Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Des stoïciens à Luc Ferry, dont un des ouvrages porte précisément ce titre, les philosophes ont apporté leurs réponses…
Un célèbre publicitaire également : Jacques Séguéla, auteur d’une formule sur un plateau de télévision qui souleva une vague d’indignation encore vivace. « Si à 50 ans, on n’a pas une Rolex, on a raté sa vie ».
Quête illusoire
Ainsi, selon le cofondateur de l’agence Euro RSCG, une vie réussie serait strictement réductible au confort matériel et financier, au luxe, à l’acquisition de richesses pour elles-mêmes. Voilà ce qu’Aristote, dans La Politique, nommait la chrématistique, à savoir « l’art d’acquérir » les richesses. Le propriétaire terrien ne peut cultiver au-delà de sa propre force de travail une denrée qu’il sait périssable. Il n’a donc pas intérêt à cultiver plus qu’il ne peut consommer ou échanger avec ses semblables. Mais avec l’invention de la monnaie, cette limite n’a plus cours. Grâce à l’argent, plus n’est jamais trop. Grâce au marché, je peux produire plus pour vendre plus. Advient alors la cupidité, la tentation d’amasser toujours plus d’argent. Un argent qui n’est pas mauvais en soi si on sait l’utiliser avec mesure.
Dans La Vie heureuse, Sénèque fait la différence entre le sage, qui tient les richesses en esclavage et l’insensé que les richesses gouvernent. « Habituons-nous à tenir le luxe à distance et à évaluer les choses non d’après leur faste, mais d’après leur utilité […]. Apprenons à satisfaire à peu de frais nos désirs naturels, à maintenir enchaînées nos ambitions débridées et notre âme toujours à l’affût de ce qui va se passer, à travailler enfin à attendre la richesse de nous-mêmes plutôt que de la Fortune ». Une invitation à la simplicité et à la tempérance. Et puis le propre des richesses, c’est d’être volatiles. Il importe donc de ne pas s’identifier à son argent, de dissocier son être de ses avoirs. Identification pourtant courante qui cause souvent la perte des personnes sujettes aux revers de fortune. La recherche de l’avoir répond à un besoin d’être. Sartre voit d’ailleurs dans l’avoir une quête illusoire d’être dans la relation « possédé/possédant ». Illusoire, car l’être ne se laisse jamais combler par l’avoir.
Confrontation avec le réel
Avoir pour vivre, et non vivre pour avoir : ce chiasme pour montrer qu’une vie dont la finalité réside dans l’accumulation est absurde. Car on ne vit pas pour posséder. Réussir dans la vie n’est pas réussir sa vie. Alors, être ou avoir ? La réponse bien évidemment n’est ni d’un côté ni de l’autre. Elle nécessite l’intervention d’un troisième terme : le faire. L’homme, à la différence de l’animal, est « perfectible » comme l’écrivait Rousseau. Il peut écrire son histoire, transformer le monde, interagir avec les autres. C’est-à-dire créer, entreprendre, prendre des risques, coopérer, faire des choix… Pas de vie réussie sans la confrontation d’une volonté avec le réel. Nous sommes ici au cœur de la philosophie existentialiste. « Ce que nous voulons dire, écrit Sartre, c’est qu’un homme n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme, l’organisation, l’ensemble des relations qui constituent ces entreprises » . Un homme n’est rien d’autre que la somme de ses actions. Et c’est à l’aune de ses actions que l’on peut juger la réussite d’une vie.
Après ces quelques considérations philosophiques, portons maintenant notre regard sur l’entreprise et sur la pluralité d’acteurs qui la composent ou se trouvent sur son orbite. Entrepreneur, intrapreneur, indépendants en portage salarial, salariés-entrepreneurs, « open contributeurs », « home-shorers », travailleurs à temps partagé, « slasheurs »…, le salariat ne sera peut-être bientôt plus la norme du travail. Ce qui sous-tend ces nouvelles formes de travail, c’est la volonté de se défaire des contraintes organisationnelles (hiérarchie, division des tâches, culte du reporting) et de leurs conséquences (perte de sens, pression).
Mais ce phénomène dépasse l’entreprise pour consacrer la figure du « maker » ou du « hacker » , à savoir celui qui réalise quelque chose indépendamment de toute valeur marchande. Produire ensemble, dans le plaisir et en autonomie, voilà peut-être une des tendances fortes du travail de demain. Ce qui conforte les thèses du sociologue Michel Maffesoli, pour qui l’individu d’aujourd’hui – qu’il qualifie d’« hypermoderne » – souhaite déborder le cadre institutionnel dans lequel il se sent enfermé et aspire à faire éclater le modèle d’organisation verticale des rapports sociaux. Le travail peut ainsi devenir l’activité par laquelle l’homme, en réalisant, se réalise lui-même. Et travaille ainsi à la réussite de sa propre vie.
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits