« Ce contenu n’est pas ouvert aux commentaires », « Les commentaires ont été désactivés pour cet article ». Face à la recrudescence des propos agressifs voire haineux sur Internet, de plus en plus de sites jettent l’éponge et suppriment leurs espaces commentaires. Des espaces entiers de discussions, d’échanges et de dialogues disparaissent. Cette dynamique continue aujourd’hui et les espaces en ligne où peuvent se tenir le débat public se réduisent progressivement. Dans ce contexte, comment repenser les espaces d’expression sur internet ?
Quand la liberté d’expression se réduit de plus en plus…
Les espaces d’expression seraient menacés par « une levée progressive de toute forme d’anonymat » à laquelle Emmanuel Macron s’est déclaré favorable en janvier 2019. La fin de l’anonymat sur internet ne ferait que renforcer l’autocensure que s’infligent déjà ceux qui, tout en restant dans le respect des règles du débat, font valoir une opinion dissonante. « En témoigne la décision récente de Facebook de fournir, en France, à la justice l’adresse IP des auteurs de propos haineux« , souligne Mathilde Aubinaud, professeur en communication politique. Cette décision pourrait laisser la porte ouverte à d’autres mesures susceptibles de porter véritablement atteinte à la liberté d’expression sur internet.
Tim Berners-Lee, l’inventeur du web, défend un internet libre et ouvert
Dans l’esprit des pionniers d’internet, le web était conçu comme ouvert. Les espaces de contribution, et notamment les sections commentaires, devaient permettre la discussion et l’échange dans le respect du pluralisme et d’autrui. Les sites d’actualité ont pendant des années tiré profit des sections commentaires pour renforcer l’engagement de leurs lecteurs. Mais petit à petit, compte tenu des coûts de gestion et de la multiplication des propos indésirables, de nombreux sites ont supprimé ce service. Ce fut la décision de Libération en 2018.
Ces suppressions posent problème à double titre. Premièrement, certains commentaires sont d’intérêt public : un élément factuel vient en support de l’article et apporte un complément d’information. Les commentaires vont alors dans le sens d’une information plus transparente. Deuxièmement, alors que les journalistes ont tribune libre, les lecteurs n’ont aucune possibilité de disputer le point de vue développé.
… mais que de nouveaux acteurs interviennent pour la rétablir.
Face au recul des espaces d’expression, certains se mobilisent. Trois jeunes entrepreneurs français ont développé une extension web, LeaveUr.Com, qui permet de commenter sur n’importe quel site internet. Ainsi, la plateforme permet de contourner les décisions de certains sites de supprimer ou de modérer abusivement leurs sections commentaires. Paul-Louis Donnard, l’un des porteurs du projet, explique qu’il s’agit de « redonner le pouvoir aux utilisateurs en leur permettant d’exercer leur liberté d’expression, une liberté fondamentale protégée par le CESDH. Nous avons fait une vidéo pour expliquer le fonctionnement de notre application ». Pour l’instant, l’extension est disponible sur Google Chrome et Mozilla Firefox. Une application mobile sera disponible fin juillet.
LeaveUr.com, une initiative pour rétablir la liberté d’expression
Ainsi, alors que fleurissent les initiatives en faveur de la liberté d’expression, les sites, en supprimant leurs sections commentaires, ne se trompent-ils pas de combat ? Car ces propos indésirables sont bien le fait d’une minorité. Selon le Panorama de la haine en ligne 2019 dressé par Netino by Webhelp, 14,3% des commentaires sur Facebook sont agressifs ou haineux. Ce chiffre est élevé mais il s’agit là d’une minorité de commentaires. La solution serait d’avoir une posture plus sévère vis-à-vis des utilisateurs dont les commentaires présentent notamment des injures publiques, des appels à la violence ou des incitations à la haine raciale.
Faudrait-il alors décentraliser les espaces d’expression ?
Des instances indépendantes comme LeaveUr.Com répondent à cette problématique. Comme le souligne Paul-Louis Donnard, « nous sommes dédiés à plein temps à cette activité de modération et nous sommes naturellement plus efficaces que les sites qui ont d’autres priorités à gérer ». Par ailleurs, pour une meilleure modération, il faut s’appuyer davantage sur la communauté des utilisateurs. La plupart d’entre eux aspire à discuter et débattre avec bienveillance et ils ont tout à gagner d’une lutte accrue contre les contenus indésirables.
Les Anonymous, ces cyberpirates militants qui défendent la liberté d’expression
L’organisation d’Internet et du pouvoir administratif et politique devraient évoluer dans le même sens et garantir une plus grande liberté. A défaut, c’est faire le choix de bâillonner une partie de la société et de la plonger dans le ressentiment tout en réprimant un droit fondamental. Dans ce contexte, la bataille pour les espaces d’expression sur internet, et notamment les sections commentaires, reste encore ouverte. Mais cette décentralisation ne serait-elle un moyen efficace afin d’éviter les dérives d’organisation politique et administrative de certains pays ?
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