Précurseur de l’upcycling et designer explorateur, le Londonien Tom Dixon fait partie des quelques rares créateurs à conjuguer avec le même talent création et business. Il s’attaque aujourd’hui de front à la question du développement durable dans son secteur.
On le compare à notre « Starck » national mais, en réalité, Tom Dixon est un designer inclassable. Britannique jusqu’au bout des ongles dans son costume trois pièces, doté d’une liberté créative totale, il oscille entre anticonformisme et avant-gardisme. Ancien musicien de la scène underground et passionné par les matériaux bruts, il a démarré sa carrière en parfait autodidacte, en soudant des meubles à partir de pièces métalliques récupérées dans les décharges. Pionnier de l’upcycling, il est nommé directeur artistique d’Habitat en 1998, avant de fonder sa propre société, Tom Dixon, de meubles et d’objets, en 2002. Parmi ses créations incontournables, on compte la chaise S Chair, le fauteuil Wingback et les séries de suspensions Melt et Beat. Pour fabriquer ces luminaires noir mat, dont l’intérieur arbore une teinte chaude et dorée contrastante, quatre jours de travail sont nécessaires parce que la pièce est fabriquée à partir de laiton filé à la main, puis sculptée par des artisans du nord de l’Inde. Son fini moderne, presque futuriste, voire hypnotique quand la suspension est allumée, nous enveloppe de ses multiples effets de miroir.
Grâce à une patte créative reconnaissable entre mille qui s’inscrit dans l’utilisation pionnière des matériaux et des techniques, la marque est très rapidement reconnue en France et à l’international. Certaines de ses créations iconiques sont présentes dans des musées prestigieux comme le Victoria & Albert Museum de Londres, le MOMA de New York et le Centre Pompidou de Paris. En l’espace de quelques années, Tom Dixon a développé son image avec des concept stores à Londres, Milan, Hong Kong, New York, Tokyo, Hangzhou, Pékin et Shanghai, mais il est aussi devenu un gage de fierté nationale : en 2001, il reçoit l’une des plus prestigieuses distinctions en étant fait « Officer of the Order of the British Empire » par Sa Majesté la Reine pour services rendus au design britannique.
Dandy punk
En avril dernier, le gentleman designer a célébré les 20 ans de sa marque au salon du Meuble de Milan avec l’exposition Twenty. À travers des versions inédites de ses créations emblématiques, il dévoile sa vision du design de demain : 20 pièces phares parmi les plus extravagantes, avec pour principale source d’inspiration les enjeux environnementaux. Une exposition qu’il a pensée comme une sorte de manifeste écologique. « Créer des objets durables est mon ambition ultime », nous confie Tom Dixon qui s’attache à privilégier des matériaux ne dépendant pas de la pétrochimie, tels qu’une mousse de rembourrage en mycélium ou encore un tissu façon latex à base d’herbes marines. Il ajoute : « Avec mon équipe, nous testons et fabriquons de nouveaux produits, en examinant leurs différents aspects. Par exemple, la culture de meubles sous l’eau, la fabrication de panneaux architecturaux à partir de champignons et la promotion du liège dans la décoration intérieure. » Point d’orgue de l’exposition, la chaise Accretion, immergée en secret depuis 18 mois dans un centre de culture sous-marine aux Bahamas, Bio Rock.
L’usine met en exergue une méthode naturelle d’élevage de roche biologique en béton cuit qui pourrait révolutionner le design, mais aussi la préservation de la flore sous-marine. « Cette expérience de production met également en lumière des opportunités de régénération des coraux et de préservation des plages. »
Insatiable curieux, artiste engagé, ce dandy punk fait partie de ces designers qui conjuguent avec le même talent création et business. Une vision du marché façonnée par ses dix années passées au poste de directeur du design d’Habitat : « Être directeur artistique d’une société qui totalisait 500 millions d’euros de chiffre d’affaires m’a obligé à connaître en temps réel les ventes de chaque produit. Or, il est impossible de faire ce métier sans connaître les attentes de ses clients. Savoir pourquoi ils veulent tel ou tel objet, mettre en avant de façon transparente sa traçabilité et son potentiel de recyclage. »
Un partenariat confortable
Aujourd’hui, si la marque se démarque par l’originalité et l’innovation technique de mobilier très haut de gamme, l’éventail de ses créations comprend également de nombreux objets financièrement accessibles : des parfums d’ambiance aux vases au look néo-80 en passant par des haltères en marbre. Sans oublier que les objets du créateur habillent d’innombrables lieux prestigieux dessinés par le Design Research Studio, le studio d’architecture d’intérieur de la marque, fondé en 2007 mais aussi ses restaurants éponymes à Londres et à Milan qui représentent aujourd’hui 10 % du chiffre d’affaires de son entreprise. Parmi ses projets les plus récents, le premier bateau de Virgin Voyages qui réinvente l’expérience de la croisière, la refonte de l’hôtel Pullman à Bercy et l’emblématique brasserie Drugstore sur les Champs-Élysées à Paris.
Si le créateur ne possède plus qu’une partie de la société (elle appartient en majorité à la société britannique Neo Investment Partners depuis 2016), la collaboration se déroule sous les meilleurs auspices. Le propriétaire, spécialisé dans les marques européennes à fort potentiel de croissance, a déclaré qu’il a « investi aux côtés de Tom Dixon pour soutenir des plans de développement ambitieux grâce à l’expansion des typologies de produits, des services améliorés et une distribution plus large ». Pour le designer et chercheur infatigable, qui considère que le succès réside dans la singularité « en se démarquant dans un monde où tout est visible et partagé », cette association lui permet de créer en toute quiétude : « Je suis à peu près au même endroit qu’avant, mais avec une plus grande ambition et une propriété plus simple. Je reste un propriétaire minoritaire de moi. »
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