En créant un circuit court entre les créateurs et leurs communautés par son système d’abonnement, Patreon dépoussière l’économie de la création. Interview de Ronny Krieger, Directeur de Patreon Europe et ancien directeur de label indépendant parle de « Renaissance de la créativité » avec sa plate-forme de soutien aux artistes.
« Les grands artistes ont du hasard dans leur talent et du talent dans leur hasard. » écrivait Victor Hugo. Avec Patreon, une start-up californienne lancée en 2013, tous les artistes ont du talent… ou du moins peuvent-ils tirer un revenu durable de leur créativité grâce à une formule d’abonnement de 3 à 25 euros par mois, sans engagement. La plateforme permet en effet aux créateurs – pour la majorité de musique, de vidéos, de podcasts ou d’illustrations – de transformer leurs fans en mécènes, les « Patrons ». L’idée ? Monétiser sous forme de don régulier un accès privilégié à leur travail : avant-première de concert, podcast exclusif, accès anticipés, masterclass de cuisine ou de dessin, coulisses ou tout autre contrepartie déterminée par l’artiste. Ainsi les créatifs « influenceurs », à l’instar du gamer DarkCookie (24 000 mécènes) ou du dessinateur Yagami Yato (30 000 mécènes), peuvent « produire leur contenu en toute liberté » a expliqué le fondateur de la plateforme, le musicien californien Jack Conte (du groupe Pomplamoose) lui-même « lassé de courir sans relâche après de minuscules cachets sur YouTube ». Avec 6,3 millions de mécènes actifs, la société qui vient de finaliser une levée de fonds de 90 millions de dollars, un tour de table qui la valorise à 1,2 milliard de dollars, se lance en France. Une ouverture qui devrait attirer les artistes francophones, comme le podcasteur Patrick Beja, qui vit déjà du mécénat des auditeurs fidèles à son rendez-vous Tech. A mi-chemin entre le collaboratif et le participatif, Ronny Krieger parle de « Renaissance de la créativité ».
Quelle différence y-a-t-il entre Patreon et le crowdfunding ?
Ronny Krieger : C’est assez simple. L’idée du crowdfunding est de financer – via une plateforme – un projet ou un produit spécifique pour qu’il se réalise. Mais la campagne de crowdfunding se limite au projet. Tandis que Patreon a une approche très différente qui opère sur le long terme. Au lieu du financement participatif à un projet, l’abonnement auquel vous souscrivez permet aux créatifs de réaliser autant de projets qu’ils le souhaitent. Patreon est plus adapté aux artistes, parce qu’ils sont constamment dans la création.
Pourquoi parle-t-on de mécénat digital ?
R.K : Nos créateurs sont nombreux à être présents sur plusieurs plateformes mais c’est chez Patreon qu’ils tirent la majorité de leurs revenus. Pour arriver à gagner de l’argent sur les sites de streaming musical ou vidéo qui fonctionnent par micropaiement, il faut faire des millions de vues. Le montant moyen de l’abonnement du « fanclub » est de 10 euros, l’équivalent d’un million de flux sur Spotify ! L’artiste soutenu par sa communauté peut rapidement se verser un salaire.
Y-a-t-il des avantages fiscaux comme la réduction d’impôt sur le don ?
R.K : Il y a différents scénarios de soutien. Le premier est un don à une organisation à but non lucratif inscrite sur Patreon, pour lequel vous bénéficiez des avantages fiscaux habituels. Le second est le soutien à un artiste pour lequel il n’y a pas de déduction fiscale. Ce sont les mêmes règles qu’ailleurs, même s’il y a évidemment des différences de plafonnement des avantages fiscaux dans chaque pays. Ainsi, rien qu’aux États-Unis, il y a des différences selon les États, mais le principe général s’applique à tous.
Quel est le profil type de l’artiste qui arrive à se rémunérer correctement chez vous ?
