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Start-Up : Pourquoi Ne Parlent-Elles Pas De Leurs Brevets ?

Comme tout acteur de l’écosystème innovant, je me suis rendue à la 4ème édition de VivaTech. Vu le nombre d’exposants annoncé, j’ai organisé ma visite en amont en recherchant en priorité les start-up qui se prévalaient de technologies brevetées et mettaient en avant cet état de fait. Chaque start-up exposante avait un défi sur ce salon : renseigner 3 lignes de présentation qui seraient affichées en ligne et sur leur signalétique. Je me suis donc basée sur ces présentations en ligne pour sélectionner les start-up que j’aimerais visiter.

De façon surprenante, l’argument « brevet » n’apparaissait que pour 24 start-up sur tout le salon qui en annonçait 9000 présentes, même si celles qui tenaient effectivement un stand devaient être 10 fois moindre. Donc dans le meilleur des cas, moins de 3% des start-up exposantes mettaient en avant l’argument « brevet » sur leur brève présentation, et au pire des cas moins de 0,3%. Cet état de fait s’explique de plusieurs façons.

De fait, de nombreuses start-up exposantes exploitaient des technologies brevetées, sans qu’elles n’aient jugé opportun de le préciser sur leur présentation, par simple omission, ou n’y voyant pas un argument suffisamment fort pour que ce mot « patent » ou « patented » (présentation en anglais oblige) ne vaille la peine de prendre la place d’un autre, comme ce fut le cas par exemple pour la start-up Ellcie Healthy. De même, d’autres start-up n’ont tout simplement pas un service ou un produit qui se prête aisément à l’exercice du dépôt de brevet, s’agissant de solutions logicielles, de produits ou services où l’innovation porte davantage sur une nouvelle valeur d’usage ou encore sur un modèle d’affaires particulier. C’était notamment le cas de la société Altermaker, qui propose une solution logicielle innovante d’aide à l’écoconception, mais qui n’est pas éligible à un dépôt de brevet.

Rappelons ici que le salon VivaTech est une opportunité pour rencontrer des clients, des partenaires, des investisseurs ou simplement gagner en visibilité auprès des média. C’est généralement à la lumière de l’objectif recherché que les start-up exposantes sélectionnent avec soin chacun des mots qui  la présenteront aux yeux des visiteurs. Force est de constater que le brevet ne semble pas être un argument de poids dans cette réflexion, alors même qu’il peut être un atout différenciant dans la recherche de partenaires et investisseurs, surtout dans un contexte où la concentration de jeunes pousses est particulièrement dense.

Il était donc intéressant de rencontrer les start-up qui ont fait ce choix argumentaire, pour mieux comprendre leur motivation.

Par manque de temps, ou faute de présence sur le stand, ou encore faute de signalétique (certaines étaient introuvables…), j’ai pu discuter avec seulement 8 des 24 start-up concernées de leur stratégie « brevet ». Les motivations sont apparues assez diverses mais toutes les start-up rencontrées s’accordaient à dire que pour elles, le brevet était un argument commercial fort, particulièrement dans le contexte de ce salon de l’innovation. Sans surprise, les fondateurs rencontrés étaient tous déjà fortement sensibilisés à l’intérêt de la propriété industrielle pour le développement de leur entreprise, du fait de leurs expériences professionnelles passées ou de leur profil technique.

Codesna est une start-up du domaine de la santé qui propose BeWell@Work, un dispositif d’évaluation de l’état de stress d’une personne. Elle a été fondée en 2014 sur la base d’une technologie brevetée relative à la régulation du système nerveux autonome. La demande de brevet français, déposée par le fondateur avant la création, a été apportée en nature au capital de la société, contribuant ainsi à placer cet actif au bilan et à consolider les fonds propres. Pour son Directeur Général Marc Latouche, ce brevet, qui a été étendu à l’international, permet d’apporter une légitimité scientifique et une certaine crédibilité au dispositif proposé, sur un marché où les gadgets se multiplient. C’est un atout que la start-up juge donc utile de mettre en avant pour se positionner face à des partenaires, clients ou investisseurs.

