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PORTRAIT | Une femme à poigne à la tête d’Orange

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Christel Heydemann

Après un passage chez Alcatel- Lucent puis Schneider Electric, l’ingénieure de formation s’est emparée en avril 2022 de la direction d’Orange. Focus sur le parcours atypique de Christel Heydemann, une des trois femmes à la tête d’un grand groupe du CAC 40.

 

« Je n’aurais jamais imaginé être CEO un jour », confie Christel Heydemann lors d’un échange en marge du tournoi de tennis Roland-Garros à Paris début juin dont Orange est fournisseur officiel. Sur place, les personnes souhaitant échanger avec Christel Heydemann se succèdent. Il faut dire que cette ancienne ingénieure n’a pris la tête du groupe qu’en avril 2022 et depuis, son agenda n’a pas désempli.

 

Si son ascension à la tête d’un géant européen des télécoms est singulier, ce qui reste hors du commun, c’est de voir une femme au poste de directrice générale d’un grand groupe du CAC 40. Quelques mois précédant sa nomination, Catherine MacGregor était devenue la première à se démarquer de la sorte chez Engie. Puis Estelle Brachlianoff a emboîté le pas chez Veolia le 1er juillet 2022, devenant la troisième femme en France à accéder à un poste du CAC 40 aussi stratégique.

 

Cap sur l’inclusion digitale

Il y a tout juste un an, Christel Heydemann profitait du salon Vivatech pour faire son premier discours public et marquer les esprits sur les ambitions qu’elle souhaite porter avec sa récente prise de poste. « Le digital n’a pas le futur s’il n’est pas accessible à tous », scandait-elle. Aujourd’hui, la patronne d’Orange assure ne pas avoir changé de cap : « Notre cœur de métier reste l’infrastructure réseau et notre prouesse est que l’on n’en voit pas la complexité de l’extérieur. Notre job est de faire en sorte que ça marche et d’en donner l’accès au plus grand nombre. Nous devons également agir pour l’inclusion digitale en Europe et en Afrique. »

 

À titre d’exemple, le programme « Orange Digital Center » est déployé partout où le groupe opère. C’est un programme gratuit et accessible à tous pour se familiariser au numérique, développer ses compétences ou se faire accompagner dans un parcours professionnel. Il permet notamment d’incuber des start-up ou encore de se former au codage. Au total, c’est déjà plus de 750 000 bénéficiaires et un programme déployé dans quinze pays africains. « Je ne vois pas pourquoi on devrait priver l’Afrique et le Moyen-Orient des opportunités qu’offre le numérique », confirme Christel Heydemann tout en précisant que cette ambition avait déjà été portée par son prédécesseur Stéphane Richard, écarté de la présidence du groupe après sa condamnation en appel dans l’affaire Tapie. « Stéphane a aussi fait le pari du déploiement de la fibre, je l’avais déjà constaté lorsque je siégeais au conseil d’administration d’Orange ces cinq dernières années », poursuit- elle. La nouvelle CEO estime avoir davantage initié la transformation de l’offre B2B d’Orange, notamment pour répondre à l’explosion de la demande en cloud et en nouveaux outils de la part des entreprises depuis la crise sanitaire. Elle a également pris la décision difficile en début d’année de se séparer de son activité dans l’audiovisuel en cédant le bouquet de chaines OCS et la filiale de coproduction de films et séries Orange Studio à Canal+.

 

Une ascension fulgurante

Née à Clamart, en 1974, d’un père centralien et d’une mère normalienne, Christel Heydemann passe la majeure partie de sa vie étudiante à l’X. Cette dernière associe cette période à une « vie associative très riche », une manière de contrebalancer son accès, les années suivantes, à des écoles techniques d’excellence (Polytechnique puis Ponts et Chaussées). « Je n’ai jamais été une geek et j’ai toujours été au confluent de la technique et de l’humain », se justifie-t-elle. D’après elle, « il ne faut pas oublier qu’un dirigeant d’entreprise est avant tout en charge d’un collectif humain » et il se doit de « bien s’entourer » pour mieux appréhender les ruptures en cours.

 

À 23 ans, Christel Heydemann commence sa carrière par un stage au Boston Consulting Group, puis enchaîne dans le domaine des télécoms : Alcatel dans un premier temps, puis Alcatel-Lucent pendant dix ans, notamment au poste de responsable de contrats avec des grands comptes comme SFR et Orange. Elle rejoint ensuite Schneider Electric en 2014 et il ne lui aura fallu que six ans pour gravir les échelons en interne et s’emparer du poste de vice-présidente exécutive pour l’Europe. Sa progression la distingue dès 2012, date à laquelle elle est désignée par le forum économique mondial comme « Young Global Leader ». « Ce qui m’interpelle à la lecture de son CV, c’est une qualité pas si commune chez les ingénieurs : sa passion pour le contact humain, qui transparaît tout au long de son parcours », précise alors Henri Vidalinc, président du groupe de conseil et services RH Grant Alexander dans une interview pour Cadremploi en mai 2021. « Elle s’est confrontée à des disciplines variées : la finance, les RH, le commercial, la stratégie. Elle est plus crédible qu’un profil qui se serait construit dans une filière d’expert. » Mère de deux garçons et passionnée de trek, Christel Heydemann porte une attention particulière aux questions RH, elle a même commandé un rapport sur la conciliation entre le temps familial et le temps professionnel.

