Charles et Frédéric Beigbeder marient pour la première fois leurs talents et lancent « Le Philtre » une vodka bio et ultra Premium dans un marché en plein essor.
Premier alcool vendu avec près de cinq milliards de bouteilles écoulées chaque année dans le monde, la vodka a le vent en poupe. En particulier la vodka française qui a creusé le terreau de son savoir-faire en matière de distillation pour se positionner sur un marché très haut de gamme, estimé à 100 millions de bouteilles. Cet élixir blanc « aux 100 visages » est produit à base de pomme de terre, de blé, de seigle, de betterave ou même de raisin. Avec Grey Goose, vodka Ciroc, ou plus confidentielle, la Maison de la Vodka, les marques françaises ont gagné leurs lettres de noblesses de vodka gastronomique. Il n’en fallait pas plus pour donner des idées aux entrepreneurs français, à l’instar de Charles Beigbeder qui s’associe pour la première fois avec son frère écrivain Frédéric et leur ami d’enfance Guillaume Rappeneau pour lancer « Philtre ». Blé bio, eau de source et bouteilles faites à partir des chutes de verre de Venise, leur vodka « ultra premium » ouvre la voie de l’hédonisme écologique. « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, il n’a pas besoin de l’être pour la planète » peut-on lire derrière la bouteille à 49 euros vendue à La Grande Epicerie du Bon Marché, sur son propre site et via l’appli caviste KOL. Original, le flacon recyclé offre un dégradé de bleu « océan » où l’eau pure et parfois glacée n’est pas sans rappeler l’alcool blanc issu des steppes russes… Rencontre avec les frères Beigbeder.
Désirée de Lamarzelle : C’est la première fois que vous entreprenez ensemble ?
Frédéric Beigbeder : Oui cela faisait un moment que je me disais que ça serait bien qu’on fasse quelque chose ensemble, il m’a proposé la vodka c’est curieux.
Charles Beigbeder : C’est un vieux projet dont on parle depuis longtemps. J’avais même sollicité des professionnels qui me répondaient à chaque fois qu’ils souhaitaient me rencontrer avec mon frère : ils voulaient Frédéric comme ambassadeur.
Vous jouissez chacun d’une vraie notoriété, cela suffit-il pour lancer une vodka ?
C. B. : Non évidemment. La vodka est quand même le premier alcool bu dans le monde et c’est un marché où seuls quelques leaders importants se partagent le gâteau. Néanmoins il n’y a pas autant de variétés de marques que dans le gin ou dans le whisky. Notre approche consiste justement à élargir l’offre de ce spiritueux en se positionnant sur l’ultra premium : une vodka très haut-de-gamme et bien entendu bio, même la bouteille est verre 100 % recyclé.
Le verre recyclé est un détail qu’il faut souligner ?
F. B. : Un point très important pour nous. Il faut savoir que pour passer progressivement d’une couleur à une autre dans la production de verre, il faut cinq jours où le verre nuancé qui sort du four est jeté, car on n’éteint jamais le four qui est à 1500°. Nous fabriquons nos bouteilles en recyclant le verre gaspillé. Seules les verreries italiennes ont accepté de nous en fournir, mais nous aimerions à terme convaincre les verreries en France. Elles refusent par manque d’adaptation à ces nouvelles pratiques.
Comment votre marque bio s’engage-t-elle dans les valeurs sociétales ?
C. B. : Déjà en éclairant les consommateurs dans leurs choix. Ces derniers contribuent les premiers à la transition écoresponsable. Enfin à notre niveau nous voulons associer tous nos collaborateurs au capital, sans oublier la mixité indispensable dans le recrutement. D’ailleurs nous avons une directrice générale pour équilibrer le trio que nous formons avec Guillaume Rappeneau.
F. B. : On soutient également la fondation Surfrider dans son combat pour la protection et la sauvegarde des océans, avec une partie de nos bénéfices qui lui est reversée. En achetant la bouteille sur Philtre.com un euro est donné automatiquement à la fondation.
Le marché de la vodka n’est-il pas un peu saturé, même dans le haut de gamme ?
C. B. : La vodka est le premier spiritueux vendu dans le monde avec 5 milliards de bouteilles. Donc si on prend le premium, c’est 20 % avec 1 milliard et sur l’ultra premium c’est 10 % de ça, donc 100 millions de bouteilles. Nous visons d’ici quatre ans 1 % du marché sur notre positionnement bio et ultra haut de gamme qui est loin d’être encombré comme marché.
