Lorsque l’on parle des risques à long terme du changement climatique, il est difficile pour le public, les dirigeants d’entreprise ou encore les législateurs d’imaginer avec précision les conséquences de l’inaction climatique dans dix, vingt ou cinquante ans.
Pour mieux comprendre cette question, Forbes a contacté Robert Litterman, un expert en risques financiers qui a géré les risques pour Goldman Sachs pendant plus de 20 ans. Il explique que « la gestion des risques financiers repose sur plusieurs principes simples qui s’appliquent à la gestion des risques climatiques ». Premièrement, il s’agit d’identifier les scénarios les plus défavorables. Deuxièmement, l’objectif de la gestion des risques financiers n’est pas de minimiser les risques, mais plutôt de les évaluer et de les répartir de manière appropriée. Troisièmement, il s’agit de reconnaître la valeur du temps, qui est une ressource rare.
Identifier les scénarios les plus défavorables
Il est certain que les risques climatiques sont importants, mais il est difficile d’anticiper leur ampleur. Les techniques traditionnelles de modélisation des risques s’appuient sur des données historiques pour établir des projections, mais on entre ici en terrain inconnu. Le changement climatique d’origine humaine est récent, puisqu’il s’est accéléré à partir du milieu du XXe siècle, et son impact est cumulatif, d’année en année. Selon David Crisp, spécialiste de l’atmosphère à la NASA, « la moitié de l’augmentation des concentrations de dioxyde de carbone dans l’atmosphère au cours des 300 dernières années s’est produite depuis 1980, et un quart depuis 2000 ». En outre, contrairement à d’autres gaz, le dioxyde de carbone reste dans l’atmosphère pendant des siècles, entre 300 et 1 000 ans. Les régulateurs et les acteurs des marchés financiers sont handicapés dans leur capacité à prendre des décisions en connaissance de cause, car les méthodes d’analyse prospective sont encore en cours d’élaboration.
Une étude publiée par Proceedings of the National Academy of Sciences a mis en évidence une série de risques climatiques extrêmes, notamment « une probabilité croissante de multiples “pannes de grenier” (provoquant un choc des prix des denrées alimentaires) avec des températures plus élevées » qui pourraient conduire à la famine et à la sous-nutrition. Cette étude a également montré que l’exposition de la population mondiale à des « conditions climatiques potentiellement mortelles d’ici la fin du siècle en raison d’une chaleur et d’une humidité extrêmes » rendraient certaines parties du monde inhabitables et pourraient entraîner une perte importante de biodiversité ou une extinction massive, ainsi qu’une morbidité et une mortalité massives déclenchées par des phénomènes météorologiques extrêmes et des maladies à transmission vectorielle. Tous ces bouleversements pourraient entraîner une multitude de risques sociétaux qui « pourraient provoquer des conflits, des maladies, des changements politiques et des crises économiques ».
Pour exploiter correctement ces projections les plus pessimistes, les gestionnaires de risques avisés procéderaient à des changements dès à présent, de sorte que même dans des circonstances extrêmes et désastreuses, les coûts pour la société resteraient gérables.
Évaluer le prix du risque de manière appropriée
Durant des générations, la croissance économique, l’industrialisation et le progrès technologique ont été privilégiés au détriment de l’environnement et des ressources naturelles. Durant de nombreuses années, ce risque a rapporté des dividendes. Lorsque les effets de la pollution d’origine humaine provoquaient ce qui était considéré comme un changement insoutenable de la qualité de l’air, de la qualité de l’eau ou de la dégradation des sols, des réglementations étaient mises en place à un coût économique modéré pour résoudre ces problèmes. Cependant, aujourd’hui, les risques sont de moins en moins gérables et leur coût est supérieur aux avantages qu’ils procurent. Les événements météorologiques extrêmes qui coûtent des milliards de dollars, les journées les plus chaudes jamais enregistrées, l’élévation du niveau de la mer et, aujourd’hui, la fumée des incendies de forêt qui a recouvert la côte est des États-Unis et empêché des millions de personnes de pratiquer des activités de plein air en toute sécurité sont les changements les plus récents qui peuvent amener la société à se demander si les niveaux d’émissions sont en adéquation avec les résultats souhaités.
Comme indiqué plus haut, il est difficile d’estimer l’ampleur du risque climatique, car on ne dispose pas de données historiques parallèles. En d’autres termes, on ne dispose pas de données solides pour prédire avec précision le coût d’un tel pari.
