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Philippe Ginestet, L’Incroyable Success Story

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Rien ne le prédestinait à faire fortune. Vendeur de bestiaux, il est devenu l’un des patrons les plus puissants de la grande distribution. Retour sur l’odyssée de Philippe Ginestet, entrepreneur autodidacte à qui tout semble réussir.

Pouvez-vous nous raconter votre épopée, de vos premiers marchés jusqu’à la création d’un véritable empire de la distribution ?

Philippe Ginestet : Je n’ai pas fait d’études. Issu d’une famille de maquignons, j’ai commencé à travailler très tôt. Dès l’âge de 12 ans, j’accompagnais mes parents sur les marchés, c’était ma première véritable école. Mon père m’a appris une chose très importante : avoir une parole. À l’époque, on ne signait pas de contrat et on ne fonctionnait qu’à la négociation. Il suffisait de se taper dans la main pour conclure une affaire. Quand j’ai arrêté l’école en classe de troisième, mes parents étaient très déçus et ne croyaient plus en moi. Ça a déclenché quelque chose en moi. Je me suis alors donné un objectif qui est toujours resté la finalité de mon entreprise : étonner. Je voulais étonner mes parents en réussissant. Je suis donc parti en Normandie rejoindre une grande coopérative de bétail, pour laquelle je nettoyais les camions et les étables. Le travail me plaisait mais je devais prouver que j’étais capable de faire autre chose. Peu de temps après, j’étais sur les marchés et mes patrons me faisaient confiance. Un jour, alors que mon patron me donnait un avertissement pour mauvaise conduite, j’ai démissionné sur un coup de tête. Je me suis retrouvé sans emploi, sans un sou et sans voiture.

Quinze jours après, je partais à Paris en stop parce que je savais que je pouvais y trouver du travail via les agences d’intérim. J’ai passé ma première nuit dans un métro et le lendemain j’étais balayeur chez Moteur Bernard. Peu de temps après, j’étais embauché chez Electrolux en tant que représentant payé à la commission.

Après une formation de deux semaines, on m’a envoyé sur le terrain, mais au bout de trois semaines, je n’avais fait aucune vente. Alors que j’étais sur le point d’être renvoyé, un représentant expérimenté décide de me prendre sous son aile dans sa petite boutique à Nanterre. Je l’ai simplement regardé travailler et je ne pouvais que constater que c’était un excellent vendeur. Il ne faisait rien de ce que j’avais appris pendant la formation. Il parlait naturellement et simplement, mais surtout, il croyait en son produit. Je me suis alors lancé avec cette nouvelle approche et j’ai commencé à faire des ventes. Au bout de trois mois, celui qu’Electrolux voulait virer arrivait deuxième vendeur sur quarante. Deux ans plus tard, j’étais reçu par le PDG d’Electrolux en Suède en tant que meilleur vendeur de France. Alors que l’on nous demandait entre 12 et 15 ventes par mois, j’en faisais jusqu’à 100. Il se passait quelque chose d’exceptionnel : au Carrefour de Montesson, une dame passe et remarque les aspirateurs au moment où je rangeais mes courses dans le coffre. Très intéressée, elle me demande où se procurer des sacs. Je lui ai livré et sur place je lui ai vendu aussi un aspirateur. La semaine suivante sur ce parking, j’espérais que la même chose se produise. J’ai fermé puis rouvert le coffre de ma voiture une dizaine de fois jusqu’à ce qu’une personne s’arrête. Le lendemain, j’y suis retourné. Tant que je n’avais pas une adresse, je rouvrais et refermais le coffre. Au bout de huit jours, le directeur de l’hypermarché vient me voir et me propose de louer un emplacement devant ses caisses. J’ai alors installé mon tapis et étalé mes aspirateurs.

