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Quand Take Eat Easy, Un Expert De La Livraison De Repas, Tombe De Sa Selle

La start-up Take Eat Easy vient d’être placée en redressement judiciaire à la demande de ses quatre fondateurs après trois ans d’existence. Un arrêt des activités qui laisse songeur sur l’état général du marché de la livraison de plats à deux roues en pleine expansion, à l’instar de l’entreprise belge. 

Pas si facile de se faire ramasser par la voiture balai en pleine ascension. Le belge Take Eat Easy, start-up spécialisée dans la livraison de repas présents sur les cartes des restaurants, a annoncé ce mardi 26 juillet 2016 son placement en redressement judiciaire. La fin d’une boucle après des débuts en fafare il y a trois ans.

Les quatre fondateurs de la marque belge ont annoncé la « fin de l’aventure » via un communiqué publié sur le site Internet de la société. « C’est ici que prend fin l’aventure Take Eat Easy. Nous sommes fiers et heureux d’avoir été au centre de cette révolution et adoré pouvoir vous livrer les meilleurs restaurants de France, mais malheureusement, il est temps pour nous de vous dire au revoir », déclare la co-fondatrice Chloé Roose dans une note de blog publiée dans la soirée du mardi 26 juillet et titrée sobrement « Les mots justes pour vous dire au revoir ».

Une vingtaine de villes à travers l’Europe fut conquise par le service de livraison proposé par la start-up bruxelloise. « En quelques années, nous sommes devenus leaders de la livraison de restaurants en Belgique et en France, avons ouvert la voie vers la livraison de plats à vélo en Europe », se félicite Chloé Roose. Take Eat Easy note, malgré « un nombre incalculable d’erreurs », des « progrès encore plus impressionnants», qui n’ont pourtant pas permis de maintenir l’entreprise au sein du peloton.

La troisième levée de fonds, tant espérée par les dirigeants de Take Eat Easy pour combler l’absence de rentabilité après trois ans d’existence, n’a pas eu le résultat escompté. « Nous avons commencé à travailler sur notre série C en octobre 2015. Nous savions que l’un de nos propres investisseurs avait investi dans un concurrent direct, maintenant Foodora, et que Deliveroo venait de procéder à une levée de fonds importante (soit 200 millions d’euros depuis la création de l’entreprise américaine, ndlr). Malheureusement pour nous ils ont annoncé une levée encore plus importante que prévu quelques semaines plus tard », déplore Chloé Roose.

Les quatre jeunes dirigeants n’avaient pas assuré l’éventualité d’un échec de leur série C par un plan B, puis le rejet par 114 fonds de capital-risque, un échec indiqué dans un second billet de blog géré par Adrien Roose, le frère co-fondateur. Deliveroo se tourne en dernier recours vers l’État français, par l’intermédiaire de Geopost, un groupe de logistique… qui refusera d’investir la somme de 30 millions d’euros après trois semaines de discussions entre les deux parties. La faillite, loin d’être anticipée sur la plateforme de blogs « Medium » utilisée par la famille Roose, était devenue inéluctable.

L’échappée belle de Foodora et Deliveroo

La chute de Take Eat Easy, synonyme d’abandon après s’être frottée aux leaders Foodora ou Deliveroo, laisse songeur. Les quatre amis d’enfance ont effectué deux levées de fonds en l’espace de six mois entre avril et septembre 2015, pour un montant total de 16 millions d’euros. Le premier apport, à hauteur de 6 millions d’euros, fut récupéré auprès de l’allemand Rocket Internet, DN Capital et Piton Capital au printemps, rejoints par Eight Road Ventures à la rentrée pour la seconde vague d’un poids de 10 millions d’euros. Une somme qui devait leur permettre d’étendre leur service au-delà de la vingtaine de villes déjà conquises au cours des deux premières années d’exploitation.

Des commerciaux, attelés aux tâches de démarchage des restaurateurs qui traitent avec la concurrence, devaient accélérer l’atteinte de cet objectif d’expansion tout azimuts. Les yeux des quatre fondateurs s’est révélée plus gros que leur capacité de digestion des aléas économiques et financiers, avec comme victimes collatérales les 4 500 coursiers indépendants à vélo en Europe, dont importante à assumer pour les fondateurs de la marque.

Les deux autres principaux acteurs de ce marché en plein essor peuvent lever les bras de bonheur. Avec un système basé sur le mobile comme interface d’échange entre le client et les restaurants, l’américain Deliveroo détient 1/3 du marché de la livraison effectuée sur un bicycle de repas en tout genre. Le contrôle de l’ensemble de la chaîne de service – de la transmission des commandes à la livraison par les coursiers jusqu’à l’encaissement – permet à Deliveroo de récupérer une commission de 30 % à l’issue d’une course. Le concurrent allemand Foodora a enregistré une explosion de ses commandes pendant le championnat d’Europe des Nations de Football disputé entre le 10 juin et le 10 juillet 2016. La rencontre entre la France et l’Islande, le quart-de-finale remporté le dimanche 3 juillet par les Bleus (5-2), a drainé un surplus de 67 % des commandes par rapport à un dimanche habituel.

