Vincent Maillard a cofondé le fournisseur d’énergie français Plüm énergie en 2016 aux côtés de Lancelot d’Hauthuille et Joanny Christ. En 2022, son entreprise est rachetée par l’acteur britannique Octopus Energy et ce dernier est donc devenu Président d’Octopus Energy France. Pour Forbes France, Vincent Maillard nous explique les dysfonctionnements du secteur et prône la création d’un service public français dédié à l’énergie.
Pourquoi Octopus Energy a-t-il décidé de fusionner avec votre start-up ?
Vincent Maillard : Octopus Energy est un producteur et fournisseur d’énergie verte britannique né en 2016, au même moment que notre propre start-up Plüm énergie, aussi spécialisée dans la fourniture d’énergie bas-carbone. Nous nous sommes démarqués avec le développement d’un système de cagnotte pour récompenser financièrement les économies d’énergie. Pendant ce temps, Octopus Energy est devenu numéro un sur l’énergie en Grande-Bretagne et a décidé de s’étendre au marché européen, notamment en finalisant notre rachat dès 2022. Le groupe est présent dans 18 pays : en Allemagne, en Espagne, en Italie mais aussi au Japon et au Texas.
Comment réussir à se différencier sur un marché investi par des géants comme Total, EDF ou Engie ?
V. M. : Au départ, notre promesse était d’inciter à mieux consommer, bien avant que la sobriété énergétique ne soit à la mode. Tout l’enjeu est de consommer moins et au meilleur moment. Notre offre « Happy Charge » par exemple adapte son prix si l’usager recharge son véhicule électrique pendant les heures pleines ou creuses. Notre positionnement est vraiment différenciant par rapport aux offres des acteurs historiques qui n’ont proposé une offre comparable à notre “cagnotte” qu’au pic de la crise énergétique… quand ils y trouvaient un intérêt financier.
Autre atout non négligeable : notre fiabilité en termes de service client. D’après le Médiateur national de l’énergie, notre taux de litiges est d’ailleurs très bas, bien en dessous de celui d’EDF. Face à la crise énergétique qui touche le pays depuis plus d’un an, nous avons décidé de maintenir nos prix au tarif réglementé, voire en dessous. Si nous perdons un partenaire producteur, nous veillons toujours de nous couvrir pour nous assurer de tenir nos promesses. Cela fait partie de notre métier de prévoir ces variations de coût.
Notre rôle ne se cantonne pas à être fournisseur mais aussi à inspirer le marché. Une des choses dont je suis le plus fier est d’avoir pris l’initiative il y a trois ans de mettre en place un service minimum de l’énergie. Cela consiste à ne pas couper l’électricité en dehors de la trêve hivernale. Quoi qu’il arrive, été comme hiver et même en cas de factures impayées, nous garantissons une puissance électrique minimale de 1 000 watts (1 kVA). C’est désormais une obligation légale, nous avons donc réussi à faire évoluer la réglementation.
En parallèle, nous avons obtenu le label VertVolt de l’Ademe permettant de certifier que notre offre d’électricité est réellement « verte ». J’ai toujours considéré que la garantie d’origine n’est pas suffisante pour se qualifier de fournisseur « vert ». Nous avons fait le choix de toujours acheter des garanties françaises et notre groupe dispose de ses propres filiales de production en France, tout en concluant des contrats de long terme avec d’autres producteurs (ce qui nous permet de contribuer au financement de nouvelles installations de production). 100% de notre électricité provient de sources renouvelables, éoliennes ou solaires.
La voie originale d’Octopus consiste à considérer que la transition énergétique ne se fera pas uniquement grâce à l’investissement dans les renouvelables. Il faut aussi assurer une bonne performance de nos systèmes énergétiques existants, en témoigne notre plateforme technologique Kraken qui est proposée en marque blanche. Elle centralise toutes les fonctions de facturations, paiements, gestion des compteurs, communications avec les clients, libre-service numérique, centres d’appels, ainsi que les connexions avec les gestionnaires de réseaux. Cela passe également par la mise à niveau des systèmes comme l’accélération du déploiement des pompes à chaleur. Enfin, nous avons annoncé investir un milliard d’euros d’ici 2025 en France dans les énergies vertes.
