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Frédéric Mazzella, à corps perdu dans le mécénat collectif

En créant Captain Cause, une plateforme qui relie les entreprises à des causes sociales, Frédéric Mazzella, fondateur de Blablacar, se donne une nouvelle mission : créer une chaîne collective vertueuse pour transiter vers un monde meilleur et écologique.

Un article issu du numéro 25 – hiver 2023, de Forbes France

 

Forbes France : Il y a un an, vous annonciez une trentaine d’associations et 1 milliard d’euros de dons d’ici cinq ans, où en est Captain Cause ?

FRÉDÉRIC MAZZELLA : Captain Cause a bien grandi depuis son lancement. En un an, nous avons accompagné plus de 150 entreprises comme Accor, FDJ ou encore L’Équipe et Orange dans leur engagement en faveur de plus de 80 associations françaises sur les sujets sociaux et écologiques. Cela démontre une chose : les entreprises veulent agir et soutenir des causes locales, tout en impliquant leurs communautés dans cet engagement. Et avec notre plateforme qui rend l’engagement accessible pour chaque entreprise, nous avons pu absorber cette croissance.

Concrètement, comment utilise-t-on votre plateforme ?

F.M. : Elle permet la distribution de dons- cadeaux solidaires, aussi appelés « difts ». Les entreprises peuvent créer leurs campagnes de difts de manière flexible, que ce soit pour un événement partenaire, un temps fort RH ou leur programme de fidélité. Par exemple, au moment d’une assemblée générale ou d’une réunion annuelle de l’équipe, elle va allouer un budget reversé à des associations où elle peut demander à tout le monde de choisir la répartition de ce budget. Cela ne devient pas seulement un moment informatif mais très participatif : il y a de l’interaction.

C’est aussi pour les associations une occasion d’être dans la lumière…

F.M. : Oui, cela donne l’occasion à ces dernières de sensibiliser plus largement, éventuellement de recruter de nouveaux bénévoles ou de nouveaux soutiens. Quand une personne reçoit un dift, elle doit choisir à qui l’attribuer et c’est très souvent l’occasion d’aller regarder tous les projets pour faire son choix. L’association choisie tient au courant le donateur sur l’avancée de son action. Cela crée du lien et du sens.

Un milliard d’euros de dons, n’est-ce pas très ambitieux ?

F.M. : Oui, c’est vrai, et c’est notre objectif d’ici les cinq prochaines années. Nous visons principalement les budgets communication et marketing parce que ce sont des départements qui veulent faire leur transition et intégrer la dimension « intérêt général » à leur action. Pour inspirer ces décideurs et les accompagner, nous avons même créé une newsletter, « No bullshit », pour allier enjeux business et sociétaux. Si, pour accueillir un nouveau collaborateur ou faire un cadeau de bienvenue à un séminaire, on offrait un dift, plutôt qu’un goodies, c’est un premier pas.

Cela évite les éternelles interrogations sur le cadeau à faire…

F.M. : L’avantage par rapport à d’autres formes de cadeaux, notamment physiques, c’est que cela évite de fabriquer « on ne sait quoi » à l’autre bout de la planète, de le transporter, puis de le livrer : on est plus vertueux au niveau de l’empreinte carbone. Enfin, concernant les entreprises qui font déjà du mécénat, c’est aussi rendre le cadeau participatif puisqu’il mobilise davantage les collaborateurs dans leurs actions de don.

Pourquoi ce terme dift® que vous avez breveté ?

F.M. : Depuis notre lancement, on a cherché et utilisé plusieurs tournures pour décrire notre activité : « don-cadeau », « don préfinancé », « don associatif préfinancé à distribuer à l’asso de son choix ». Mais aucun terme ne parvenait à traduire notre concept, donc on l’a inventé : dift est une fusion des mots « don » (ou « donation » en anglais) et « gift », l’anglais pour « cadeau ». Derrière, il y a l’intention de populariser l’idée d’un nouveau type de cadeau solidaire qui conjugue le « plaisir d’offrir » et le « plaisir d’agir », avec un mot simple, court, qui se conjugue et se décline facilement.

Peut-on parler de plateforme philanthropique ?