Créée en 2018, Ascendance Flight Technologies intervient dans le domaine très concurrentiel des taxis volants où d’importants acteurs se dispute le futur de la mobilité, comme Airbus, la RATP et bien d‘autres. Les fondateurs, anciens d’Airbus, se sont développés sur fonds propres et fonds publics et sont actuellement à la recherche d’investisseurs. La société a déposé 2 demandes de brevet sur ses technologies et compte poursuivre cette stratégie de protection. En effet, dans un contexte très concurrentiel, le CEO Jean-Christophe Lambert estime que ces brevets permettent notamment de défendre un droit d’exploitation et une place sur ce marché.

La société Bystamp a été fondée en 2016 et propose une solution innovante d’authentification en présentiel : un tampon numérique. La technologie faisait l’objet d’un brevet antérieurement à la création et 2 autres sont en cours, pour assurer une protection internationale. D’abord mise en place comme stratégie de défense sur un marché occupé par de gros acteurs, la démarche de protection par brevet est intégrée à la R&D. Les fondateurs utilisent ainsi l’étude de brevetabilité pour valider la nouveauté, mais aussi la liberté d’exploitation. Selon les fondateurs Yann Le Bail et Thierry Maison, les brevets permettent d’attirer les investisseurs et d’aller plus vite sur le marché, du fait des barrières à l’entrée et des fonds levés. Ils y voient donc un intérêt essentiel et stratégique. Ce portefeuille de brevets peut aussi permettre de négocier des licences croisées avec d’autres acteurs de la filière.

De même, la société Key Infuser dirigée par Domitille Esnard-Domerego, exploite un portefeuille de brevet étendu en Europe et aux USA, protégeant la technologie de son robot démonstrateur. Cette stratégie est défendue par la fondatrice, ingénieure est titulaire d’une dizaine de brevets et donc sensibilisée à l’intérêt de la propriété industrielle par ses expériences professionnelles précédentes en R&D.

La palme de l’étendue géographique de la protection revient certainement à la start-up alertgasoil qui exploite depuis 2009 un brevet dont elle est propriétaire sur 58 pays, protégeant une technologie de surveillance et de calcul de consommation de carburant. 

Toutes les start-up se targuant de cet argument « brevet » ne sont pas nécessairement à l’origine de l’invention qu’elles exploitent.

Nanoz a développé avec le CNRS un capteur sélectif de gaz miniature. La technologie exploitée émane des recherches du CNRS et la société l’exploite sous couvert d’une licence exclusive mondiale. C’est également le cas de la société Arskan, dans le domaine de l’IT, qui exploite sous licence un brevet du CNRS relatif à la compression de fichiers 3D. Il est intéressant de constater que ces deux start-up, bien que n’étant pas à l’origine des technologies brevetées, mettent en avant cet argument « brevet » dans leur présentation. Pour elles, il s’agit en effet d’un argument qui crédibilise fortement leurs produits et services face à des partenaires, des investisseurs mais aussi des clients.

Comme pour le cas d’Arskan, la société Dizmo a développé une plateforme digitale d’optimisation des flux et processus monitorés ou pilotés par des objets connectés. Le procédé sous-jacent de « docking » fait l’objet d’un brevet, que la société met en avant pour souligner le caractère innovant de son produit sur un marché où il est difficile de gagner en visibilité.  

Ces exemples démontrent que même dans le domaine informatique, le brevet est une option dès lors que des procédés innovants sont mis en œuvre sous la couche de code !

Par souci d’exhaustivité, bien qu’elles ne soient pas présentées ici, 16 autres start-up exposantes, françaises ou étrangères, ont également mis en avant le caractère breveté de leur technologie lors du salon VivaTech 2019, à savoir : Asel-Tech, Codintek, Clean Bill, Dathena, EcoWave Power, Elichens, Greenbig b:bot, Ineratec, Kyme Nanoimaging, Mercurio, Nodeus, Pico Cela, Teqoya, The Gossebumps factory, Voox et Inalve.

La question est maintenant de comprendre plus précisément pourquoi de nombreuses start-up ne mettent pas en avant leur propriété industrielle, alors que cet argument est différenciant et porteur de valeur auprès des investisseurs et partenaires. Détenir un brevet sur certains secteurs est en effet crucial pour s’assurer une place sur son marché, mais d’une start-up à l’autre, cela ne va pas nécessairement de soi. De plus, tous les brevets sont loin de se valoir. Il est donc important que les start-up, et les entreprises en général, apprennent à maîtriser davantage ces outils juridiques et à mieux les valoriser, étant prouvé que la détention de brevets contribue au succès. 

 

 

 

 

 

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