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La place de nos sous-sols dans la transition énergétique

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Chémery

Sous nos pieds, une nouvelle voie vers la neutralité carbone grâce aux infrastructures souterraines de stockage du gaz

Alors que les grandes puissances commencent à s’accorder sur l’importance de définir des objectifs de neutralité carbone face à l’urgence climatique, elles peinent encore à converger vers une même stratégie, tant les voies pour y parvenir demeurent complexes, multiples et méconnues. L’une des principales difficultés de l’élaboration d’une économie neutre en carbone tient à la forte dépendance de nos sociétés au pétrole et au gaz. En plus d’être sources primaires d’énergie et d’alimenter ainsi nos transports, nos systèmes de chauffage et production d’électricité, les hydrocarbures sont également des composants élémentaires de nombreux procédés chimiques essentiels au développement de notre monde moderne. De nouvelles technologies pourraient cependant nous permettre d’en réduire notre consommation par l’électrification de nos besoins, d’en diminuer leur impact par la capture de leurs émissions ou d’en limiter l’extraction par leur synthèse soutenable et durable. Ces ambitions d’ampleur s’accompagnent de nouveaux défis tel que le stockage d’une production d’électricité renouvelable intermittente ou le stockage des émissions de dioxyde de carbone. Les solutions envisagées et déployées aujourd’hui pour relever ces défis reposent sur les infrastructures souterraines qui ont fait la gloire du pétrole et du gaz et qui pourraient ainsi devenir les structures clés de notre réseau énergétique « neutre » de demain.

 

Une technologie ancienne mais méconnue

L’électricité contrairement au gaz, ne peut pas se stocker sous sa forme propre et doit être transformée sous forme d’énergie potentielle (Station de Transfert d’Énergie par Pompage – STEP), thermique (stockage par air comprimé) ou chimique (batterie lithium-ion). Le gaz ne présente pas cet inconvénient et son stockage bien que non dénué de risques est plus aisé. Cette caractéristique confère au gaz un avantage considérable puisque sa distribution peut se plier plus facilement aux lois de la demande notamment pendant les pics hivernaux. En France, les capacités de stockage de gaz permettent de répondre à 60% de la demande hivernale, cinq fois plus importante durant cette période que le reste de l’année. Constituer des réserves énergétiques permet également de se soustraire aux dynamiques de marché et tensions géopolitiques. Si l’on reprend le cas de la France, dépendre seulement des gazoducs traversant l’Europe en hiver créerait une dépendance remarquable vis-à-vis de la Russie.
Dès le XIXème siècle, les exploitants et industriels se sont demandés comment stocker le gaz de ville, ou gaz extrait de la houille. A l’époque, il était principalement stocké dans des réservoirs à l’air libre appelées gazomètres.

 

 

C’est après la Seconde Guerre mondiale que les techniques de stockage se développent et se diversifient, participant ainsi à l’essor de l’industrie gazière. Dès les années 1960, le stockage souterrain se généralise en Europe (notamment en Allemagne et en France), ainsi qu’aux Etats-Unis. Les améliorations techniques et la connaissance de la roche favorisent de nouveaux procédés dont l’exploitation de cavités salines dans les années 1990.
Aujourd’hui, la majeure partie du gaz naturel est stockée en sous-sol. Les techniques de stockage souterrain sont moins coûteuses parce qu’elles permettent de stocker un plus grand volume de manière moins risqué et ce, en occupant moins de surface au sol que des cuves aériennes.

Il existe plusieurs types de stockage de gaz souterrain dont :

  • La nappe aquifère – c’est une couche géologique de roche perméable ou l’eau peut circuler librement. Elle est généralement située entre 450 et 2000m de profondeur. Le gaz est injecté via des tuyaux de 10 centimètres de diamètre à une pression supérieure à celle de l’eau, afin que le gaz repousse l’eau et prenne en partie sa place dans les pores de la roche.
  • Le gisement déplété – Il s’agit un gisement de pétrole ou gaz naturel qui a été exploité et qui peut accueillir de nouveau du gaz.
  • La cavité saline – C’est une formation géologique assez répandue dans le sous-sol terrestre, mais elle ne présente pas de cavités naturelles. Il faut donc les créer. Pour se faire, les ingénieurs creusent un puit de 10 centimètres de diamètre et insèrent dans ce puit un plus petit tube, comme une « paille », qui permet d’injecter de l’eau douce dans la couche de sel gemme. L’eau douce dissout le sel ; et la saumure ainsi produite est soutirée par le puit autour de la « paille » acheminant l’eau douce. L’extraction de la saumure permet de créer une cavité étanche dans la couche salifère où l’on peut ensuite injecter du gaz.

 

Au niveau mondial, plus des trois quarts des capacités de stockage souterrain sont d’anciens gisements de gaz épuisés. En France toutefois, le stockage en cavité saline et nappe aquifère domine.
La mise en exploitation de ces sites peut être longue, parfois jusqu’à six ans pour une capacité de stockage dans une cavité saline. Leur gestion est également très réglementée et encadrée tant pour le processus d’injection que d’extraction. Le gaz peut rester plusieurs semaines voire plusieurs mois avant d’être extrait du site de stockage. Lorsque le gaz est soutiré, il doit passer toute une série d’étapes dont la déshydratation, la compression et l’odorisation afin de pouvoir être réinjecté dans le réseau.   
Le gaz et son stockage sont des atouts essentiels dans un mix énergétique, tant ils permettent une planification sur le temps long et permettent de garantir une partie de notre indépendance énergétique. A titre d’exemple, l’autonomie de la France n’est que de quelques minutes si elles utilisent ses batteries, de quelques jours ses barrages et de trois mois ses réserves de gaz.