À 22 ans, j’étais devenu un bon vendeur. Ce que j’avais retenu, c’était qu’il fallait toujours être à l’écoute, pour savoir quoi dire pour capter l’attention de la personne qui s’intéresse à vous. Chez Electrolux, j’ai rencontré ma fiancée, puis je suis parti de l’entreprise de la même manière que j’ai quitté le commerce en Normandie quelques années plus tôt. Est alors venue une autre étape de ma vie de vendeur. J’allais tous les mardis à la vente aux enchères de voiture, où j’achetais une voiture ou deux, pour les nettoyer et les revendre à profit. Le processus fonctionnait, jusqu’à cette petite 4L fourgonnette que je n’ai jamais réussi à vendre. C’est alors que je me suis souvenu que mon beau-frère entreposait une pile de pulls qu’il pensait vendre à un marchand manouche pour trois sous. J’ai pris ma fourgonnette et je l’ai chargée de pulls. J’ai acheté deux lits de camp et un parapluie et sans me déclarer immédiatement, je me suis établi au pied de l’immeuble où j’habitais à Franconville. J’ai vendu pour 800 francs. Le lendemain, je me suis installé au marché de Nanterre et j’ai vendu pour 3300 francs. J’ai vite compris qu’il y avait encore mieux que les marchés : les braderies, très populaires en France. Il fallait être dans le stand la journée, et la nuit rouler parfois 500 kilomètres pour se rendre sur d’autres braderies. J’ai acheté un beau camion Mercedes avec lequel on traînait la caravane. J’étais réellement devenu manouche. Nous vivions avec notre nouveau-né dans la caravane, sur les routes des braderies de France. Cela a duré trois ans, on était heureux, jusqu’à ce que l’âge de la scolarité de mon fils arrive.

 

Il a fallu prendre une décision, un nouveau virage…

P.G. : Oui, on a fait le choix de se stabiliser. On a alors décidé d’ouvrir une boutique à Villeneuve-sur-Lot. Je voulais le meilleur emplacement possible. Comme je ne pouvais pas me payer le centre-ville, sur la route d’Agen, j’ai trouvé un local à louer de 300 m2 pour 4400 francs de loyer. Je ne savais même pas ce que j’allais y vendre mais je l’ai pris tout de suite. À force d’arpenter les marchés et les braderies, j’ai remarqué que ce qui se vendait le mieux, c’étaient les objets utiles : du textile ou encore du linge de maison. J’ai décidé d’y mettre de tout. Je me suis renseigné sur un centre de gros à Aubervilliers où je pouvais acheter ce type de marchandise. C’est avec ça que j’ai ouvert le premier magasin à Villeneuve-sur-Lot. On est en 1981, et il fallait trouver un nom à ce nouveau magasin. Je savais que le mot « soldeur » avait tendance à attirer les gens, il fallait que je l’intègre : le «Fi» de Philippe, le «Gi» de Ginestet, et ça donnait GiFi le soldeur. Comme il fallait que la publicité marque les esprits, je me suis résolu pour « GiFi le vrai soldeur ». Après avoir trouvé le nom et le logo, ce fut le moment de faire de la publicité et c’est vers les journaux gratuits que je me suis tourné. L’étape suivante, c’était l’ouverture d’un deuxième magasin, plus grand, qui a mieux marché que le premier. Le troisième magasin s’est ouvert à Sarlat dans un local de 1200 m2, qui a également très bien marché. Une opportunité s’est ensuite présentée à Bordeaux pour 800 m2. Ma femme tenait le premier, ma mère le deuxième et ma marraine le troisième, et j’ignorais comment j’allais faire marcher le quatrième.

 

Parce que pour vous, il fallait travailler en famille ?