F. B. : On ne souhaite pas être ou faire comme les autres. Par exemple la concurrence fabrique leurs bouteilles en verre blanc avec du sable -donc des ressources naturelles- qu’ils font fondre ; alors que les nôtres sont multicolores car entièrement faites à base de déchets de verre. Enfin notre vodka est bio contrairement aux leaders de l’ultra premium. Et point non négligeable, on ne rajoute pas du sucre contrairement aux autres. Une pratique courante dans la vodka mais tenue secrète, pour des raisons que je ne m’explique pas complètement…
« Je me méfie dans grands lancements où l’on dépense beaucoup d’argent, c’est risqué. » Charles Beigbeder
Pourquoi rajoute-t-on du sucre ?
F. B. : Pour épaissir la texture et obtenir cette consistance onctueuse, comme du sirop. Dans Philtre il n’y a pas du tout de sucre rajouté parce qu’on l’a distillé six fois avec le savoir-faire exceptionnel de la maison Villevert. A la place on a ajouté un peu d’essence naturelle de chêne qui donne cet arôme boisé-vanillé.
C. B. : C’est tout le travail de Frédéric avec les experts de la maison Villevert,à l’origine spécialisée dans le cognac. Et cela a pris quand même un an cette petite plaisanterie (rires)! Ils nous ont présenté plein de breuvages différents en réunion et à chaque fois Frédéric écartait plein de formules…
F. B. : Oui je ne voulais pas que cela me brûle la gorge, que ce soit âpre. Mais je ne voulais pas non plus de cette idée que l’on doit boire un sirop sucré toujours un peu écœurant.
On la déguste comment votre vodka Philtre ?
F. B. : Il faut la boire soit à température, soit sur glace mais pas en cocktail… c’est un peu triste. Mais après si on veut faire un moscow mule on peut faire un moscow mule bio avec la vodka Philtre !
C. B. : Mais « light » car il n’y pas de sucre ! On a vraiment stimulé les experts de maison Villevert (basée à Cognac) jusqu’à ce qu’ils nous obtiennent ce qu’on voulait exactement.
C’était la première vodka pour la maison Villevert réputée pour son savoir-faire séculaire ?
C. B. : Ils font aussi une autre vodka connue à base de raisin mais elle n’est pas bio. Il se trouve que parmi les grandes marques de vodka, nous sommes la première bio.
Il y a une vraie culture de l’alcool – en particulier le vin – en France, mais quelle est celle la vodka ?
F. B. : Celle de la Russie avec sa littérature, sa politique… J’ai toujours cette image d’un alcool qu’on boit l’hiver dans une calèche, très romanesque. La vodka est aussi un alcool qui est joyeux et festif, qui donne envie de danser, de chanter… néanmoins nous aimerions avec Philtre sortir de l’univers de la « Night » où la vodka est un peu enfermée voire, confinée dans les discothèques… ce qui en ce moment n’est pas terrible ! Philtre est une vodka qui est dans la vraie vie, c’est à dire conviviale, que l’on puisse boire aussi à l’heure de l’apéro autour du pâté de jambon.
La vodka peut-elle se boire comme du vin ?
F. B. : Je trouve que ce qui s’est passé avec le vin bio est intéressant comme parallèle parce qu’il y a dix ans encore personne n’en buvait, c’était réservé à quelques originaux, alors qu’aujourd’hui il s’est imposé. Il assure même -délesté des sulfites- des lendemains moins migraineux ou inconfortables, à l’instar de la vodka bio et sans sucre ajouté !
C. B. : La vodka est un alcool beaucoup plus neutre que le vin, il peut être un accompagnement idéal pour de nombreux mets. D’ailleurs en goûtant une soixantaine de propositions on a eu le temps d’en débattre !
F. B. : On aurait pu demander une vodka originale avec des arômes étranges comme celles de certains distillateurs qui proposent des arômes incroyables avec du curry du piment, mais ce n’était pas notre but : on voulait vraiment une vodka très classique, très blanche, droite, pure comme je l’aime.
Quel marché visez-vous ? Plutôt français ?
F. B. : Non pas forcément… même si on la lance dans les endroits où l’on vit comme le pays basque ou Paris, on arrive par exemple en Suisse cet été. Mais le plus drôle serait évidemment d’arriver à conquérir Moscou, même Napoléon n’y est pas arrivé !
Quel lancement marketing avez-vous prévu pour Philtre ?