Enfin, l’impact du changement climatique ne progresse pas selon une trajectoire cohérente, mais peut se stabiliser pendant un certain temps avant de connaître une montée en flèche. Imaginez une série de marches inégales plutôt qu’une pente régulière. Les points de basculement sont difficiles à repérer. Cela complique encore l’évaluation du risque climatique.
Reconnaître la valeur du temps
Comme l’explique Robert Litterman dans son témoignage de 2021 devant la commission du budget du Sénat américain, « si nous disposons de suffisamment de temps, nous pouvons résoudre presque tous les problèmes. C’est lorsque le temps vient à manquer qu’un risque engendre une catastrophe. Le risque lié au changement climatique augmente à mesure que nous remplissons l’atmosphère de gaz à effet de serre. Nous ne savons pas combien de temps il nous reste avant de franchir un point de basculement, après lequel l’augmentation de l’ampleur de ces catastrophes devient irréversible. Il s’agit d’une question extrêmement urgente ».
Le coût de l’action ne fera qu’augmenter au fur et à mesure que l’on attendra pour agir.
Trouver des solutions
Les risques liés au climat sont tout à fait uniques : aucun individu, aucune communauté, aucune entreprise ne sera touché de la même manière. En outre, les retombées seront difficiles à mesurer et s’étaleront sur une période imprévisible et prolongée. Chaque seconde d’attente ou de retard dans la mise en œuvre de solutions de résilience climatique et de durabilité ne fait que contribuer davantage au défi climatique auquel on sera finalement confronté.
L’on pourrait commencer par donner la priorité aux solutions positives pour la nature qui favorisent l’innovation et peuvent même rentabiliser les investissements et les résultats. L’ONG The Nature Conservancy met en avant des solutions d’investissement innovantes pour la conservation et la restauration des forêts, l’agriculture régénérative, la séquestration du carbone dans les sols, la pêche durable et les obligations bleues pour la protection des écosystèmes côtiers et marins.
Il est important de noter que le Congrès américain a réalisé des investissements substantiels dans une série de technologies énergétiques propres émergentes, telles que le captage du dioxyde de carbone, l’hydrogène et l’énergie nucléaire avancée. Ces investissements sont essentiels et doivent être poursuivis. Cependant, il faudrait également envisager de mettre en place davantage d’incitations pour que le secteur privé s’engage dans les efforts de décarbonisation.
L’un des principaux obstacles à la lutte contre le changement climatique est le manque d’incitations économiques à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les récompenses financières à court terme sont minimes, ce qui constitue une défaillance du marché, mais les législateurs ont le pouvoir d’y remédier. Une action intelligente et réfléchie permettra de gérer cette menace imminente de manière plus appropriée et plus efficace.
La manière la plus efficace d’éliminer les émissions de gaz à effet de serre et de passer à une économie à zéro émission nette est d’envisager de fixer un prix pour les émissions de carbone (par le biais d’une taxe sur le carbone sans incidence sur les recettes), en encourageant les entreprises et les consommateurs à innover et à trouver les moyens les moins coûteux de réduire les émissions. Il s’agit d’une approche fondamentalement favorable au marché, qui consiste à s’attaquer au problème en faisant appel à l’ingéniosité du marché plutôt qu’à des réglementations gouvernementales qui, souvent, n’offrent pas suffisamment de souplesse aux entreprises. Une fois le prix du carbone fixé, toutes sortes de produits financiers intéressants verront le jour pour aider à financer les investissements verts, y compris le concept de Robert Litterman d’obligations liées au carbone.
Cependant, il ne s’agit pas de l’unique solution. Des politiques complémentaires seraient également essentielles pour décarboniser tous les secteurs de l’économie et pour répondre aux préoccupations fondamentales en matière d’équité et de justice environnementale, telles que l’impact de la pollution locale sur la santé, l’énergie abordable et l’égalité d’accès aux infrastructures modernes de transport et d’énergie dans toutes les communautés.
Les décisions prises aujourd’hui auront une incidence sur l’avenir. En voyant plus grand et à plus long terme, il est possible de trouver des solutions efficaces au changement climatique, basées sur la résilience, qui sont meilleures pour les entreprises, les individus et la planète.
Article traduit de Forbes US – Auteur : Bill First
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