P.G. : Jusque-là, oui. Mais j’ai dû commencer à recruter. J’ai découvert un nouveau monde. Je prenais beaucoup de plaisir à travailler avec les gens. Après l’ouverture du cinquième magasin, on a pris une décision avec ma femme : on a cinq magasins, on est riches et heureux avec notre fils, donc on s’arrête là. Cette décision n’a été que de courte durée puisqu’un mois plus tard, une opportunité trop alléchante s’est présentée. Je pouvais avoir deux grands magasins à Pau et à Tarbes pour seulement 600 000 francs. À ce moment-là, j’ai accepté sans savoir comment j’allais payer. Le banquier qui m’a accordé le crédit pour financer les locaux a cru en moi, et il a eu raison. On est alors en 1986 et je continue à ouvrir des magasins avec de nouveaux collaborateurs. J’avais un leitmotiv. En tant que fils de maquignon, je voulais toujours acheter au bon prix, en évitant les intermédiaires et en passant par des importateurs. Jusqu’au jour où j’ai décidé d’aller directement dans les usines en Italie et en Espagne. L’étape d’après fut l’Asie. Je me suis alors fait la réflexion : « Pourquoi je n’irais pas en Asie ? » J’ai décidé de m’y rendre, tout en sachant que je ne parlais pas un mot de mandarin, ni d’anglais. J’ai engagé un traducteur avec qui j’ai effectué toutes les affaires du groupe en Asie.
L’année 1988 fut une année importante pour la société. C’est là qu’est né le groupe Ginestet, GPG. En 1996, j’ai pris pleinement conscience de la valeur de la société lorsque je fus approché par des financiers avec lesquels je me suis associé sous la forme d’un LBO. Nous avions ensemble pour objectif d’introduire l’entreprise en bourse, ce qui fut fait en février 2005. Seulement voilà, un mois après, c’était le krach boursier qui a fait baisser la cote du groupe de 70 %. Là, j’ai pensé à toutes les personnes qui avaient investi, qui y avaient cru, et qui étaient en train de perdre. Je me suis dis alors : « Le malheur d’un échec, il faut en faire une réussite. » Partant de ce postulat, j’ai commencé à racheter. En 2011, n’arrivant pas à respecter la rigueur de la bourse, la société s’en est détachée et est redevenue une entreprise 100 % familiale. En 2016, GiFi n’avait plus de dettes et une proposition s’offrait à moi : reprendre Tati. Je sais que c’est un terrain dangereux parce que les 15 dernières années ont été très compliquées pour eux, mais je me suis rappelé les années 80, quand tout le monde parlait de Tati, et j’avais la possibilité de racheter cette enseigne mythique. Ce que je voyais, c’était que 1500 personnes allaient se retrouver sans emploi. Mes concurrents sur le dossier Tati se sont associés pour créer un consortium contre moi, décrédibilisant mes actions dans la presse. Ça m’a encore plus motivé, je voulais prouver que je pouvais aller au bout et que je voulais réellement sauver ces emplois. On a remporté le dossier.

 

Quelles leçons avez-vous tirées de vos échecs ?

P.G. : L’échec, c’est ce qui bâtit un homme. Il faut connaître l’échec dans sa vie. J’en ai eu, mais le rachat de Tati n’en était pas un. Finalement, j’ai connu mes échecs au meilleur moment de ma vie. En 2005, nous avons eu besoin d’ouvrir un deuxième dépôt dans le nord de la France. Nous avions alors environ 300 magasins, j’ai pris un prestataire pour s’en occuper. Il nous a fait faux bond et les marchandises se sont retrouvées bloquées et les magasins du Nord n’ont pas été livrés. Tout cela a déséquilibré la société et nous a fait perdre beaucoup de chiffre. J’essuie un deuxième échec. Dans le même laps de temps, j’avais repris une petite société de textile et créé une autre enseigne. L’idée était très bonne, mais je me suis rendu compte que je ne pouvais pas être sur tous les fronts. Je devais résoudre les problèmes du groupe avant de m’éparpiller sur le marché. Les ouvertures de cette nouvelle enseigne ont ainsi dû être annulées. C’est l’un de mes plus grands échecs. L’idée qui s’imposait ? Faire de cet échec une chance. C’est ce genre d’événement qui provoque une remise en question et qui permet de voir les choses sous un autre angle. C’était une belle leçon de vie. J’ai compris après ça que, lorsqu’on investit, il faut toujours prévoir l’imprévu et avoir un plan B.

