Europe, sur les lieux même de production. Un mouvement encouragé par des fonds européens, en particulier vers l’Europe de l’Est.

Une autre direction, plus originale encore, est celle d’une agriculture qui se déplace de la campagne… vers la ville. Le concept de fermes urbaines est déjà ancien et des premiers sites pilotes ont déjà poussé dans les années 2010. Ainsi, Lula Farms, dans un éco-quartier de Montréal, produit hors sol (en hydroponie, c’est-à-dire en utilisant un mélange de nutriments administrés individuellement via un système hautement automatisé) des fruits et légumes que les locaux peuvent commander en ligne et se faire livrer. Une production en circuit court, naturelle, qui offre d’excellents rendements et n’est pas soumise aux aléas climatiques. Selon Lula Farms, cette ferme urbaine consomme, à production égale, 40 fois moins d’eau que l’agriculture traditionnelle et offre des rendements en moyenne 10 fois supérieurs. En outre, cette production offre aux consommateurs des produits ayant une meilleure valeur nutritive et plus riches en saveur puisque cueillis à maturité. Selon le concept ultime, imaginé il y a 20 ans par un professeur de Columbia, à New-York, Dickson Despommier, une telle ferme pourrait bien prendre l’apparence d’un immeuble tout entier, conçu dès l’origine dans ce but. Un gratte-ciel permettant même d’élever des animaux à deux pattes (poulets, canards, etc…), et même des poissons, et qui pourrait nourrir des dizaines de milliers d’habitants, pourrait partager son espace avec des lieux d’habitation, des bureaux ou des commerces de proximité.  En France, des enseignes comme Intermarché et Monoprx, auraient passé récemment des premiers accords avec de telles fermes, selon le magazine Reporterre.

 

Le Sri Lanka tourne le dos aux pesticides, avant de se raviser

Mais, d’une façon générale, l’innovation technologique, quelle que soit sa forme, ne permet pas encore de répondre de façon certaine à la problématique d’augmenter significativement la production sans augmenter, là aussi de façon significative, les surfaces cultivées. D’autant que, de façon implicite ou explicite, les efforts politiques vers cette agriculture du futur sont tournés vers une agriculture bio, c’est-à-dire sans recours aux produits chimiques phytosanitaires. Une pression portée par les opinions publiques mais qui se heurte à des réalités concrètes : une agriculture 100% bio sur la planète ne pourrait, en l’état actuel, nourrir la totalité des habitants, qui d’ailleurs, en majorité, ne pourraient se la payer, affirment les spécialistes.

Ce principe de réalité vient de s’exprimer récemment via l’exemple du Sri Lanka. Dont le président, en avril 2021, avait annoncé que son pays serait le premier pays du monde à produire 100 % d’aliments biologiques, interdisant alors l’importation de tout produit chimique à usage phytosanitaire. Avant de faire machine arrière six mois plus tard, sous la pression de ses agriculteurs protestant contre la brutalité de cette transition. De fait, à rebours de nombreux discours défavorables aux pesticides en général, des spécialistes de la question, comme Steve Savage, aux Etats-Unis, docteur en pathologie des plantes, tentent depuis des années de relativiser la dangerosité de ceux-ci. Tout d’abord en soulignant que les pesticides, contrairement à l’idée répandue, sont également présents dans l’agriculture bio, simplement parce qu’ils sont considérés par les agences de régulation comme « relativement non toxiques ». Selon lui, ce classement en fonction de la toxicité repose moins sur la « sécurité » pour les consommateurs que sur le degré de « naturel » de ces pesticides. Il assure ainsi que la plupart des pesticides autorisés en Californie sont moins toxique que… la vitamine C ou l’aspirine.

D’autres font remarquer que l’effort en faveur d’une agriculture toujours plus respectueuse de l’environnement et de l’humain non seulement se poursuit mais peut afficher des résultats tangibles. Ainsi, une étude de l’université de Stanford, citée par le président de Syngenta Crop Protection, Jon Parr, souligne que les technologies agricoles de ces dernières années auraient déjà permis d’éviter le rejet dans l’atmosphère l’équivalent de 590 milliards de tonnes de CO2, soit un tiers de tout ce qui a été rejeté entre 1850 et 2005…

Quoi qu’il en soit, si la présence de pesticides semble nécessaire à l’agriculture mondiale si elle veut relever le défi de la suffisance alimentaire pour 10 milliards d’humain, le sujet devrait être observé également d’un autre point de vue. Selon un article récent publié dans le journal Le Monde, les pesticides protégés par brevet sont… de moins en moins nombreux. 70% d’entre eux seraient aujourd’hui des génériques contre 30% en 2000. Conséquence : leur prix a, en moyenne, été divisé par 3, les rendant toujours plus abordables pour les agriculteurs. Autre conséquence, en quelques années, les industriels chinois sont devenus dominants sur ce marché, produisant la moitié des 4 millions de tonnes produites sur le marché mondial. L’Union Européenne a déjà commencé à s’inquiéter de cette évolution…

 

<<<  À lire également : Bruno Morizur (CEO Athlon France) : “Nous proposons aux grandes entreprises, PME, TPE des flottes de véhicules adaptées à leurs besoins” >>>

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC