Après une première adoption à l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à l’encadrement des influenceurs en France devrait bientôt être examinée par le Sénat et met le doigt sur des pratiques en ligne jugées “dangereuses” comme la promotion du dropshipping, des cryptomonnaies ou encore de la chirurgie esthétique. Ruben Cohen, cofondateur de Follow, une agence qui accompagne des créateurs de contenus en ligne et les marques depuis 6 ans, a accepté pour Forbes France de nous donner sa vision du métier pour tenter d’en redorer le blason.
Comment est venue l’idée de lancer Follow ?
On ne pensait jamais pouvoir en arriver là… A l’époque, je travaillais chez Rad.co, expert du prêt-à-porter personnalisé, avec mon actuel associé, Samuel. Nos amis Nathan et Rubben avaient eux lancé leur propre marque de chapeaux. C’est à cette époque que nous avons vu chez Rad émerger les premiers « blogueurs » sur les réseaux sociaux. Nous avons fait nos premiers partenariats lorsque nous étions encore chez Rad. On s’était fait connaître avec des tee-shirts iconiques comme “Madame jalouse ou Madame chiante” et on imaginait déjà des partenariats avec Burger King, Evian, Nekfeu… Puis, nous avons signé nos premiers contrats notamment avec Madame Figaro et nous explorions déjà comment travailler avec des bloggers. On disait bien “bloggers” à cette époque car il n’existait tout simplement pas encore d’influenceurs.
C’est à ce moment-là que nous nous sommes rendu compte qu’il se passait quelque chose : quand on envoyait un tee-shirt à de petites blogueuses sur Instagram ou Facebook, on pouvait voir plusieurs centaines de milliers d’euros générés les jours suivants. Même notre patron n’y croyait pas et voulait revoir les chiffres ! Nous nous sommes aussi dit que ces jeunes influenceurs n’étaient pas du tout encadrés et trop souvent les marques captaient trop d’argent par rapport à ce que les influenceurs touchaient.
Comment était perçue l’influence sur les réseaux sociaux par les marques ?
Le blogging n’était pas forcément bien vu et certains pensaient déjà qu’il allait empiéter sur le travail du journaliste. Avec l’arrivée de la vidéo, ces mêmes jeunes ont commencé à se filmer toute la journée et on ne peut pas dire que c’était vraiment un métier. Mais nous étions déjà convaincus de notre côté que cela allait devenir une profession en tant que telle et il fallait s’assurer de pouvoir la structurer.
Nous avons collaboré très tôt avec des jeunes talents. Personne ne nous prenait au sérieux mais nous misions tout sur la professionnalisation à venir du métier d’influence. Dès le début, nous avons choisi de rencontrer les parents de ces créateurs de contenu car on se rendait bien compte que c’était pour eux un grand tournant dans leur vie familiale. Certains parents de créateurs avaient même décidé d’arrêter leur profession pour aider leur enfant à gérer leur activité.
Comment convaincre un influenceur de payer les services d’une agence comme la vôtre plutôt que se débrouiller seul ?
C’était d’abord un échec car on ne connaissait pas vraiment le métier du marketing d’influence et les clients ne comprenaient pas forcément l’intérêt de nos services. Paradoxalement, c’était quand même plus simple de convaincre au moment où le métier d’influenceur n’existait pas car il y avait justement besoin d’accompagnement.
Aujourd’hui les choses ont changé et nous vivons une inversion du rapport de force : l’argent a commencé à tomber et les créateurs ne courent plus après les marques. Certains se sont logiquement demandé s’ils pouvaient devenir plus indépendants et d’autres ont préféré déléguer la gestion de partenariats à une agence. C’est le cas de Paola Locatelli, qui collabore avec nous car elle cherche à pouvoir se concentrer uniquement sur son contenu.
Les créateurs doivent penser à du contenu tous les jours et n’ont pas forcément le temps de gérer la partie commerciale. Il y a bien sûr des exceptions, comme Lena Mahfouf par exemple, qui gère beaucoup de choses en autonomie. L’intérêt d’être accompagné par un écosystème d’experts notamment juridiques ou financiers paraît bien plus évident, d’autant plus depuis que certains scandales ont éclaté et que des voies réglementaires pour encadrer ces pratiques ont commencé à être explorées. Et pour preuve : en 2022, nous avons atteint un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros et nous disposons d’une centaine de collaborateurs. Notre prise de risque a payé, au même titre que notre stratégie de fidélisation de nos créateurs nous permettant de faire face à une concurrence devenue très rude.
Fin mars, une proposition de loi a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale pour mieux réguler les pratiques des influenceurs et lutter contre les arnaques, la promotion de crypto-monnaies ou encore de la chirurgie esthétique… Il semblerait tout de même que des créateurs ont délibérément choisi d’enfreindre certaines règles. Etes-vous d’accord ?
