À 27 ans, Paul Morlet a déjà lancé deux entreprises. Avec Lulu Frenchie, il proposait de personnaliser des lunettes. Avec Lunettes pour tous, il bouscule l’ensemble du secteur de l’optique : des lunettes de vue réalisées en dix minutes et à partir de dix euros. Trois ans après l’ouverture de la première boutique, Lunettes pour tous compte huit magasins, une centaine de salariés et effectue 9 millions de chiffre d’affaires. Retour sur le parcours d’un autodidacte de l’entrepreneuriat.
Murs de briques blanches, néons au plafond, des tables pour présentoirs avec miroirs intégrés, des écrans accrochés et des salariés en polos bleus. Si les similitudes avec les boutiques de la marque à la pomme sont flagrantes, on est loin des tarifs du dernier iPhone, autour de 1300 euros. Chez Lunettes pour tous, c’est monture et verres assemblés en dix minutes et à partir de dix euros.Remboursement par la sécurité sociale possible. Vite fait, bien fait.
En cette matinée d’automne, la boutique historique située rue Turbigo à Paris, ne désemplit pas. De jeunes gens, des anciens, des personnes visiblement aisées, d’autres d’allure plus modeste. « Pour tous ». 300 clients achètent une – ou plusieurs – paire de lunettes par jour dans le magasin parisien. Quand le prix est bas, c’est le volume qui permet la rentabilité. « Nous sommes obligés de nous installer dans des villes denses car nous devons vendre 110 paires par jour », explique Paul Morlet qui vient d’ouvrir une nouvelle boutique à Toulouse, après Bordeaux, Lyon, Marseille, Lille et Paris. Créé en 2014 avec l’idée folle d’être « un grain de sable » dans le marché de l’optique, Lunettes pour tous pèse aujourd’hui 9 millions d’euros de chiffres d’affaires.
Lady Gaga
Tour du propriétaire, quelques instructions à l’électricien, en équilibre sur un escabeau, et puis s’en va. Quelques minutes plus tôt, quelques pas plus loin, le jeune homme de 27 ans, k-way branché sur le dos, recevait dans un café aux tables de bois usé et chaises d’écoliers du 1er arrondissement de Paris. Comme son concept, comme son phrasé, Paul Morlet est une jeune homme pressé.
En 2010, sans poste après deux ans d’alternance à la SNCF, dans le cadre d’un BEP électricité, le lyonnais se lance dans les petits boulots. « Je bosse un peu à droit à gauche, et puis avec 3000 euros d’économies, j’ai lancé ma première boîte (dont il est toujours dirigeant, ndlr). » Lulu Frenchie, « des autocollants micro perforés sur des verres de lunettes chinoises ». De la publicité ou du marketing à porter au bout du nez. L’idée vivote jusqu’à ce que l’entrepreneur commence à faire des lunettes avec le nom des stars de l’époque imprimé dessus : Lady Gaga, 50 cent… « J’ai lancé ça sur Twitter. Et là, j’ai eu un article dans Le Progrès, puis l’histoire de ce gamin de 20 ans qui fait des lunettes que les stars portent a fait le tour de la presse et des télés », se souvient-il, amusé par son propre coup. Un coup suivi d’un autre. Contacté par le directeur publicité de Pernod-Ricard, le jeune homme est dans l’incapacité de répondre à une commande de milliers de lunettes sans recevoir une avance. Coup de bluff. « J’avais pas envie, mais j’ai pris le risque de passer à côté d’une belle somme. » L’entreprise paiera cash ce qu’elle ne voulait payer qu’après livraison.
Xavier Niel
Gonflé par ces quelques succès, Paul Morlet contacte Xavier Niel, qu’il adule, pour lui présenter Lulu Frenchie, une affaire déjà rentable. « Et là, il me balance : « ça sert à quoi ce truc ? ». Pourtant, le patron de Free a pris la peine de répondre au jeune entrepreneur. « Au lancement de l’école 42, je lui ai envoyé un message pour lui dire que j’étais touché par la démarche », raconte Paul Morlet qui à la différence de très nombreux jeunes startuppers n’a pas fait HEC et ne vient pas d’un milieu aisé.
« Xavier voulait un truc pas cher et rapide, il a mis un million en février 2014, et on a ouvert en mai », s’étonne encore Paul Morlet qui s’est alors confronté à une toute autre réalité. Trouver un local, développer un concept, s’attaquer à un marché colossal de plusieurs milliards d’euros avec des noms aussi connus que Optic 2000, Afflelou… « J’achetais déjà mes montures en Chine, donc je savais que ça coûte quelques dizaines de centimes, mais j’ai découvert que les verres étaient fabriqués pour 1 euro 50 en Chine. »
« À vue de nez, vous êtes myope et astigmate ; vous avez des verres fins anti-reflets et anti-rayure », estime Paul Morlet. « Avec la monture, vous avez dû payer vos lunettes autour de 300 euros, mais vous avez probablement une mutuelle », poursuit le jeune homme. Bluffant. « Que se passe-t-il demain si vous cassez votre paire de lunettes ? » Excellente question. Impensable de rester sans lunettes, ne serait-ce que quelques jours. Comme beaucoup de binoclards, je dois avoir une vieille paire dans un tiroir, reste à savoir si elle est encore à ma vue. « Un rendez-vous chez un ophtalmo à Paris, c’est plusieurs mois d’attente, en province, ça peut aller jusqu’à six mois. Et puis, avec les nouvelles règles de remboursement, vous n’avez droit qu’à une paire, tous les deux ans. » Malin, Paul Morlet, accompagné de son mentor et investisseur Xavier Niel a pensé à tout le monde : à l’étudiant, au chômeur, au coquet et à la coquette, aux lunettes de soleil, à la casse et aux enfants. Au fait que payer une paire de lunettes 300 euros quand les verres coûtent moins de deux euros à la fabrication laisse de la place pour proposer autre chose que le système existant.
« Comme les taxis avec Uber »
« Comme les taxis avec Uber, les opticiens n’étaient pas très contents. C’est comme si d’un coup, ils voyaient un petit épicier devenir Leclerc. » Lunettes pour tous casse le marché de l’optique, comme en son temps Free avec la téléphonie mobile. Les deux approches sont similaires, faire de la marge sans jamais taper sur le consommateur, mais au contraire, en déboulant dans un marché bien installé comme une tornade. Les verres sont stockés et taillés, voire pensés, sur place. En achetant directement les verres à l’usine, en Chine, Paul Morlet peut ainsi faire des marges sans augmenter les prix pour le consommateur.
Mais voilà, l’adage voudrait que ce qui est rare est cher, mais aussi que ce qui est discount est douteux. Pour Paul Morlet, « quand on propose du discount, les gens se disent que le qualité n’y est pas. Or, là il s’agit d’un objet de santé. Il faut donc surinvestir car les clients vont être plus regardant ». Paul Morlet mise donc sur la qualité, le service, rapide, mais aussi après-vente, sur le fait de pouvoir réaliser des tests de vue avec un professionnel, directement en boutique. « Les trois premières années, nous avons lancé trois magasins, on y est allé step by step. Cette année, nous allons en ouvrir cinq. » Pressé, mais pas imprudent.
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