En moins de trois ans, la start-up française est déjà présente dans onze pays européens. Neuf millions d’utilisateurs ont téléchargé son application mobile, dix-huit mille commerçants sont devenus partenaires et douze millions de repas ont été sauvés. La croissance fulgurante de Too Good To Go s’accompagne d’un véritable engagement sociétal pour agir « tous ensemble contre le gaspillage ».
Rencontre avec Camille Colbus, Directrice Générale Adjointe de la société Too Good To Go (« trop bon pour être jeté »), qui a démarré l’aventure en 2016 avec la fondatrice Lucie Basch.
Quel est l’ADN de Too Good To Go?
Notre société est une communauté qui lutte contre le gaspillage alimentaire grâce à une application mobile de mise en relation des utilisateurs avec des commerçants. En activant les fonctionnalités de géolocalisation, le consommateur peut récupérer en fin de journée un « panier surprise » composé des invendus du jour des commerces partenaires situés autour de lui.
L’application a été téléchargée par plus de neuf millions d’Européens dont trois millions et demi de Français. Plus de 30% des membres de notre communauté de TooGoodeurs sont actifs. Ils achètent au moins une fois par mois un panier anti-gaspi au prix de trois ou quatre euros. Les produits ont une valeur trois fois supérieure à celle payée par l’utilisateur. Notre commission est de 1,09 euros par panier.
En France, 7 000 commerçants sont partenaires de Too Good To Go, de tous profils : représentés par les boulangeries, les pâtisseries, les hôtels, les restaurants et les supermarchés. Nous avons noué en janvier 2019 un partenariat avec La Maison du Chocolat, grande maison de création de chocolat et de pâtisseries. 1500 paniers hauts de gamme composés d’éclairs ont déjà pu être sauvés dans cinq boutiques parisiennes en moins de 3 mois.
Notre start-up est basée à Paris. Nous sommes 50 “waste warriors” employés en France et 270 à l’international. Notre modèle économique est « gagnant – gagnant ». Avec l’avènement du concept d’économie circulaire, les invendus des uns deviennent les paniers surprise des autres. Ce panier est le premier pas vers une consommation plus responsable. Notre communauté œuvre pour un monde avec du sens.
Que représente à ce jour le gaspillage alimentaire dans le monde et plus particulièrement en France ?
Si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le 3e émetteur mondial de CO2 après la Chine et les Etats-Unis. Un tiers de la nourriture produite est gaspillée soit 41 tonnes jetées chaque seconde. Cette nourriture serait suffisante pour nourrir les 800 millions de personnes qui meurent de faim dans le monde.
Selon une étude de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (Ademe), le gaspillage alimentaire représente en France 29 kg par an et par habitant soit une valeur commerciale estimée à 16 milliards d’euros par an. Il représente l’équivalent de 15,3 millions de tonnes équivalent de CO2. Une tonne de CO2, c’est par exemple 20 allers-retours Paris-Londres en avion.
Quel est l’impact des dates de consommation apposées sur l’étiquetage des denrées alimentaires ?
20 % du gaspillage est dû à une incompréhension des consommateurs aux dates limite de consommation indiquées sur l’emballage des aliments conditionnés. Il existe deux catégories : « la date limite de consommation (DLC) » et « la date de durabilité minimale (DDM) ». Elles peuvent devenir un vrai casse-tête pour les consommateurs ! La DLC préserve les acheteurs des risques sanitaires. La DDM indique le risque de perte en qualité gustative et nutritive d’un produit une fois la date dépassée. Sa consommation demeure sans danger.
Des produits sont jetés alors qu’ils sont encore consommables. Les yaourts, par exemple, peuvent être consommés jusqu’à 30 jours après la date de péremption. Jusqu’en 2014, un yaourt fabriqué en France avait une consommation limitée à une certaine date en Métropole et une date allongée de 30 jours dans les DOM-TOM pour tenir compte du temps de transport !
Ces dates sont limitées dans le temps pour éviter le risque sanitaire et participent à une rotation des stocks plus rapide. Pour limiter leur impact, nous avons publié en février dernier le premier livre blanc sur les dates de péremption, faisant un état des lieux de la situation et proposant des pistes d’action concrètes aux pouvoirs publics, aux industriels et aux distributeurs.
Quel est le cadre réglementaire français ?
Ce cadre est incitatif :
La loi Garot anti-gaspillage alimentaire de février 2016 oblige les grandes et moyennes surfaces de plus de 400m2 à proposer une convention de don à des associations pour la reprise de leurs invendus alimentaires encore consommables. Cette règle vient s’ajouter à l’incitation fiscale liée au dispositif Coluche datant de 1981, qui attribue une exonération d’impôt de 60 % aux distributeurs et industriels qui pratiquent le don alimentaire en substitution de la production de déchets.
