La COP28, conférence des Parties sur les changements climatiques qui se tient cette année à Dubaï, marque une évolution notable dans le dialogue mondial sur le changement climatique avec l’introduction du Forum sur le climat des entreprises et de la philanthropie.
Ce forum inaugural, qui se déroule parallèlement à la conférence principale, représente une étape importante dans l’engagement d’un plus grand nombre de parties prenantes dans une sphère traditionnellement réservée aux entités gouvernementales dans la lutte contre le changement climatique. Il souligne la reconnaissance croissante de la nécessité de diversifier les perspectives et les ressources pour relever les défis environnementaux mondiaux.
Remettant en cause le discours conventionnel qui oppose souvent l’activisme au capitalisme, ce nouveau forum, dirigé par son président et entrepreneur social Badr Jafar, vise à faire tomber les barrières qui entravent les progrès sur les questions climatiques en faisant appel à des personnalités du monde des affaires et de la philanthropie. Badr Jafar plaide pour un changement de paradigme vers « l’actionnisme », soulignant la nécessité cruciale pour les entreprises et la philanthropie d’exploiter leur dynamisme, leur capital et leurs réseaux d’action. « Les gouvernements seront toujours les premiers à superviser les réponses au changement climatique. Cependant, les entreprises ont un rôle à jouer tout aussi important, sinon plus, pour aider le monde à atteindre ses objectifs aux niveaux environnemental et climatique », déclare M. Jafar.
La vision de l’homme d’affaires émirati va bien au-delà de la rhétorique, puisqu’il s’attache à inciter les dirigeants mondiaux à prendre des mesures concrètes pour lutter contre le changement climatique et à amplifier l’impact qu’il est possible d’obtenir lorsque le capital philanthropique est associé au capital des entreprises ou du secteur public.
Lors d’une récente interview pour Forbes, M. Jafar a évoqué le rôle vital des partenariats public-privé, de l’innovation entrepreneuriale et de la collaboration pour combler le déficit de financement de la lutte contre le changement climatique.
Le Forum inaugural des entreprises et de la philanthropie sur le climat de la COP28 marque la première inclusion des entreprises et de la philanthropie dans l’ordre du jour officiel de la COP. Quel impact espérez-vous sur le programme d’action climatique mondial plus large ?
Badr Jafar : Le discours sur le climat a longtemps été perçu à travers le prisme de l’activisme, synonyme de bien, et du capitalisme, synonyme de mal. La réalité est que ce type de raisonnement contradictoire n’aide pas à résoudre le problème. C’est pourquoi le président de la COP28, le Dr Sultan Al Jaber, a appelé à un nouveau paradigme fondé sur le concept d’actionnisme, qui englobe le dynamisme, le capital et les réseaux d’action que les entreprises et la philanthropie peuvent fournir. En fin de compte, le forum s’inscrit dans le cadre d’un effort plus large visant à permettre aux acteurs du monde des affaires et de la philanthropie d’aller au-delà des promesses et des déclarations et de passer à l’action.
Les partenariats public-privé (PPP) ont joué un rôle déterminant dans la réalisation des contributions positives au climat et des objectifs « zéro émission nette ». Comment les entreprises peuvent-elles exploiter plus efficacement leurs compétences en matière d’innovation et d’écologie dans le cadre de ces collaborations ?
Badr Jafar : Les partenariats public-privé peuvent être un moyen intéressant pour les entreprises et les gouvernements de collaborer, et ils permettent aux entités gouvernementales de tirer parti de l’expertise, de l’efficacité opérationnelle, de la pensée innovante et des ressources financières du secteur privé pour réaliser des projets à une échelle et dans un délai beaucoup plus rapides qu’ils ne pourraient le faire autrement. Les PPP font partie intégrante de la stratégie économique nationale des Émirats arabes unis depuis des décennies, et ils seront probablement essentiels pour nous permettre d’atteindre nos objectifs de zéro émissions nettes à l’avenir. Les PPP permettent également des investissements indispensables dans des infrastructures intelligentes sur le plan climatique dans les économies émergentes du monde entier. Cependant, je pense que les PPP démontrent réellement la puissance de la combinaison des capitaux et des capacités entre les secteurs, et la recherche de nouvelles façons d’augmenter ces types d’approches créatives et mixtes figure en bonne place à l’ordre du jour du Forum des entreprises et de la philanthropie sur le climat de la COP28.
Le Forum vise à encourager l’innovation entrepreneuriale pour résoudre les problèmes climatiques critiques. Quelles sont les mesures à prendre pour mobiliser et soutenir davantage les entrepreneurs dans cette mission ?