Vous avez publié en février dernier une tribune au Monde qui appelle à la création d’un grand service public de l’électricité…
V. M. : Je m’oppose dans cette tribune au projet de réforme du marché de l’énergie qui devrait être applicable au 1ᵉʳ janvier 2026. À mon sens, l’accord entre EDF et l’État du 14 novembre 2023, qui laisse à EDF toute liberté de fixer sa stratégie de vente du nucléaire, ne bénéficiera pas à l’intérêt général.
Pour mener à bien la transition énergétique, nous aurons besoin de tous les fournisseurs, publics comme alternatifs, mais aussi à la fois du nucléaire et du renouvelable. Je propose donc de créer un service public de l’électricité pour faire en sorte que tout le monde puisse être autour de la table, assurer l’équité entre les différents fournisseurs et éviter des arbitrages malsains, qui ont déjà créé d’importants déséquilibres par le passé. D’où l’importance d’un meilleur encadrement des prix car c’est toujours le fournisseur et non le producteur qui supporte le risque. Il faudrait que celui-ci soit davantage mutualisé et collectif.
Il nous faut aussi assainir le marché. Certains fournisseurs ont fait faillite parce qu’ils ont choisi de ne pas couvrir le volume prévu dans leur contrat. D’autres auraient délibérément décidé de transformer leurs clients en outils de trading, pour s’enrichir. Il faudrait une meilleure vérification de ces pratiques frauduleuses pour s’assurer que les fournisseurs participent à l’intérêt général.
Ce nouveau service public de l’électricité (SPE) pourrait centraliser les achats auprès des producteurs d’énergie décarbonée afin de mieux redistribuer les sur-profits. Cela éviterait des pratiques de prix trop élevés et inciterait davantage à l’investissement dans des énergies décarbonées.
La crise ukrainienne a mis en lumière nos dépendances énergétiques et a accéléré la nécessité d’une meilleure résilience en France. Est-ce réaliste selon vous ?
V. M. : Nous n’avons pas de pétrole pour faire fonctionner notre industrie ou encore nos transports. Nous sommes aussi largement dépendants des méthaniers pour le gaz, en témoigne par exemple l’affaire du sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2. Même constat sur l’approvisionnement en uranium, même si nous pouvons assurer un peu plus de stabilité en constituant des stocks d’avance. En réalité, la seule manière de parvenir à cette résilience reste de déployer massivement des énergies renouvelables. Et surtout, une fois déployées, on ne risque pas d’en être privés.
Il faut donc réfléchir en amont pour rendre nos capacités de production souveraines, tout en poursuivant l’effort d’investissement dans l’innovation. La nouvelle voiture électrique R5 de Renault est par exemple très pertinente car son système de recharge bidirectionnelle permet aussi de transformer son véhicule en source d’énergie pour les réseaux domestiques.
Sur le nucléaire maintenant : je reste convaincu que c’est un atout majeur pour la France mais il faut arrêter de se battre sur des sujets du passé. Maintenant, la construction de centrales type EPR, qui ne sera pas achevée avant 15 à 20 ans, ne doit pas nous empêcher de mobiliser nos ingénieurs sur les renouvelables pour obtenir une garantie de souveraineté immédiate. S’agissant des petites centrales nucléaires, r rien n’est encore prouvé quant à leur efficacité, et leur coût sera nécessairement plus élevé.
Après la crise ukrainienne, l’inflation énergétique et les difficultés d’EDF en matière de corrosion de ses centrales nucléaires, il faut rappeler que ce qui nous a sauvé la mise, c’est avant tout les énergies renouvelables. Plutôt que s’orienter vers un modèle d’énergie mono-centré, il est plus judicieux de diversifier notre mix énergétique. Je suis un ancien d’EDF et je ne suis pas antinucléaire. Mais le fait est qu’on ne peut aujourd’hui parier sur un nouveau programme nucléaire, encore très incertain en termes de coût et de délai. Il faut donc investir massivement dans les renouvelables – et l’innovation – pour devenir plus flexibles et donc résilients.
La fin du tarif réglementé sur le gaz et le maintien de celui sur l’électricité en France sont-ils une bonne chose ?
V. M. : Nous n’avons jamais demandé la fin des tarifs réglementés. Pendant la crise, d’autres outils de protection (bouclier tarifaire, amortisseurs) ont été mis en place. Nous avons mobilisé aujourd’hui beaucoup d’effectifs sur cette question de comment intégrer les variations de prix dans l’affichage de notre offre. D’où encore une fois l’intérêt d’un service public de l’énergie dédié qui pourrait mettre en place un système simplifié pour tous les acteurs et limiterait très fortement les arbitrages opportunistes.
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