Aujourd’hui, on prend l’avion pour venir à lui à Paris. Des quatre coins du globe. On attend de lui des miracles, de la confiance, un nouveau départ et, souvent, une solution de la dernière chance. Le Docteur Mohamed Derder met son génie au service de patients « abîmés » par un accident de la vie ou par une opération de chirurgie esthétique ratée aux conséquences dévastatrices. Avant d’accéder à ce métier d’élite et de se faire un nom, le plasticien a vécu un parcours qui a tout, sauf de la promenade de santé. Réussir, sinon rien, retour sur l’inspirante success story du Docteur Derder.
Sous sa blouse blanche entrouverte, on aperçoit son pantalon de créateur assorti d’une impeccable chemise griffée et d’une ceinture Hermès. Dans le très chic quartier des Champs-Elysées, il affiche la force tranquille d’un homme à qui tout réussi. Ils et elles vont jusqu’à prendre l’avion d’Espagne, d’Egypte, de Chypre, du Golfe et, même, des Etats-Unis pour le voir. Dr Mohamed Derder, alias Dr Ghost, passé par Dallas, La Mecque des plus grands pontes de la chirurgie plastique et reconstructive du monde, vit le rêve américain. « Non, c’est le French dream ! », corrige-t-il quand on lui demande de raconter son histoire, sans filtre.
Ce qui a notamment précipité sa renommée, c’est son incroyable génie pour réparer les opérations ratées. Et elles sont nombreuses, tues dans le silence de la culpabilité et de la « honte » d’avoir confié sa silhouette, son visage, à des cliniques peu scrupuleuses à l’étranger. Des patientes souvent jeunes, aux revenus limités, parties sans conscience en Tunisie, au Maroc ou en Turquie, se faire opérer à moindre coût. L’envie de ressembler à leur idole sans frontière, Kim Kardashian, en arborant des fesses XXL aura été un appel trop fort.
« Chaque jour dans mon cabinet, je mesure l’ampleur de ce phénomène. A la loupe d’Instagram, elles veulent toutes se payer un Brazilian butt lift (BBL dans notre jargon médical). Cette intervention en pleine explosion consiste à sculpter le corps par liposuccion et réinjection de sa propre graisse au niveau des fesses afin d’augmenter leur volume et/ou modifier leur forme (accentuer la cambrure au niveau des hanches) à l’instar de Kim Kardashian qui a demi-mot a suggéré son recours…Son autre sœur, Kylie Jenner, est aussi pris en modèle universel pour ses lèvres charnues et est à l’origine d’un pic de cette procédure d’injection. », témoigne Dr Derder.
Problème, il observe que ce sont souvent des injections clandestines réalisées par des non spécialistes. Devenant ainsi aux yeux de ces patientes pleines de remords, le médecin de la dernière chance. L’enjeu n’étant plus esthétique mais clairement une urgence médicale pour les sauver d’une infection grave attentant à leur santé. Sur les réseaux sociaux, il tient des interventions en live pour dénoncer cette dérive moderne, photos, chiffres et témoignages à l’appui.
Un parcours de combattant plus que d’étudiant
Aujourd’hui, le praticien parisien fait autorité, savoure le bonheur d’être sur-sollicité, de sauver des vies, de changer des destins en redonnant confiance et joie de vivre, de n’avoir d’autres soucis que de mieux savoir équilibrer vie privée et vie professionnelle. Une existence qu’il a maintes fois rêvée, priée, pleurée, souhaitée ardemment. Le trentenaire est de ces gens qui reviennent de loin…C’est souvent lorsqu’il a été le plus désespéré, qu’un signe de la providence lui a permis de ne pas chavirer irréversiblement. Le natif d’Alger, issu de la classe moyenne, a surtout connu des bas à son arrivée en France pour ses études. En décrochant précocement son Bac avec mention à 16 ans, il n’a d’yeux que pour l’Hexagone et l’excellence de sa filière médicale.
