Article de Hersh Shefrin pour Forbes US – traduit par Flora Lucas
Durant cette COP28, la communauté mondiale n’a guère progressé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre à des niveaux compatibles avec l’objectif de limitation de la hausse de la température mondiale à 2 °C. Quant à celui fixé à 1,5 °C, on en est encore très loin.
Plus précisément, la COP28 n’a pas réussi à mettre en place une structure pour un marché mondial de compensation des émissions de dioxyde de carbone. Cette question est d’autant plus cruciale qu’une tarification appropriée du carbone est essentielle pour réduire suffisamment les émissions afin d’atteindre les objectifs de température de l’Accord de Paris.
Toutefois, la COP28 a permis de progresser sur deux fronts. Le premier est l’engagement explicite d’éliminer les combustibles fossiles d’ici 2050. Le second est l’augmentation des contributions des pays développés au Fonds pour les pertes et les préjudices afin d’aider les pays en développement à faire face aux menaces liées au changement climatique. Cela étant, dans un contexte climatique global, les progrès réalisés sur ces fronts sont minimes par rapport à la menace que représente le réchauffement de la planète.
Commentaire « non scientifique »
D’un point de vue psychologique, l’être humain est sujet à une forme de déficit d’attention. Cela signifie que son attention est détournée des questions les plus importantes au profit de questions moins importantes. Les pickpockets qui réussissent exploitent cette tendance pour voler leurs victimes en détournant leur attention de la surveillance de leurs objets de valeur.
La promesse d’éliminer progressivement les combustibles fossiles au cours des trois prochaines décennies et l’augmentation des contributions au Fonds pour les pertes et les préjudices sont des distractions. La première semaine de la COP28 a été marquée par une distraction impliquant un commentaire « non scientifique » que le président de la COP28, Sultan Al Jaber, a fait juste avant la conférence au sujet de l’élimination progressive des combustibles fossiles pour empêcher une augmentation de la température supérieure à 1,5 °C.
Des négociations qui n’ont pas abouti
La communauté mondiale doit se concentrer sur l’identification des coûts associés aux stratégies alternatives d’émissions nettes, puis sur l’engagement d’un ensemble de négociations claires et transparentes sur les choix coûts-bénéfices associés. Cela implique une tarification appropriée des gaz à effet de serre, en particulier du dioxyde de carbone. Les négociations de la COP28 sur la mise en œuvre de l’article 6, en particulier l’article 6.4, ont servi de cadre aux discussions sur la tarification. En fin de compte, les négociations n’ont pas abouti à un accord sur la structure.
L’ampleur des prix du carbone montre la volonté de la communauté mondiale de payer pour lutter contre le réchauffement climatique. Plus le prix est élevé, plus la volonté de payer sous la forme d’investissements dans la réduction des émissions est importante. Le statu quo, qui prévoit une augmentation des températures mondiales bien supérieures à 2 °C et comprises entre 3 °C et 4 °C, implique des prix bas, inférieurs à dix dollars la tonne métrique. Le prix actuel est inférieur à cinq dollars la tonne.
1,5°C : impossible
Pour maintenir l’augmentation de la température mondiale à 2 °C, il faudrait que le prix actuel du carbone soit d’environ 200 dollars la tonne. L’Agence pour la protection de l’environnement utilise d’ailleurs un chiffre de 190 dollars à des fins réglementaires.
Selon les principaux modèles d’évaluation économique intégrée, la probabilité de maintenir l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C est quasiment impossible, même si l’économie mondiale atteignait le niveau zéro avant 2030. Ces modèles prévoient que la température mondiale franchira 1,5 °C avant 2035. Le climatologue James Hansen prévoit que le seuil de 1,5 °C sera atteint avant 2030.
Si les prévisions de James Hansen s’avèrent exactes, il y a lieu de craindre que le réchauffement climatique soit beaucoup plus grave qu’on ne le pensait. Le temps nous le dira, et 2030 est à nos portes. Si James Hansen a raison, le prix mondial du carbone doit être beaucoup plus élevé que 200 dollars la tonne. Maintenir les prix à des niveaux proches de cinq ou dix dollars pourrait être suicidaire.
Nénuphar
Il y a un problème de timing. Les psychologues étudient le timing en utilisant des expériences de pensée. Imaginez un étang d’eau claire dans lequel quelqu’un ajoute un nénuphar. Supposons que le nénuphar double de taille en l’espace d’une journée. Supposons également qu’il faille 40 jours pour que l’étang soit entièrement recouvert par le nénuphar. Posez-vous la question suivante : quel jour l’étang de nénuphars sera-t-il recouvert à 50 % ? Réfléchissez bien. Les psychologues utilisent le problème du nénuphar pour étudier un biais appelé « biais de croissance exponentielle », qui consiste à mal estimer la nature des processus qui croissent de manière exponentielle.
La réponse au problème du nénuphar est le jour 39. Surpris ? La plupart des gens le sont. La leçon à tirer du problème du nénuphar est que l’impact le plus important de la croissance exponentielle se produit tard dans le jeu.
Le monde se trouve actuellement dans la phase finale de la croissance exponentielle des émissions, et il s’agit d’une phase critique, car les émissions annuelles sont aujourd’hui beaucoup plus élevées qu’au cours des dernières décennies. C’est pourquoi il est si alarmant que la COP28 n’ait pas réussi à mettre en place une structure pour les marchés de compensation du carbone qui fixerait le prix du carbone à des niveaux beaucoup plus élevés que le statu quo.
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