Au fil de ses rapports, le GIEC souligne combien les conséquences du réchauffement climatique seront transversales et auront des bouleversements systémiques sur l’économie. De ce fait, les entreprises doivent prendre leur part en s’alignant sur les objectifs de l’Accord de Paris, et en faisant preuve d’audace pour être résilientes face à ces conséquences. Elles ont tout intérêt à regarder du côté des compagnies d’assurance, financièrement très exposées et qui ont souvent plusieurs longueurs d’avance.
L’après-ouragan Andrew, l’un des plus destructeurs d’Amérique
Les Bahamas puis le sud de la Floride, La Louisiane et la région de Miami… Voici la funeste toile de fond de l’ouragan Andrew, en août 1992. Cet ouragan de catégorie 5, l’un des plus dévastateurs d’Amérique, cause la mort de 65 personnes et entraîne des dommages matériels estimés à 38,1 milliards de dollars. Affluent alors nombre de demandes d’indemnisation. Une douzaine de compagnies d’assurance américaines, incapables de les honorer, plonge dans la faillite. À l’époque, la probabilité d’un tel évènement est jugée bien trop limitée pour envisager des mesures adéquates, notamment le maintien de fonds propres à des niveaux élevés pour faire face aux imprévus. Pourtant, un consensus scientifique liant les activités humaines à la hausse des températures et à la multiplication des catastrophes potentielles se dessine depuis le début des années 1980 et le premier rapport du GIEC, daté de 1990, le consolide encore.
Ce tournant tragique a entraîné une réorganisation sectorielle majeure du monde de l’assurance. S’imposent, dès lors, des groupes de réassurance. Il s’agit d’entreprises chargées de soutenir les assureurs en cas de besoin notable de liquidités, comme après les catastrophes liées au changement climatique. Autre apport significatif, l’ouragan Andrew a constitué l’acte de naissance de la méthode de « modélisation des catastrophes » (« mod cat »). Il s’agit là de pouvoir estimer les pertes potentiellement attribuables à une catastrophe naturelle. Encore aujourd’hui, cette méthode sert de prisme d’analyse des risques à l’ensemble du secteur. Citons encore les « Cat Bond », consistant en des obligations à haut risque et haut rendement, émises par les compagnies d’assurance et de réassurance pour se financer sur les marchés.
Consolidation sectorielle et militantisme actif
La hausse des « phénomènes climatiques extrêmes » tend à achever l’adaptation de la profession. Une démarche salutaire. En effet, un rapport publié au début du mois de mars prévoit une augmentation de 110 % des dommages dus aux inondations et de 130 % pour ceux liés aux crues torrentielles en France, alors même que le pays reste modérément exposé aux conséquences du dérèglement climatique. Le mouvement de consolidation du secteur autour d’acteurs de grande taille participe d’une volonté d’adaptation à ces données climatiques. Le groupe français Covéa (MAAF, MAIF, GMF et Assurances mutuelles de France) cherche, par exemple, à acquérir le réassureur bermudien PartnerRe, pour 7,7 milliards d’euros, renforçant la consolidation de la filière déjà en cours à l’étranger (AIG — Validus, Sompo — Endurance, Berkshire — Alleghany, etc.)
Pour l’émergence d’un champion français
Quelle finalité ? Il s’agit là de garantir aux réassureurs la possibilité de renflouer leurs fonds propres grâce à l’apport des assureurs. Ces derniers bénéficient, en outre, de la fine connaissance et des données accumulées par les réassureurs sur les risques associés au changement climatique. L’émergence d’un champion français se révèle des plus précieuses tant la capacité des assureurs à soutenir l’économie en cas de catastrophe est à la fois un impératif stratégique et un enjeu de souveraineté. Plus globalement, les assureurs cherchant à acquérir un réassureur s’accordent aussi une soupape de sécurité en cas de catastrophe majeure, qui les exposerait potentiellement à la faillite.
Sur le plan de la mobilisation climatique, le secteur n’est pas non plus en reste. Évoquons ainsi la signature par 8 assureurs de la Net-Zero Insurance Alliance engageant ses membres à faire évoluer leurs portefeuilles de souscription pour qu’ils ne génèrent plus, d’ici 2050, d’émissions nettes de gaz à effet de serre et permettant, à court-terme, la fin de contrats d’assurance avec des entreprises produisant du charbon.
Ne nous contentons pas d’une vision trop court-termiste
Pourtant, la filière semble bien seule à avoir d’ores et déjà pris ses précautions. Une étude réalisée auprès de 1 000 chefs d’entreprise au début de l’année 2019, en amont du Forum économique mondial de Davos, soulignait que les dirigeants percevaient le changement climatique comme un l’un des risques les plus importants, tant en termes d’impact que de probabilité. En revanche, peu mobilisent les moyens pour adapter leurs organisations à ses conséquences. En 2019, Pacific Gas and Eletric (PGE), un mastodonte américain de l’énergie a payé lourdement le prix de sa négligence en ne mettant pas en œuvre de travaux d’infrastructure d’ampleur dans une zone où le réchauffement climatique maximise la probabilité d’incendies ravageurs. Accusé d’être responsable des incendies ayant frappé l’État de Californie en novembre 2018, Pacific Gas and Eletric a fait faillite en janvier 2019 après avoir plongé en bourse. Un cas d’école qui a valu — à tort — le titre peu flatteur de « première faillite liée au changement climatique » à Pacific Gas and Electric.
Un rapport du think tank Shift Project, paru en 2019, dénonce la faible volonté d’adaptabilité des entreprises au changement climatique, alors qu’il en affectera profondément l’environnement d’affaires. Une étude menée par Charbon Disclosure Project estime ainsi à 1 000 milliards le coût du changement climatique qui sera directement supporté par les entreprises, dont la moitié sont d’ores et déjà quasi-certains. Chaque secteur et filière doit, dès à présent, établir des scénarios prospectifs précis pour renforcer sa capacité d’adaptation et, surtout, s’attacher à mettre en œuvre les solutions potentielles face à la multiplicité des risques. En gardant en tête que le coût de l’adaptation et, surtout, de la lutte contre le réchauffement climatique restera toujours inférieur à celui du laisser-faire. Nous n’avons plus le temps d’attendre ; décidons de voir loin et grand.
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