 

Une qualité qui a sans doute pesé dans le choix de son profil pour le remplacement de Stéphane Richard, face à deux candidats en lice : Frank Boulben, responsable des ventes de Verizon, ou encore Ramon Fernandez, ancien directeur général délégué d’Orange passé chez CMA-CGM. L’État, qui reste actionnaire à 23 % du groupe, semble aussi avoir appuyé cette nomination. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire aurait, en effet, défendu la candidature de Christel Heydemann. Enfin, selon des sources contactées par BFM Business, Stéphane Richard lui-même aurait « milité » en sa faveur.

 

Des défis de taille

Christel Heydemann arrive dans un contexte décisif pour le premier opérateur de l’Hexagone. Seulement quelques mois après sa nomination, le conseil d’administration d’Orange et ses actionnaires ont appuyé la décision de désigner l’ancien président de Valeo, Jacques Aschenbroich, président non exécutif, scindant ainsi le poste occupé par Christel Heydemann.

Cette dernière a déjà pris des décisions difficiles face aux résultats incertains du groupe sur certaines de ses verticales. Essuyant un peu plus d’un milliard d’euros de pertes d’exploitation depuis sa création en 2017, Orange Bank cherche toujours un repreneur. De la même manière, la division Orange Business est aussi en difficulté et devrait supprimer environ 700 postes pour redresser la barre. Néanmoins, Orange a tout de même réalisé 10,62 milliards de chiffre d’affaires sur le premier trimestre (+1,3 %), une croissance largement aidée par les résultats enregistrés en Afrique et au Moyen-Orient.

 

Autre défi de taille : Orange s’est donné l’objectif d’atteindre 35 % de femmes aux postes de direction et 25 % dans les métiers techniques d’ici à 2035. « Nous avons déjà 33 % de femmes dirigeantes et c’est plutôt la féminisation des équipes techniques qui sera dure car les profils féminins sont rares », regrette Christel Heydemann. De manière générale, il faudrait de son point de vue en finir avec le syndrome d’imposture qui empêcherait certaines femmes de s’imposer à des niveaux hiérarchiques supérieurs. « Les femmes ne sont naturellement pas attirées par le pouvoir et c’est bien dommage, poursuit-elle. Il faut oser demander et ne pas avoir peur d’essuyer un refus. » Son conseil aux jeunes femmes : « Choisissez bien votre patron ou votre patronne ! », rappelant la chance qu’elle a eu d’avoir des « managers qui l’ont tirée vers le haut ».

 

« Simple is beautiful »

En matière de technologie, Christel Heydemann est une adepte du « simple is beautiful », en référence au « small is beautiful » de l’économiste des années 70, Ernst Friedrich Schumacher. Son concept introduisant l’idée d’une croissance « raisonnée et simple » qui tend vers un usage soutenable des ressources naturelles résonne d’autant plus aujourd’hui. La patronne d’Orange est consciente que même si le numérique est synonyme de développement économique et d’accès aux connaissances sans limites, il faut tout de même s’assurer d’une certaine éthique.

 

Il se trouve que le dialogue sociétal n’a jamais été aussi exacerbé sur ces questions : le 26 mai dernier, par exemple, des dizaines de militants du climat en majorité jeunes ont tenté de perturber l’assemblée générale de TotalEnergies à Paris. Au-delà de la contestation vis-à-vis d’un géant pétrolier accusé « d’écocide », cet événement alimente un débat de fond « quasi générationnel » autour de la réinvention du modèle de croissance que porte le monde des entreprises. « Je comprends ce ressenti vis-à-vis des générations qui auraient contribué à détruire la planète, accorde Christel Heydemann. Mais je pense qu’au-delà de la simple résistance, il faut aussi être dans la proposition constructive. » C’est d’ailleurs ce qu’elle a partagé lors d’une rencontre avec les élèves de Polytechnique, en leur demandant d’être « dans l’action plutôt que dans l’inventaire du passé ». Pour la DG, « compte tenu de l’enjeu, il faut sortir des oppositions générationnelles et se concentrer sur notre responsabilité collective à agir vite ».

 

Cet article a été écrit par : Pierre Berthoux 

 

<<< À lire également : Comment manager une entreprise du CAC 40 ? >>>

 

 

 

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