F.M. : Captain Cause est un outil d’engagement de ses clients ou collaborateurs par le sens. Avec ce modèle, tout le monde est gagnant : les entreprises (une nouvelle manière de s’engager), les associations (une nouvelle source de financement), et les participants (une manière de soutenir sa cause de cœur gratuitement). En ce sens, on s’adresse à des entreprises soucieuses de leur impact sur le monde et sur le vivant. Cela correspond à une vision nouvelle de l’entreprise dépassant la conception classique de Milton Friedman où le seul but serait le profit. Aujourd’hui, dirigeants comme collaborateurs perçoivent que les entreprises doivent aligner leurs missions sur un but vertueux pour le monde.

Captain Cause correspond-elle à un tournant dans votre engagement écologique et social ?

F.M. : Face à des défis écologiques et sociaux d’une échelle inédite, il faut tout passer en mode « solution » ! Tous les acteurs gagnent à collaborer et à s’attaquer à ces problèmes importants que sont le dérèglement climatique et l’inclusion sociale. La force d’un acteur innovant comme Captain Cause est son agilité pour déployer rapidement une solution nouvelle. Et comme l’a souligné Carbone 4 dans son étude « Faire sa part », tant les citoyens, les États que les entreprises ont un rôle clé ! Personnellement, je me demande quelle est l’alternative face à la crise environnementale parce que si on lit le rapport du Giec, on comprend qu’il s’agit d’une urgence : il faut changer de méthode. Einstein disait que le signe de la folie, c’est d’essayer plusieurs fois la même chose en espérant un résultat différent. Là, ce qu’on a réussi à démontrer sur les 50 dernières années, c’est que le modèle de surconsommation qu’on a développé nous jette dans le mur.

Quel est son modèle économique ?

F.M. : Nous collectons et reversons les dons aux associations d’intérêt général, via notre Fonds de dotation. En parallèle des dons, l’entreprise verse des frais à Captain Cause pour le fonctionnement de la plateforme technologique, pour l’implication de ses communautés dans la démarche de l’entreprise, et aussi pour la promotion de la communication des associations.

Comment sélectionnez-vous les associations ?

F.M. : On a un processus de sélection avec l’institut IDEAS, qui nous permet d’identifier 80 associations portant les meilleures innovations de la transition écologique et solidaire tout en nous assurant de leur conformité, de leur éligibilité au mécénat et de leur bonne santé financière. Les critères de sélection sont à la fois quantitatifs et qualitatifs, avec des sources déclaratives et documentées. Notre comité d’impact, où figure notamment Brune Poirson (ex-secrétaire d’État à la transition, directrice RSE d’Accor), nous a également aidé à définir ces critères.

Une étude a démontré que les dernières réticences à donner chez les Français étaient liées à un manque de transparence des organismes. Qu’en pensez-vous ?

F.M. : Il faut dissiper la défiance en sélectionnant des projets vérifiés, mais aussi en partageant régulièrement des nouvelles du projet financé : chaque participant via Captain Cause reçoit une actualité du projet financé, avec des chiffres et des métriques d’impact ! Une étude* a montré que 93 % des gens qui aimeraient agir face à tous les problèmes qu’ils voient dans l’actualité ne savent pas comment faire. Il y a aussi une énorme frustration qu’une plateforme comme Captain Cause peut pallier.

Quel conseil l’entrepreneur « licorne » que vous êtes peut-il donner aux jeunes entrepreneurs ?

F.M. : Je me suis toujours dit qu’il fallait que j’apprenne des meilleurs, et quel que soit le milieu que j’ai pu fréquenter : dans le monde de la physique pendant mes études, de l’informatique, de la musique ou du business, j’ai toujours été dans cette quête d’apprendre de ceux qui savent mieux que moi. Mais la vraie leçon, c’est aussi de retenir ce que vous avez appris !

Vous êtes une sorte de serial entrepreneur. Quel métier avez-vous l’impression d’exercer ?

F.M. : J’ai l’impression de faire un métier de chercheur dans l’entrepreneuriat. En fait, j’utilise mon état d’esprit de chercheur à essayer de résoudre des problèmes de société.

Où vous voyez-vous dans cinq ans ?

F.M. : Entrepreneur, toujours et plus que jamais. Je serai là où il y a besoin d’innover, pour favoriser des changements sociétaux qui me semblent bénéfiques et nécessaires à notre société !

 


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* Étude Havas et CSA 2023

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