L’Amazonie a vu son ciel s’assombrir sous des fumées toxiques au début du mois d’août. Des satellites ont permis de tracer l’origine de cette fumée : un incendie gigantesque ravageant la forêt tropicale, portant le nombre d’incendies cette année à plus de 70 000 dans la région. Les chefs d’État se sont relayés pour éveiller les consciences et les réseaux sociaux croulent sous les images apocalyptiques.
Il est important de prendre conscience de l’importance du poumon vert de la planète pour notre civilisation, mais il faut également agir à la source du problème et comprendre l’origine de ces incendies pour mieux les combattre. Pour cela, nous devons subvenir aux besoins des communautés et des producteurs locaux qui se situent tout en bas de la chaîne alimentaire mondiale.
Les 20 millions de dollars proposés par le G7 pour combattre les incendies ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan. En revanche, des montants importants sont proposés par le Fonds vert pour le climat ou l’Amazon Fund, à condition que le gouvernement brésilien accepte de collaborer avec les donateurs internationaux.
L’Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais, un centre de recherches brésilien en charge des activités scientifiques, surveille les incendies dans la région et a ainsi pu conclure que seuls quelques-uns d’entre eux relevaient d’accidents ou s’étaient produits naturellement. La plupart des incendies ont en fait été déclenchés par les agriculteurs aux-mêmes pour défricher les terres, attirer le gibier ou enrichir le sol. Cette méthode est utilisée depuis des millénaires en Amazonie, mais les incendies actuels auraient eu (selon l’Amazon Environmental Research Institute) pour but initial de faire reculer la forêt afin de faire progresser la production agricole et bovine. Plus de 40 % des pertes forestières mondiales sont dues à la production de soja, d’huile de palme, de caoutchouc et à l’élevage de bétail. La demande pour ces aliments est en effet toujours plus croissante.
Appliquer des sanctions contre les pays de la région n’empêchera pas l’utilisation de ces méthodes ailleurs, dans les forêts tropicales d’Angola, d’Indonésie, de Zambie et du Congo notamment. Envoyer des financements et des armées pour combattre les incendies n’est pas non plus une solution durable. En revanche, le délaissement de certains produits punit les entreprises responsables de la déforestation et pourrait permettre un revirement de situation.
Nous voilà donc confrontés à un problème classique. L’arrêt des incendies demande une action collective des multiples acteurs qui ont bien trop souvent des intérêts divergents. Même une action collective entre acteurs privés et publics peut s’avérer insuffisante, à moins que les solutions trouvées soient favorables à la population locale.
Si le sort de nos forêts tropicales dépend de l’Amazonie, le sort de l’Amazonie elle-même dépend des milliers d’agriculteurs locaux qui travaillent dans la forêt amazonienne et ses alentours. Ce sont eux qui prennent la décision de laisser les vieux arbres vivre ou de les brûler. Pour la plupart, ces producteurs cherchent simplement à subvenir aux besoins de leur famille, car dans le monde et parmi les 820 millions de personnes sous-alimentées, les deux tiers sont des agriculteurs. Il devient donc urgent de leur offrir une alternative.
C’est
Chico Mendes, un seringuero (ouvrier chargé de la collecte du latex) brésilien, qui a perçu en premier ce marché potentiel. En 1988, il tente de ralentir la déforestation, ne connaissant que trop bien la tentation des producteurs de déclencher des feux de forêt sur leurs terrains. Il sera assassiné la même année dans le cadre de son combat pour la protection de la forêt amazonienne, mais son mouvement transmet aujourd’hui encore trois actions importantes.
La première est de forger des partenariats politiques stratégiques. Avec la solidarité croissante entre syndicats locaux, le combat de Chico Mendes, lancé dans sa petite commune de Xapuri, a pu gagner en force et en légitimité grâce à un réseau mondial diversifié.
La deuxième est d’exiger des droits. Chico Mendes appréciait la profusion de la faune et de la flore dans la forêt amazonienne, mais plutôt que de préserver cette biodiversité dans des sanctuaires clôturés, il a donné aux seringueros la possibilité de se procurer des terres et d’y extraire des richesses naturelles (latex, noix, fruits, huiles… etc.). Cette initiative a permis de satisfaire les communautés locales tout en préservant la beauté, la structure et l’intégrité de la forêt amazonienne.
La troisième est de combattre les incendies à l’aide de la finance. Faute de moyens, le mouvement de Chico Mendes ne pouvait proposer que des conseils pragmatiques à ses partisans. Mais les besoins des travailleurs n’ont jamais été perdus de vue par le syndicaliste brésilien, qui a aidé les seringueros à négocier avec les acheteurs. Il a ainsi exhorté les banques de développement à restructurer ou réorienter leurs systèmes de prêts ou à financer de nouveaux débouchés, afin de commercialiser les produits de la forêt.
Aujourd’hui, la transition vers un modèle sans déforestation, encouragé à la fois par les marchés et les pouvoirs publics, permet d’élargir les possibilités de financement et de susciter des changements à grande échelle. Bien que certains défis s’élèvent sur cette voie, plusieurs études de cas affirment qu’un cercle vertueux sans déforestation de masse serait financement viable. Le Brésil lui-même a démontré qu’il pouvait réduire la déforestation tout en encourageant la production agricole locale.
Chico Mendes avait déclaré peu avant sa mort : « Au début, je pensais que je me battais pour sauver les arbres à caoutchouc. Puis j’ai réalisé que je me battais pour toute la forêt amazonienne. Maintenant je comprends que je me bats pour toute l’humanité ». Il est encore temps aujourd’hui de poursuivre ce combat inachevé en Amazonie.