C. B. : On va diffuser un film sur les réseaux sociaux mais j’aime bien construire les choses progressivement, comme je l’ai fait pour toutes mes sociétés. Je me méfie des grands lancements où l’on dépense beaucoup, c’est un peu trop risqué. Et puis on n’est pas pressé : on veut juste que les gens boivent notre vodka parce qu’elle est bonne.
F. B. : 2020 est une année spéciale mais paradoxalement cette crise sanitaire inspire et génère des prises de conscience. Même si le coronavirus n’est pas forcément lié à la nature beaucoup de personnes ont envie changer leur façon de produire et de consommer.
Pourriez-vous m’aider à trouver le titre que je pourrais donner à mon article ?
F. B. : J’en ai un qui m’est venu tout à l’heure c’est « 50 nuances de vodka » qui correspond très bien à notre bouteille produite avec le recyclage de verre où la transition des couleurs atteint environ 40 nuances différentes.
« J’avais le souvenir d’un frère autoritaire que moi, le cadet, je devais suivre. » Frédéric Beigbeder
Frédéric, allez-vous écrire un livre sur votre expérience d’entrepreneur ?
F. B. : Je ne sais pas mais j’ai l’impression que ce n’est pas si différent de créer un alcool et d’écrire un livre. Les deux m’ont pris du temps, celui de la recherche pour trouver l’élixir, la forme, le nom de la bouteille. Une démarche finalement artistique, en tout cas je n’ai pas eu l’impression d’être totalement incompétent ou de découvrir un nouveau monde.
C. B. : Je suis heureux d’entendre cela parce que pour le créateur d’entreprise que je suis cela nous fait un point commun artistique, qui est d’imaginer d’abord. Il y a ensuite une multitude de détails à gérer pour être sûr que tout a été bien fait, comme j’imagine que l’on doit relire 1000 fois sa copie pour un livre.
Et vous, Charles, comment définiriez-vous votre expérience entrepreneuriale avec Philtre ?
C. B. : Je dirais que comme cela fait près de trente ans que je crée des entreprises, je bénéficie d’une certaine expérience et notamment celle de mes erreurs. Et puis ma crédibilité d’entrepreneur nous a permis de gagner pas mal de temps : entre l’idée et la vodka dans le verre il s’est passé 18 mois, ce qui me paraît peu.
F. B. : L’occasion de rendre hommage à Guillaume Rappeneau, le troisième homme de Philtre. En réalité dans la répartition des rôles c’est lui la cheville ouvrière du projet.
Quelle expérience vous avez fait du confinement ?
F. B. : J’ai constaté que l’alcool a continué à être consommé en grande quantité. En fait s’il y a bien un produit qui n’est pas impacté par la crise c’est l’alcool : on n’en a énormément bu, peut-être pour répondre à un petit besoin de se détendre…
C. B. : Concrètement la crise nous a accordé deux mois de grâce puisqu’on en a profité pour peaufiner le lancement, faire les derniers ajustements.
F. B. : Et puis -et je le dis de manière non cynique- c’est vrai que c’est peut-être la chance d’être remarquée pour une nouvelle marque, en se lançant à un moment où personne ne communique.
Dans ce premier projet commun, quelle est la qualité de l’autre ?
F. B. : Je trouve que c’est facile de travailler avec Charles, j’avais des souvenirs de frère aîné assez autoritaire où moi -le cadet- je devais suivre, alors que là tout s’est déroulé de manière fluide. On ne s’est jamais engueulé.
C. B. : J’ai été pour ma part impressionné par la capacité qu’a Frédéric à livrer aussi rapidement que facilement des briefs extrêmement clairs et pros. Et même à relancer les équipes !
F. B. : En fait il ne faut pas oublier que j’ai travaillé dans la pub pendant 10 ans avant d’être saltimbanque…
La Maison Villevert
Pour Philtre mais également pour de nombreux spiritueux indépendants ( Gvine, Cîroc, June,…), l’histoire s’écrit avec la Maison Villevert, à Merpins près de Cognac. L’ancienne distillerie, les chais et les murs anciens préservés racontent d’eux-mêmes l’histoire d’un savoir-faire unique dans l’élaboration des spiritueux, en particulier le cognac, aujourd’hui portée par son président Jean-Sébastien Robicquet. Le gin, la vodka et d’autres liqueurs qui ont longtemps pâti d’une mauvaise image à cause de leur mauvaise qualité, sont réinventés par le savoir-faire de la maison, pour qui, le temps que l’on prend à « bien faire » est synonyme d’innovation.
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