Avant de tenter le grand saut, il prépare le terrain par un apprentissage en médecine générale à la faculté d’Alger. Dans son plan, il vise la spécialité chirurgicale à Paris. En 2003, il traverse la rive et obtient un rendez-vous de recrutement pour démarrer son cursus à l’APHP au sein de l’Hôpital Necker. Le jeune étudiant est reçu par une certaine Agnès Buzyn, un Professeur très respecté exerçant en hématologie.
Celle qui deviendra l’une des ministres de la Santé sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, est conquise par les résultats de ce bon élève mais aussi par sa personnalité. « J’ai été marquée à vie par cette rencontre. Dans les moments les plus difficiles, je pensais à cette grande Professeure qui m’avait donnée ma chance. », s’émeut des années après l’ancien élève devenu confrère. Le plus dur reste à venir en intégrant le concours d’internat à titre étranger, un diplôme sur deux ans et demi connu pour être très sélectif. Seuls les meilleurs franchiront la ligne d’arrivée.
Mohamed Derder qui a toujours été travailleur se soumet à une discipline militaire pour faire partie des ‘happy few’. Quand il n’officie pas à l’hôpital Necker, il s’enferme de 9h30 à 23h30 à la bibliothèque qu’il est contraint de quitter pour cause de fermeture. Ses études chronophages ne lui laissent pas le temps de trouver un boulot à mi-temps pour vivre décemment. Les ressources limitées de ses parents ne lui permettent pas d’être une charge pour eux. L’Algérien transporte sa vie dans une valisette d’une maison à l’autre chez quelques âmes bienveillantes prêtes à le dépanner temporairement.
A la rue
Absorbés par ses révisions, un jour, il oublie de prévoir sa couchette des prochains jours et ne s’en souvient que le soir au sortir de la bibliothèque. Il fait froid, c’est déjà décembre, il se retrouve dans les rues enneigées complètement sonné. Il se souvient aussi qu’il a à peine mangé ces derniers jours. Affaibli, usé, dépassé, le jeune homme déchante et comprend qu’il ne pourra pas tenir sur la distance. A quoi bon ? Les chances sont trop minimes quand on manque de surcroît d’un environnement stable, d’un foyer où trouver chaleur et nourriture.
« Je me revoyais à Alger chez mes parents adorés en sécurité. J’avais la nostalgie des jours heureux. Je commençais à parler tout seul dans les rues, dans le métro, je me tapais les poings, j’avais des TOC…Les gens écarquillaient les yeux en me voyant, ils pensaient avoir croisé un fou de plus. Je me répétais sans cesse que j’avais fait trop d’efforts pour abandonner. », poursuit-il après avoir marqué une longue pause. Le chirurgien en devenir comprend que ses crises d’angoisse sont sur le point de le faire basculer vers la démence, la clochardisation.
Coup du destin, ses suppliques font surgir de nulle part des personnes qu’il connaît à peine et qui acceptent de l’héberger pour trois mois, le temps de se relever. En sursis, oui, mais il sort de la précarisation. Surtout, il retient la leçon de trouver un logement en priorité. Mohamed Derder atterri dans un foyer dans le 13ème arrondissement où il occupe une chambre de 9m2. Un luxe. Après avoir connu la faim, le froid, la peur, un mal bien plus insidieux le pèse : celui d’être seul, loin des siens, de n’avoir personne à qui se confier. Un jour, sa grand-mère de passage dans la capitale le retrouve pour un moment de convivialité. Il se fait violence pour ne pas s’effondrer devant cette figure protectrice tant aimée.
Le petit-fils a beau donner le change, à son retour en Algérie, son aïeule pleure toutes les larmes de son corps en ressentant sa souffrance : « J’avais atrocement maigri, mon regard était triste malgré que je souriais exagérément pour lui faire croire que tout était normal. », se remémore-t-il. Elle l’implore d’abandonner et de rentrer à la maison pour reprendre une vie tranquille. Il résiste et l’assure que le plus dur est derrière lui, qu’elle sera fière de lui.
