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Saïd Hammouche, fondateur de la Fondation Mozaïk : « Il faut désormais passer à l’industrialisation de l’inclusion économique en France »

Saïd Hammouche, fondateur de la Fondation Mozaïk
Saïd Hammouche, fondateur de la Fondation Mozaïk

Saïd Hammouche, entrepreneur et membre du Conseil économique social et environmental revient pour Forbes France sur l’importance crucial de la diversité pour les entreprises. 

Pour lui, la diversité est un sacerdoce. Saïd Hammouche a d’abord créé un cabinet de recrutement en 2007 afin de faciliter la mise en relation entre les offres d’emploi des entreprises et les jeunes diplômés des quartiers populaires. L’initiative s’est très vite renforcée avec par exemple le lancement de la Fondation Mozaïk en 2016, puis de la plateforme de recrutement inclusif Mozaïk Talents en 2018. Plus récemment, la fondation est allée encore plus loin avec l’organisation annuelle du Sommet de l’inclusion économique depuis 2021 ainsi que la création du fonds SENS, octroyant depuis 2022 un prêt sans garantie ni caution bancaire et un accompagnement pour les porteurs de projets venant des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Entretien.

Forbes France : Comment vous est venue l’idée de créer la Fondation Mozaïk ?

Saïd Hammouche : J’ai grandi en Seine-Saint-Denis dans la ville de Bondy et après mes études à l’université, je me suis rendu compte que le diplôme ne suffisait pas pour entrer dans le monde du travail. Le niveau de cooptation et de réseau est aussi important et trop souvent les étudiants ne sont pas réellement accompagnés ou bien avertis sur les secteurs où ils sont attendus. Résultat : beaucoup de postes restent à pourvoir et la mise en relation entre ces profils et les entreprises ne se fait pas de manière naturelle.

Dans le même temps, les jeunes de quartiers populaires – et encore plus ceux issus de l’immigration – font face à un obstacle supplémentaire de préjugés discriminatoires. L’INED, l’INSEE ou bien encore le Bureau International du Travail ont largement documenté ce phénomène. Il faut changer notre vision du recrutement et se rendre compte que ces viviers de talents sont bien présents. Notre rôle est justement de permettre à ces jeunes qui ont moins de chances d’avoir un premier lien avec le monde des entreprises.

Où en êtes-vous aujourd’hui dans votre démarche ?

S. H. : Nous entrons aujourd’hui dans une phase de massification des mises en relation. Il faut pour cela continuer notre effort visant à « challenger le système » et rassurer les recruteurs et les managers. Notre communication auprès des jeunes de quartier s’est aussi amplifiée et nous avons renforcé nos processus de qualification du profil des candidats grâce à l’IA. Nous travaillons d’ailleurs depuis plus de 5 ans avec l’expert Data4job sur notre technologie de recherche sémantique permettant de mieux identifier ces profils.

Plus les entreprises auront pris conscience de leurs biais cognitifs, plus leurs processus de recrutement feront davantage preuve d’ouverture et de logique d’égalité de traitement. Nous souhaitons aussi accompagner ces organisations vers de nouvelles modalités de collaboration plus inclusives pour faciliter l’insertion de profils divers.

Pourquoi la diversité est selon vous cruciale et stratégique en entreprise ?

S. H. : Prenons l’exemple des startups qui ont vocation à innover. Ces dernières ont plus de chances d’être disruptives et impactantes si les profils en interne ne pensent pas tous de la même manière. C’est une richesse inestimable que les investisseurs devraient exiger systématiquement dans les projets qu’ils soutiennent.

Nous avons d’ailleurs travaillé avec 13 fonds d’investissement sur l’élaboration d’une clause de diversité dans les deals comme Raise Ventures, Alter Equity ou encore Serena Capital. Une clause qui existait déjà en tant que recommandation ESG sans être réellement formalisée. Il s’agit donc d’une charte qui impose aux entreprises de leur portefeuille de recruter auprès de structures qui promeuvent la diversité comme la nôtre.

Dans une interview avec Noa Khamallah, fondateur du fonds Don’t Quit Ventures, ce dernier explique que seulement 1,4% des fonds en capital risque reviennent aux projets de minorités… Constatez-vous aussi ces freins persistants qui empêchent une répartition plus inclusive des fonds ?

S. H. : Nous militons activement sur cette question du financement des entrepreneurs issus de la diversité. Nous avons lancé avec Time2Start le fonds SENS pour justement orienter ces entrepreneurs vers les structures les plus à même de répondre à leurs besoins et leur proposer des prêts d’honneur à taux zéro, sans garantie, condition et couplage bancaire, ouverts à tous les secteurs d’activité.

Je suis convaincu que l’inclusion économique passera par la multiplication d’initiatives visant l’identification et le soutien de ces populations qui ont moins de chances d’accès à l’emploi, aux financements et aux prêts bancaires. C’est la raison pour laquelle nous avons par exemple proposé aux entreprises partenaires du Sommet de l’Inclusion Economique un speed dating avec une cinquantaine d’entrepreneurs issus de quartiers défavorisés dans une large diversité de secteurs.

Le Sommet de l’inclusion du 28 novembre dernier a-t-il répondu à vos attentes ?

S. H. : Depuis trois ans, cet événement vise à favoriser la mixité sociale en entreprise et dans l’industrie, en réunissant un large écosystème de décideurs. L’ambition reste de développer des processus durables de recrutement inclusifs et les échanges en la matière ont été plutôt constructifs.

À l’issue de cette journée qui a rassemblé près de 10 000 décideurs au ministère de l’Economie et des Finances, le Mouvement de l’Inclusion économique s’est engagé à réaliser 100 000 recrutements inclusifs en 1 an.

Mais pour passer à l’industrialisation de l’inclusion économique, au service d’une économie où chacun trouvera sa juste place, il faut mobiliser plus largement la société. C’est la raison pour laquelle nous militons notamment pour la création d’une structure « France Inclusion » pour y parvenir.

Comment expliquer à n’importe quel jeune ou salarié que l’entrepreneuriat peut être fait pour lui sans pour autant lui donner de faux espoirs ?

S. H. : Tous les métiers sont en mutation et il y a un énorme travail à faire pour une prise de conscience sur les secteurs en demande de talents comme autour de l’IA, la cybersécurité ou encore l’industrie 4.0. Mon principal conseil serait de se renseigner sur ces métiers de demain afin de cultiver un avantage concurrentiel à faire valoir sur son CV.

Souhaitez-vous réagir à la récente loi immigration et la potentielle accentuation de la pénurie de main d’oeuvre en France ?

S. H. : J’ai tout d’abord le sentiment que cette loi vise à régler cette question de pénurie de main d’oeuvre. Il faut être clair : peu de métiers de main seraient pourvus sans ces personnes issues de l’immigration. Les Jeux Olympiques ne pourraient pas non plus avoir lieu. Tout un pan de l’économie française est assuré par cette main d’oeuvre et le reconnaître est déjà un premier pas.

Au sommet de l’inclusion, nous avons organisé une table-ronde sur sujet qui mérite d’être décomplexé. L’objectif n’est pas de « créer des poches d’immigration » mais bien de rester pragmatique sur la nécessité de ce vivier.

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