Comment ignorer l’impact environnemental de l’hyperconsommation, comme les 513 kilogrammes de déchets ménagers produits par personne et par an en France ? Est-il encore acceptable d’acheter 60% d’habits de plus qu’il y a quinze ans, mais de les garder deux fois moins longtemps ? Aujourd’hui, l’urgence environnementale se fait de plus en plus pressante. Par Jean-Paul Raillard et Arnaud Leroy.
L’effet Greta Thunberg et les pics caniculaires de cet été ont produit une accélération sur la prise de conscience dans l’opinion. L’envie d’agir vite s’est propagée rapidement et touche la plupart d’entre nous, nous renvoyant à cette question individuelle « comment faire ? Que puis-je faire ». Nous remarquons qu’en à peine un an, les citoyens ont compris que le temps n’était plus celui de l’expectative, mais celui de l’action, ils sont demandeurs de solutions et d’implication. Même si cette situation inédite nécessite des décisions politiques de grande ampleur, les citoyens sont prêts à s’emparer des moyens d’action que nous proposons et à devenir des acteurs conscients d’une consommation choisie, aux conséquences assumées.
Consommer différemment
La promotion d’une consommation plus respectueuse de l’environnement et des êtres humains s’oppose au modèle de consommation dominant, dont le Black Friday est le symbole. Tradition commerciale venue des États-Unis et importée en 2013, cette opération de promotions a pris une telle ampleur en France qu’elle apparaît comme le coup d’envoi de la fièvre des achats de Noël et que d’année en année, elle ne cesse de battre des records (+33% d’une année sur l’autre). Cette course aux bonnes affaires est cependant trompeuse : les réductions proposées sont en réalité souvent inférieures à 2% du prix initial sur les appareils électroniques et le gros électroménager. Surtout, créant des besoins artificiels et encourageant un réflexe de consommation pavlovien, cette journée de « super démarques » est aux antipodes de l’urgence sociale et écologique.
Le Black Friday promeut une forme de consommation irresponsable pour notre planète et aliénante pour les individus. Dans un contexte où les ressources naturelles sont limitées, consommer différemment c’est avant tout se poser la question de nos besoins, s’interroger sur la finalité d’accumuler des biens qui ne serviront que très peu parfois. Entrer dans une démarche raisonnée, de sobriété, sortir du modèle de consommation en volume pour celui de la qualité et de la durabilité, doivent être les objectifs recherchés dans l’évolution de notre consommation.
En réaction à ce phénomène d’hyperconsommation, ENVIE, acteur historique de l’économie circulaire et de l’insertion professionnelle, lance en 2017 le Green Friday ; le mouvement devient en 2018 une association constituée de 6 membres fondateurs : Altermundi, Dreamact, Emmaüs France, Ethiquable et le Réseau des Acteurs du Réemploi (REFER). Elle obtient le soutien de la Mairie de Paris qui lui permet de se déployer à grande échelle et cette année de l’Agence de l’environnement de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
Le Green Friday est à la fois un mouvement et un événement à vocation de sensibilisation des citoyens à la consommation responsable c’est-à-dire celle qui correspond à un acte de choix conscient du consommateur devant des produits ou des services porteurs d’une qualité d’usage mais aussi d’une empreinte sociale et environnementale au-delà de la simple satisfaction tirée de leur consommation. L’événement Green Friday se tient le jour du Black Friday, à savoir, le dernier vendredi du mois de novembre. Sans chercher à culpabiliser les consommateurs, le mouvement les invite à se questionner sur leurs modes de consommation et à se responsabiliser, en faisant appel à leur libre arbitre d’acteurs- consommateurs.
Pour sa troisième édition du 29 novembre 2019, le Green Friday intensifie sa lutte contre l’hyperconsommation en offrant une programmation d’opérations alternatives ouvertes au plus grand nombre et accessibles dans toute la France. Recrutant un nombre croissant d’adhérents depuis 3 ans, plus de 400 entreprises et associations ont rejoint le mouvement cette année. Les entreprises adhérentes s’engagent à ne pas réaliser de promotions sur les prix des produits et services le jour du Black Friday et à reverser 10% de leur chiffre d’affaires de la journée du 29 novembre 2019 à un des quatre acteurs avalisés par l’association Green Friday. Ces sommes, loin d’être négligeables pour les entreprises qui les versent, marquent leur volonté d’engagement et la prise de conscience de leur responsabilité sociale.
Produire différemment
Pour autant, si les arguments en faveur d’une consommation responsable ont gagné un terrain considérable et que la demande existe bel et bien, force est de constater que les principaux enjeux se situent maintenant au niveau de l’offre: le consommateur responsable est prêt mais comment acquérir des produits eux-mêmes responsables ?
Les nouvelles façons de consommer et de partager, l’impact des technologies digitales, la vitalité des projets de l’ESS et la multiplication de ceux portés par les structures publiques et locales conduisent à un renouveau et à un foisonnement d’une nouvelle offre : économie de l’échange et du partage, production locale et de proximité ou issus du commerce équitable, développement de l’offre de commerces responsables et à vocation sociale…. Le souffle fort et porteur du renouveau et de la volonté d’agir se fait sentir ; des projets innovants et porteurs de sens se développent.
Les startups et de plus en plus d’entreprises veulent vendre responsable, durable, social, local. Mais comment construire une offre responsable suffisante en quantité, satisfaisante en qualité et financièrement non discriminante?
L’économie circulaire qui fait l’objet d’un projet de loi actuellement débattu à l’Assemblée Nationale, permet de répondre à cette problématique majeure d’une offre responsable et durable, quantitativement suffisante, à des prix accessibles à tous et répondant aux défis environnementaux et sociaux actuels. La promouvoir et la développer est un enjeu majeur à l’échelle de la planète car elle offre une alternative à notre mode de production et de consommation dominant qu’est l’économie linéaire : extraire les ressources naturelles, fabriquer en consommant de l’énergie, utiliser puis jeter pour racheter à nouveau.
L’économie circulaire, en opposition à l’économie linéaire, repose sur l’évitement de gaspillage des ressources, sur l’écoconception, la réutilisation des produits, des matières et des ressources autant qu’il est possible de le faire et la production de déchets y est réduite au maximum. Réemploi, réutilisation, reconditionnement, recyclage, allongement de la durée de vie des produits par une meilleure conception, une réparabilité et une fiabilité accrues, réparation accessible, partage de l’utilisation des produits…, sont autant de domaines de l’économie circulaire dont les bénéfices environnementaux, tant par la réduction des ressources utilisées que par celle des déchets produits, qui s’avèrent cruciaux.
La mise en place de structures de l’économie circulaire pour permettre l’émergence d’une offre à la hauteur des enjeux environnementaux et sociaux par des entreprises de toutes tailles engagées par une raison d’être exigeante, nécessite un réel engagement politique afin de mettre en place un cadre juridique et fiscal spécifique stable et innovant. Le projet de loi en débat actuellement sera un premier pas important et marquera une étape décisive pour immédiatement en démarrer une autre. La France s’honorerait d’être leader en Europe sur ce sujet déterminant pour les années à venir.
Par Jean-Paul Raillard, Président du Green Friday et Président de la Fédération ENVIE et Arnaud Leroy, Président Directeur-général de l’ADEME
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