Oui, il arrive que les règles soient volontairement transgressées mais il faut rappeler que la plupart respectent les règles. Par exemple, 85% des influenceurs montrent bien leur intention commerciale selon les derniers chiffres de l’ARPP. Le problème, c’est que l’ouverture des canaux de diffusion et l’irruption de réseaux sociaux ont engendré l’arrivée de milliers de boîtes de communication sur le marché, avec un degré d’éthique assez variable. Résultat, un petit 5% de créateurs français – en majorité venus de la téléréalité – ont commencé à entacher la profession d’influenceur.
Ces influenceurs ont généralement bénéficié d’une visibilité télévisuelle pour ensuite promouvoir des produits tandis que les créateurs de contenu purement digital natives, eux, ont forgé leur communauté sur la durée. Résultat, le raccourci a été vite fait et l’image des influenceurs a été entachée. Chez Follow, nous sommes catégoriquement opposés à ces pratiques – notamment la promotion du dropshipping ou de cryptomonnaies – et nous défendons le certificat d’influence responsable de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité). L’ensemble des créateurs de contenu de Follow ont passé et obtenu le certificat de l’influence responsable de l’ARPP. Nos collaborateurs ont également assisté à une formation dédiée avec l’ARPP.
Il faut savoir que des règles existent déjà sur la publicité en ligne mais l’enjeu est aujourd’hui de donner plus de moyens à la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) pour mieux faire respecter ces règles. En parallèle, il faut aussi faire preuve de pédagogie auprès des créateurs pour bien leur faire comprendre que tout n’est pas permis en ligne et qu’ils sont exposés à des sanctions.
Nous sommes favorables et soutenons pleinement la réglementation qui a été votée à l’Assemblée Nationale en mars. Nous avons grandement participé aux échanges des derniers mois pour que cette loi soit au plus proche de la réalité de nos métiers et accompagne les créateurs de contenu tout en protégeant les consommateurs. Nous sommes parmi les membres fondateurs de l’Union des Métiers de l’Influence et des créateurs de contenu, première fédération professionnelle du secteur, réunissant aujourd’hui les principaux acteurs de l’influence marketing.
Diriez-vous que les influenceurs font l’objet d’une méprise générale aujourd’hui ? Pourquoi ?
Je pense que l’écart générationnel est une des premières raisons de la méprise générale à l’égard des créateurs de contenu : c’est un nouveau métier qui a émergé sur des médias que les plus âgés d’entre nous ne comprennent pas. Ils entendent surtout les sommes astronomiques en jeu et les dérives d’une minorité de la profession.
Mais je pourrais vous citer une flopée d’exemples montrant le métier sous un meilleur jour. Par exemple, depuis bientôt 5 ans, Paola Locatelli est marraine de l’association Aida fondée par Léa Moukanas. Aïda s’engage pour l’amélioration du parcours de soins des adolescents malades. Grâce à Paola et l’écho qu’elle donne à Aida sur ses réseaux, ce sont des milliers de jeunes partout en France qui se sont engagés pour accompagner d’autres jeunes atteints du cancer en se rendant à l’hôpital auprès d’eux.
Les influenceurs sont-ils selon vous tenus d’une responsabilité vis-à-vis du public ?
En tant qu’agence représentant des créateurs de contenu, c’est le premier cas de conscience qui doit nous frapper. À ce jour, nous disposons avec tous nos créateurs d’une audience globale de 30 millions de personnes, il faut donc mesurer l’importance de la responsabilité que l’on porte. Les jeunes d’aujourd’hui ne regardent quasiment plus la télévision et le seul moyen de leur transmettre un message reste les réseaux sociaux.
De la même manière, nous devons faire davantage de pédagogie auprès de nos talents pour leur expliquer l’importance des enjeux environnementaux et sociaux mais aussi les sensibiliser au fait qu’il suffit d’un seul faux pas de communication pour que tout s’effondre. Notre politique est assez claire : si l’exemplarité est de mise, cela donne l’exemple. Et c’est d’ailleurs l’objet du certificat d’influence responsable qui exige en l’occurrence certaines notions du GIEC pour l’obtenir.
Nous encourageons la diminution du plastique ou encore l’usage de l’avion mais au bout du compte, il est vrai que le créateur est libre de faire ce qu’il veut. Dans ce cas-là, nous conseillons au moins à l’influenceur de ne pas montrer son train de vie non vertueux car cela pourrait guider trop de gens sur la même voie.
Bien sûr, il y a des limites à ne pas franchir et nous privilégions toujours des contrats sur le long terme avec des personnes de confiance. Pour la petite histoire – je n’ai pas honte de le dire -, nous nous sommes même privés de millions d’euros en refusant de collaborer avec Shein.
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