 

Perspectives du stockage de gaz dans la transition énergétique

Si ces sites sont communs aujourd’hui et accueillent principalement du gaz naturel, ils pourraient jouer un nouveau rôle dans la transition énergétique. En effet, il est envisagé que des cavités souterraines soient reconverties ou que de nouvelles soient créées pour stocker le dioxyde de carbone préalablement capturé dans l’atmosphère ou l’hydrogène, produit par l’électrolyse de l’eau.

 

Le stockage souterrain du dioxyde de carbone

Nous avons tous en tête l’impératif de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et donc nos émissions de dioxyde de carbone. S’il existe de nombreuses avancées dans les techniques de capture du dioxyde de carbone, les questions de son utilisation et de son stockage restent en suspens. Certaines options proposent de collecter le CO2 émis à la sortie des cimenteries ou aciéries pour ensuite le stocker ou plus précisément le piéger dans des aquifères, des gisements épuisés ou des veines de charbon. Des sites de stockage existent en Norvège, au Canada et aussi en Algérie. Toutefois, les chercheurs remarquent que le stockage du CO2 dans des nappes aquifères peut faire varier la structure géologique du sous-sol. Dans le cas de l’Algérie, le sol autour de la centrale à gaz s’est élevé de 16 millimètres, un chiffre encore anodin, mais qui a poussé les chercheurs à modéliser plus précisément les relations entre les processus thermiques, hydrauliques et géo-mécaniques[3].

 

Le stockage souterrain de l’hydrogène

En plus du piégeage du dioxyde de carbone, les capacités souterraines actuelles pourraient permettre de stocker de l’hydrogène. Ce gaz a de nombreux atouts pour la transition énergétique et son usage est extrêmement versatile. Il pourrait devenir clé dans le stockage –aujourd’hui problématique – d’énergies renouvelables intermittentes. Ces espoirs autour de l’hydrogène se nourrissent de la boucle vertueuse créée par le power to gas, qui résout à lui seul de nombreux enjeux. Ce concept repose sur l’utilisation des surplus d’électricité renouvelable (énergie éolienne ou solaire) dans la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau. Étant plus facilement stockable que l’électricité, le gaz peut ensuite être stocké en sous-sol, injecté dans le réseau après méthanisation ou être utilisé directement comme substitut à l’essence ou au diesel pour le transport ou comme composant dans l’industrie lourde. 

 

 

Schéma du fonctionnement du concept de Power-to-gas (Source : Clean Energy Wire)

 

Selon chercheurs et scientifiques, la France doit accélérer le développement de son système de distribution et de stockage, si elle souhaite atteindre les ambitions détaillées dans son Plan hydrogène et concrétiser ce projet de power-to-gas.
L’hydrogène est un gaz très particulier. Il contient plus d’énergie par kg que le méthane mais occupe un volume 3 à 4 fois supérieur à pression égale. Par rapport à un transport ou stockage classique de gaz naturel, il occupe donc un volume 3 à 4 fois plus grand. L’hydrogène peut également se détériorer très facilement au contact de bactéries et sa molécule de très petite taille, favorise les risques de fuite. Pour l’instant donc, le seul système de stockage viable qui puisse répondre aux enjeux de volume et d’étanchéité est le stockage en cavité saline.
Il existe depuis longtemps des stockages souterrains d’hydrogène notamment aux Etats-Unis, même si dans ce cas précis il s’agit d’hydrogène « gris » utilisé localement pour le procédé de désulfurisation du pétrole. La technologie est donc déjà connue et maîtrisée. Des pays d’Asie et d’Europe tentent de développer et industrialiser le stockage de l’hydrogène « vert ». C’est le cas de la France avec le projet HyPster situé dans l’Ain. Le site accueille le premier démonstrateur de stockage d’hydrogène en cavité saline soutenu par l’Union Européenne dans le cadre de son Green New Deal. Dès 2023, il est prévu que l’électrolyseur d’1MW soit alimenté par les capacités solaires et hydrauliques de la région et produise près de 400kg d’hydrogène par jour de quoi faire le plein de 16 bus H2 ! Si ce premier test est concluant, le site pourrait étendre sa capacité de stockage de 2 tonnes à 44 tonnes, ce qui représenterait la consommation journalière de près de 1 760 bus.

 

Les savoirs, technologies et infrastructures autour du gaz ne sont pas encore tombés en désuétude et pourraient même servir de bases à un système énergétique vert et durable.  Bien que le concept de power to gas soit encore naissant avec des systèmes de stockage souterrain de l’hydrogène en cours de développement, il éclaire les multiples facettes de la transition énergétique, qui ne pourra pas seulement reposer sur l’éolien et le solaire. Les objectifs de neutralité carbone nous invitent donc à penser de manière créative aux différentes synergies possibles entre gaz et électricité !

 

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