R.K : Cela fait partie de la beauté du concept de Patreon, il n’y a pas de profil standard. Quand on parle de créateurs, les gens pensent souvent à des musiciens, des peintres, des podcasters… Mais il y a aussi des passionnés et des inventeurs dont les créations les plus folles ne verraient pas le jour sans des mécènes pour les soutenir. Et nous avons aussi des groupes médias parfois avec une quarantaine d’employés, des startups qui peuvent gagner parfois des centaines de milliers de dollars par mois.
Peut-on tenter sa chance sur Patreon, même sans une communauté derrière soi ?
R.K : D’une manière générale, on ne peut pas se lancer sur Patreon si on n’a pas de « fan base » parce que c’est justement ce que nous monétisons. La plateforme n’est pas – pour l’instant – conçue pour permettre la découverte de talents. Les communautés de nos Talents sont souvent issues des réseaux sociaux, d’une newsletter, etc. Mais nous allons repenser le concept car l’audience du site se compte en millions de personnes. Cela fait partie de nos projets de développement d’ouvrir une vitrine avec une recherche par centre d’intérêt. Et nous allons également aider l’utilisateur à construire sa communauté avec des outils adaptés.
Comment accompagnez-vous vos talents?
R.K : Avec des conseils approfondis pour entretenir leur communauté et des outils pour la développer. Nous avons également une équipe dédiée aux partenariats dont des experts nationaux (France, Allemagne, …) qui parlent la langue locale et maitrisent parfaitement leur marché. La service client est un point fondamental dans notre offre.
Mon rêve le plus fou ? Que chaque esprit créatif dans le monde soit en mesure de tirer un revenu durable de sa créativité.
Comment prévenir les possibles dérives « éditoriales » (racisme, prosélytisme politique, sexe amateur…) ?
R.K : Patreon n’est pas une tribune pour les extrémistes. Nous suivons des directives très strictes en matière de confiance et de sécurité, et chaque créateur qui se lance sur la plateforme est contrôlé. La charte est claire : nous ne tolérons aucun contenu à caractère homophobe, raciste ou toute incitation à la haine. Nos valeurs sont très fortes car tournées vers la création. Même s’il est littéralement impossible de vérifier en temps réel chaque contenu, notre outil de veille est efficace. Le contenu érotique ne se justifie que dans la démarche artistique, mais nous avons défini une ligne de démarcation très claire avec la pornographie.
Quel est votre modèle économique ?
R.K : Nous prélevons 8 % de commission. Une marge assez faible qui repose sur le volume d’inscriptions que nous devons fédérer mais aussi sur une gestion stricte de nos dépenses. Nous sommes présents dans 180 pays mais nos bureaux sont organisés par zones géographiques. Notre difficulté aujourd’hui – et notre défi – réside dans la diversité des profils des inscrits. Cela serait plus facile de dédier toutes nos ressources à un seul domaine comme celui de la musique pour optimiser nos outils et notre communication, mais nous avons opté pour la créativité dans toutes ses formes d’expression.
Vous vous implantez en France. Est-ce un axe de développement important pour Patreon ?
R.K : Oui, notre effort d’internationalisation est primordial, ce qui signifie qu’il faut être disponible dans d’autres langues comme l’allemand, le français, l’italien, l’espagnol, avec des devises et des méthodes de paiement supplémentaires. Notre offre doit s’adapter localement pour répondre aux besoins des créatifs. Nous sommes une entreprise en pleine croissance avec plus de 200 salariés, le bureau de Berlin responsable des partenariats créatifs en Europe est passé de 2 à 15 personnes.
Patreon en chiffres ?
R.K : C’est 2 milliards de dollars déjà reversés aux créateurs. Nous avons actuellement un peu plus de 6,3 millions de mécènes qui soutiennent activement les créateurs chaque mois. Un nombre en constante augmentation avec l’internationalisation de la plateforme.
Quel est votre rêve le plus fou ?
R.K : Le plus fou ? Que chaque esprit créatif dans le monde soit en mesure de tirer un revenu durable de sa créativité. Nous appelons cela la Renaissance de la créativité ou la création d’une nouvelle économie créative.
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