Pour Tati, j’avais un double objectif. Sauver les 1 500 collaborateurs, mais aussi l’enseigne. Je n’y suis pas parvenu. Évidemment, il y a eu des magasins fermés et une centaine de licenciements mais nous avons créé beaucoup d’emploi en rouvrant tous ces magasins sous l’enseigne GiFi. J’ai toujours en tête de protéger les intérêts de l’entreprise, mais je sais aussi me mettre à la place des collaborateurs. Il est facile d’embaucher, mais plus compliqué de détecter des talents. Une fois trouvés, il faut savoir les accompagner dans l’entreprise. La force d’un dirigeant, c’est d’écouter et de comprendre ses collaborateurs. Cet esprit et cette culture d’entreprise ont toujours été présents depuis la création du premier magasin en 1981. Ce qui a fait la force de mon entreprise, c’est que je suis tombé amoureux de mes collaborateurs. Aujourd’hui, le groupe GPG en compte presque 10 000. C’est un grand objectif atteint, avec comme base un leadership essentiellement humain.

 

Cette proximité avec vos collaborateurs, comment est-ce que vous la cultivez ?

P.G. : C’est assez simple, en montrant que je les aime. À mes débuts,j’avais privatisé une discothèque pour fêter le jour de l’an avec mes équipes à la Mongie. On réservait quelques chambres et on s’installait sur des matelas par terre. Je restais toujours avec mes collaborateurs, j’organise aussi de nombreux séminaires pouvant aller jusqu’à 500 personnes au Maroc, à l’île Maurice, ou encore à Las Vegas. 12 semaines par an, avec mon épouse, nous recevons environ 600 collaborateurs à Megève pour des séminaires de motivation réunissant chaque fois une cinquantaine de personne. Quand ils en oublient que je suis leur président, c’est une satisfaction pour moi. Je prends beaucoup de temps pour rencontrer les responsables de chaque magasin et pour discuter des objectifs et des problèmes de chacun. La proximité avec les collaborateurs est importante, quel que soit l’effectif. C’est quand je me suis rendu dans tous les magasins GiFi que j’ai compris l’étendue de ce que j’avais créé. Je ne vis pas pour les tableaux financiers. Je m’occupe de mes collaborateurs, et c’est toujours un plaisir. Je suis très fier d’avoir fait de cette passion des équipes, le ciment de toute l’équipe de direction de Gifi.

 

Quelle a été votre stratégie d’investissement au long de votre carrière ?

P.G. : Tous mes investissements sont stratégiques. Je ne veux pas me cantonner à un seul secteur d’activité, et ça me permet de faire de belles rencontres. Nos investissements visent tous la pérennité et l’indépendance de notre groupe GPG. Aujourd’hui nous avons une quinzaine de participations dans le digital, la data, le divertissement et la santé. Nos investissements cultivent un lien étroit avec nos clients. Par exemple, j’ai repris les laboratoires Mességué parce que je suis un amoureux de la nature et que je croyais fermement en leurs produits. J’ai également investi dans la publicité sur le téléphone, marché que l’on domine aujourd’hui. J’ai toujours voulu étonner, et cela vaut également pour mes investissements, à l’image de VieConnect, une start-up toulousaine qui travaille avec les Ehpad sur les sujets d’incontinence. A la demande de la région du Lot-et-Garonne, j’ai aussi repris un vieux château pour en faire le Stelsia, un hotel 4* et son restaurant étoilé Michelin devenu une adresse incontournable du Sud-Ouest. En quelques années, j’ai créé un écosystème vraiment unique dans sa distribution ; j’investis toujours par rapport aux personnes car pour moi, toute entreprise est avant tout une aventure humaine.

 

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