Le secteur de la livraison est devenu ultra-concurrentiel en France, avec l’ arrivée inattendue d’un petit dernier au sein du groupe : UberEats, une filiale de la société américaine Uber. Selon Pierre Guimard, expert du digital et associé chez Keley Consulting, les leaders du secteur proposeraient quatre fois plus de restaurants qu’Uber Eats à Paris. La start-up qui a bousculé le secteur du transport avec chauffeur compte toutefois bien se faire une place sur ce marché porteur, qui devrait atteindre les 90 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2019. Une croissance à trois chiffres – 100 % – est enregistrée chaque mois par Deliveroo et Foodora, contre 30 % pour feue Take Eat Easy et son million de commandes traitées entre septembre 2013 et le 26 juillet 2016.

« Nous doublons de taille tous les mois. Les jours de pointe, on peut atteindre plusieurs milliers de commandes », expliquait en février dernier, auprès du magazine Challenges, le directeur de la filiale française de Deliveroo Adrien Falcon, qui se félicitait de fournir aux restaurateurs partenaires une tablette pour gérer les commandes et une imprimante pour l’édition des tickets de caisse. Les clients sont livrés sept jour sept, dans une tranche horaire comprise entre 11 heures et 23 heures, pour une tarification unique de 2,50 euros ou 3,50 euros. Seuls le périmètre – de moins de cinq kilomètres – et le temps de livraison – une trentaine de minutes – sont imposés par Deliveroo.

La poursuite du maillot jaune de « meilleure entreprise de la niche » engendre des dérives selon des livreurs, considérés comme des partenaires de la société avec un statut d’auto-entrepreneur. Les leaders du marché piochent dans le panier des 2 500 auto-entreprises déclarées en France pour se constituer chacun un bataillon d’une centaine de coursiers. « Cette dernière année, (l’équipe de Take Eat Easy, ndlr) a grandi de 10 à 160 personnes. Une bande d’individus brillants et déterminés, sans qui nous ne serions pas le service que nous sommes aujourd’hui », s’enorgueillissait mardi soir la co-fondatrice de la start-up belge Chloé Roose. Ces « 10 à 160 personnes » jouissaient des avantages liées au statut de salarié, au contraire des livreurs auto-entrepreneurs qui se voient facturer leurs prestations à l’image des chauffeurs d’Uber X.

Certains anciens contributeurs ont décidé de livrer une bataille sur le terrain judiciaire pour obtenir une réparation du préjudice subi par cette position inconfortable entre la selle et le guidon. Un groupe de poursuivants constitué de trois anciens livreurs en bicycle sans moteur se détache du peloton le vendredi 13 mai pour poursuivre en justice une sociétés de livraison à deux roues.

Jérôme Pimot fut le premier trublion à sortir du peloton pour déclencher les premières attaques contre son employeur. Le but est d’être reconnu en tant que salarié sans avoir pu cotiser lorsqu’il collaborait avec des entreprises du secteur sous le statut d’auto-entrepreneur. « C’est pour tous les autres coursiers qui attendaient cette décision, et les PME classiques qui elles aussi sont en attente de décision, parce que l’ubérisation fait courir sur eux le risque de la concurrence déloyale, de toutes ces plateformes qui engagent des auto-entrepreneurs sans payer de cotisations patronales, de cotisations sociales », déplorait en mai dernier Jérôme Pinot, qui a débuté sa carrière sur deux roues au début de l’année 2014 auprès de la société Tok Tok Tok. « On était une vingtaine seulement à Paris », se remémore le quadragénaire.

Son combat, méné contre une entreprise de livraison de repas à domicile, lui impose d’entamer un marathon judiciaire, telle une course cycliste remplie de cols classés hors catégorie. Son affaire est renvoyée pour un traitement devant un juge départiteur courant 2017. Une décision prise le 20 juin dernier par le conseil des prud’hommes. « La bataille continue, je suis un peu déçu […] dans un an et demi, on sera peut-être 10 000, 20 000 livreurs en auto-entrepreneur », s’inquiète Jérôme Pimot.

Le jugement, très attendu par les acteurs de la livraison à vélo, pourrait faire jurisprudence en France. Le coup de pédale risque de se corser pour les survivants du secteur face aux impératifs de couverture sociale qui alourdirait leurs frais au quotidien.

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