Docteur Mohamed Derder : « L’une de mes plus grandes fiertés aura été de participer à la première greffe totale de visage dans le monde en 2010, une expérience incroyable ! »
Sa promesse faite, le voilà de nouveau essoré par le rythme infernal de ses études pour gagner sa place parmi les milliers d’étudiants étrangers dans ce quota. « Je me rappelle être rentré un soir à 4h30 du matin au foyer un samedi soir, j’avais rencontré mes voisins qui sortaient d’une soirée organisée sur place, j’avais ressenti une profonde tristesse, bien sûr que j’aurais préféré profiter et m’amuser plutôt que m’enfermer et travailler ! Ces moments de faiblesse salutaire ne duraient jamais longtemps car j’avais basculé en mode machine humaine. J’avais un objectif qui transcendait tout. », relativise-t-il.
Les mois, les années passent, l’étudiant acharné réussit les partiels qui jalonnent son parcours. Dans ce « Koh Lanta » académique, il commence à se faire remarquer par les grands manitous des services où il exerce comme stagiaire, de la chirurgie orthopédique à la chirurgie digestive. Son nom circule de partout. Enfin diplômé, les offres d’emploi viennent à lui, ses résultats lui permettent de rejoindre différents services. Devenu à présent Dr Mohamed Derder, il ne veut pas se précipiter.
Un nouveau signe du destin se présente sur sa route et déterminera de la suite : « Un jour, j’ai tenté d’appeler un collègue, mais je me suis trompé et j’ai appelé par erreur un ancien camarade. On s’est donné des nouvelles et il m’a appris qu’il démarrait sa formation en chirurgie plastique à Marseille. A ce moment-là, je me suis dit, pourquoi pas moi. La chirurgie plastique est une spécialité transversale, on a autant besoin d’un chirurgien plasticien pour effectuer une reconstruction en chirurgie ORL, chirurgie digestive, chirurgie orthopédique (cas des polytraumatisés), que de praticiens pour s’occuper d’une reconstruction mammaire post-cancer après une mastectomie ou d’une augmentation mammaire chez une femme qui présente une agénésie (absence de formation d’un membre supérieur au cours du développement embryonnaire, NDLR). », éclaire-t-il.
Sa décision prise, le célèbre Professeur Laurent Lantieri le prend sous son aile dans son département de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique à l’hôpital Européen Georges Pompidou. Il le nomme au poste convoité de chef de clinique assistant.
Un autre voyage débute, cette fois avec une autre position, d’autres préoccupations et un plan de carrière propre à n’importe quel chef de service du monde. Son nouvel objectif : être un nom connu et reconnu au-delà des frontières françaises. L’homme effectuera plusieurs longs séjours à l’étranger, surtout aux Etats-Unis au Texas en vue de perfectionner ses connaissances et de se former aux techniques chirurgicales de pointe. Il poursuit avec l’obtention de huit diplômes, dont le prestigieux titre de l’European Board Of Plastic Surgery.
L’un de ses plus grands motifs de fierté aura été de participer à la première greffe totale de visage dans le monde en 2010, « une expérience incroyable ! ». Et, surtout, d’avoir honoré la promesse qu’il s’est faite à lui-même de concrétiser son rêve, de rendre fier sa famille. Deux décennies après le début de ses études, le Dr Mohamed Derder se partage entre son cabinet libéral de l’avenue Carnot dans le 17ème et l’hôpital Européen Georges Pompidou où il est également attaché. Sollicité à l’étranger par des établissements réputés, il préfère poursuivre son activité sur la place de Paris.
L’avenir ? Il espère avoir à effectuer moins de rattrapages chirurgicaux grâce à ses nombreuses campagnes de sensibilisation. En attendant, il travaille sur de nouvelles techniques afin d’apporter sa pierre à l’édifice de la science.
Pour aller plus loin :
Cabinet Docteur Mohamed Derder
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