A partir du 1er juillet 2021, un client pourra partir d’un restaurant avec son « doggy bag » . Ce sac permet de rapporter à la maison les restes de son repas non consommé. Les contenants devront être réutilisables ou recyclables.
L’article 103 de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 interdit d’imposer des dates de péremption sur certains produits comme le sucre, le sel, le vinaigre, le miel, l’huile d’olive ou le chewing-gum. Pourtant certains acteurs mettent des dates…
Comment sensibilisez-vous et éduquez-vous votre communauté ?
LE LIVRE BLANC : notre start-up a publié en février 2019 un Livre Blanc sur les dates de péremption pour sensibiliser notre communauté. Il s’adresse également directement aux industriels et au gouvernement. Nous voulons les engager avec nous pour agir « tous ensemble contre le gaspillage alimentaire ». Nous avons fait des recommandations, notamment l’harmonisation des dates de péremption par interprofession ou produit phare.
LES DISTRIBUTEURS : une autre recommandation est de rendre les dates de péremption plus lisibles. Nous travaillons avec des distributeurs sur le changement de la sémantique des dates de péremption. Nous nous sommes inspirés de la campagne de sensibilisation lancée par la Norvège en 2017 pour compléter l’étiquetage sur les emballages avec la phrase « à consommer de préférence avant le » suivi de « mais toujours bon après le ». Carrefour a déjà augmenté la date de péremption de plus de 500 de ses produits.
CHANGE TA DATE : Too Good To Go a lancé en octobre 2018 une pétition #ChangeTaDate, qui a obtenu plus de 60 000 signatures en moins d’un mois. L’objectif a été de mieux informer les consommateurs sur les dates de péremption.
L’APPLICATION MOBILE : Le blog de notre application mobile sensibilise et informe les utilisateurs sur les dates DDM et DLC. La durée de consommation est laissée à l’appréciation du consommateur. Il doit faire usage de ses sens pour décider si un produit est encore consommable ou non, avant de le jeter. Nous avons également un blog destiné aux professionnels pour leur donner des conseils, leur suggérer des outils et solutions pour avoir un commerce plus vert.
Quels sont les engagements de votre communauté ?
– Nous souhaitons engager un maximum de personnes dans une démarche plus responsable et plus durable pour réduire concrètement le gaspillage alimentaire et lutter contre le réchauffement climatique. Nous travaillons pour cela sur différents axes.
– Suite au succès du livre blanc, nous sommes en pleine phase de discussion avec les pouvoirs publics et les marques pour voir comment nous pouvons travailler tous ensemble pour faire évoluer les dates de péremption.
Nous souhaitons que tous les acteurs de la chaîne alimentaire, les producteurs, les transformateurs et les distributeurs s’impliquent pour rendre ces dates plus lisibles et plus légitimes pour le consommateur. L’enjeu est d’aider le gouvernement à atteindre l’objectif de réduire de 50% le gaspillage alimentaire à l’horizon 2025 soit une diminution moyenne de 5% par an entre 2013 et 2025.
– Too Good To Go : Notre communauté très large est la clef pour développer l’économie sociale et solidaire. Notre rôle est de provoquer un changement dans les comportements des consommateurs. Notre application est un outil de plus pour lui donner un vrai pouvoir décisionnaire lors de ses achats. Chaque consommateur doit se sentir responsable et acteur dans le changement. La marche organisée à l’occasion de La Journée Nationale Contre le Gaspillage Alimentaire du 16 octobre 2018 est une prise de conscience des enjeux et une initiative citoyenne supplémentaire. L’accumulation de toutes ces petites actions peut avoir un impact significatif.
– De même, nous travaillons de manière rapprochée avec nos commerçants partenaires pour réduire leur empreinte écologique en leur proposant par exemple des outils pour mettre en place un système de consigne ou d’emballages biodégradables pour limiter la pollution plastique.
– Dans un deuxième temps, nous espérons convaincre les industriels de nous rejoindre.
– Repenser l’alimentation de demain: Lucie Basch a intégré le comité d’orientation alimentaire de Carrefour. L’objectif est de mener des réflexions sur les évolutions de la consommation et de mettre en place des actions concrètes pour une alimentation durable respectueuse de l’environnement.
Pour conclure, je cite cette maxime que l’on se répète souvent en interne : “il faut accepter ce que l’on ne peut changer, et changer ce que l’on ne peut pas accepter” et j’ajouterai « qu’il faut aller plus vite encore, car il y a urgence ».
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