Badr Jafar : Je ne suis pas le seul à penser que le secteur privé détient le plus grand potentiel pour accélérer la mise en œuvre des objectifs mondiaux en matière de climat et de nature, et que les innovateurs et les entrepreneurs feront partie intégrante de la réalisation de ce potentiel. Nous savons exactement ce qu’il faut faire pour cultiver des écosystèmes entrepreneuriaux. Nous devons canaliser davantage l’énergie et la créativité entrepreneuriales vers l’élaboration de solutions aux défis climatiques et naturels, et fournir des financements et un soutien aux entrepreneurs dans un plus grand nombre de régions du monde, y compris dans le Sud. La bonne nouvelle, c’est que c’est déjà le cas. Aux Émirats arabes unis, un rapport récemment commandé par Crescent Enterprises a révélé que le financement à risque des technologies vertes a été multiplié par onze au cours des cinq dernières années, avec 144 nouvelles entreprises de ce type ayant bénéficié d’un financement à risque de 650 millions de dollars (596 millions d’euros). Il s’agit d’une tendance encourageante. Il est également nécessaire de comprendre que durabilité rime avec rentabilité. Plus nous accepterons cette idée, et plus nous verrons des capitaux affluer dans le secteur des technologies vertes. Le Forum des entreprises et de la philanthropie sur le climat de la COP28 s’efforce également d’accélérer ce processus.
La philanthropie privée joue un rôle essentiel en comblant le déficit annuel de financement pour atteindre des objectifs clés tels que les émissions nettes zéro et la restauration de l’environnement, dépassant déjà de cinq fois l’aide gouvernementale. Quelles stratégies peuvent renforcer l’impact de la philanthropie dans ce domaine ?
Badr Jafar : La résolution du problème du financement de la lutte contre le changement climatique est l’une des principales priorités de la COP28 et, par extension, du Forum des entreprises et de la philanthropie sur le climat. Nous savons qu’il s’agit là d’un défi de taille. Des investissements mondiaux de plus de 3 000 milliards de dollars (2 700 milliards d’euros) par an seront nécessaires pour parvenir à des émissions nettes nulles d’ici à 2050, et on estime que les pays en développement à eux seuls auront besoin d’investissements de 2 400 milliards de dollars (2 200 milliards d’euros) par an jusqu’en 2030 pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Il est clair que nous devrons débloquer des sources de capitaux supplémentaires, et c’est un domaine où la philanthropie pourrait jouer un rôle transformateur. La réorientation d’une partie du capital philanthropique estimé à plus de 1 000 milliards de dollars (917 milliards d’euros) qui circule dans le système financier mondial vers des initiatives axées sur le climat pourrait contribuer de manière significative à combler le déficit de financement de la lutte contre le changement climatique. Le capital philanthropique peut aussi souvent être déployé de manière plus flexible, plus tolérante au risque et plus patiente que d’autres formes de financement. Lorsque nous combinons le capital philanthropique avec le capital des entreprises ou du secteur public, ou les deux, nous pouvons créer un effet multiplicateur qui produit des résultats qu’aucune de ces sources de financement ne pourrait atteindre à elle seule.
Compte tenu de l’impact disproportionné du changement climatique sur les femmes et du lien entre la justice de genre et les questions environnementales, comment l’accent mis sur l’inclusion et l’équité pourrait-il conduire à des solutions plus efficaces dans la lutte contre le changement climatique ?
Badr Jafar : Les Émirats arabes unis n’ont pas caché leur ambition de faire de cette COP la plus inclusive jamais organisée. Il ne s’agit pas d’un sujet de discussion. Il s’agit d’un véritable engagement qui a façonné tous les aspects de la COP28, y compris la conception du Forum des entreprises et de la philanthropie sur le climat. Un certain nombre de mesures importantes ont été prises pour faire entendre la voix des femmes dans le processus de la COP et pour permettre aux femmes du monde entier, y compris celles du Sud, de jouer un rôle de premier plan dans la réponse mondiale au changement climatique. Par exemple, la présidence de la COP28 a appelé tous les participants à constituer des délégations équilibrées en termes de genre, comprenant des jeunes, des représentants autochtones et infranationaux. Elle s’est également engagée publiquement à veiller à ce que la diversité des genres soit représentée dans tous les domaines de travail et événements de la COP28, ainsi que dans le cadre d’une journée consacrée au genre, au cours de laquelle les parties prenantes s’engageront à assurer une transition équitable du point de vue du genre et à élargir l’accès direct au financement climatique pour les femmes et les filles dans le monde entier.
En fin de compte, l’une des principales priorités est de se concentrer aussi bien sur le climat et la nature, que sur le développement humain. Ce sont les deux faces d’une même pièce, et le bord de cette pièce est une politique climatique propice et inclusive qui embrasse une évolution plus verte de tous nos systèmes, tout en garantissant des opportunités équitables pour les milliards de personnes qui n’ont pas toujours eu la possibilité de les obtenir dans le passé.
Article traduit de Forbes US – Auteure : Moira Forbes
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