Consacré mot de l’année 2018 par le Cambridge Dictionary, le terme « nomophobie », qui désigne la « peur ou inquiétude ressentie à l’idée de se trouver sans téléphone mobile ou d’être dans l’incapacité de s’en servir », est symptomatique d’une époque où l’Homo sapiens 2.0 ne sait plus débrancher. Au bureau, à la maison, au restaurant… les interactions se font par écrans interposés. Une « névrose contemporaine » qui a inspiré deux jeunes entrepreneures, Sandrine Gaussein-Casanova et Félicie Royol, instigatrices du concept : Out Of Reach. Le principe ? Vous extirper de votre quotidien sous perfusion de gigaoctets, le temps d’un séjour digital detox pour vous « reconnecter à la vie, la vraie ». Ou comment « sevrer » les geeks de tout poil. Bienvenue en zone blanche.
« Être inaccessible est devenu le luxe ultime. Et demain, il sera branché d’être débranché ! », tout de go, la startuppeuse Sandrine Gaussein-Casanova plante le décor : elle entend bien faire un pied de nez au règne de la digitalisation à outrance. Avec son concept « Out of Reach », elle propose de reconnecter les citadins, working girls et familles au bord de l’engorgement numérique, à la vie « la vraie » et aux gens dans leur expression la plus authentique. OOR, c’est une agence de voyage atypique qui s’inscrit dans une tendance nouvelle prônant les expériences « digital detox ». Internet, mon ennemi intime ! Il y a six mois, l’entrepreneure et sa comparse, Félicie Royol, ont choisi de pousser le curseur encore « plus loin » en créant de toutes pièces des séjours déconnexion. Le principe ? Immerger tout un chacun en pleine nature (steppe, mer, forêt, désert…) en France ou aux antipodes, dans le but de s’adonner à toutes sortes d’activités (randonnée, sport équestre, canoë, voile…) afin de rompre avec leur quotidien sous perfusion de gigaoctets. Loin des antennes relais dissimulatrices du « réel », schématise Sandrine Gaussein-Casanova.
Ses clients « curistes » ont tous en commun d’être parvenus à un constat : ils déplorent une existence qui ne se vit plus que par écrans interposés. Souvent par contraintes professionnelles car ils exercent en open space, les yeux rivés sur leur ordinateur de bureau, mais aussi par convenances personnelles puisqu’ils interagissent frénétiquement sur leurs smartphones et autres tablettes pour garder le fil de leur vie socialo-virtuelle. Du réveil au coucher. Un sommeil d’ailleurs souvent retardé ou rythmé par des coupures intempestives : le temps de lire leurs notifications nocturnes, « urgence vitale » vous comprenez… Et elles sont nombreuses car proportionnelles à leur présence (omniprésence ?) sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Linkedin…).
Quand le monde physique a ses limites avec des « heures ouvrables » et les commerces ouvrent et ferment à heures fixes, la virtualité – elle – « n’offre aucun répit ! », rappelle cet ancienne directrice d’agence de communication digitale adepte de formules chocs. « On croit qu’exposer son image et ses opinions, recevoir des like, cœurs, retweet, partages, c’est être approuvé, aimé. Non, le Graal est ailleurs », entonne-t-elle. Il faut du « cran pour lever les yeux de son écran. Il faut de l’esprit d’aventure pour trouver un espace encore vierge, sans sollicitations digitales. Au bout du monde, comme au bout de son jardin. Qu’elle soit absolue ou juste créée, la zone blanche est un espace de plus en plus rare, et donc précieux. La zone blanche est notre Graal, le lieu saint du lâcher-prise digital ! », expose la vingtenaire.
Sortir les e-touristes de la matrice
Sollicitées par des personnes ayant atteint cet état de conscience à l’image de DRH en quête de lien avec leurs équipes, de conjoints, pères ou mères de famille voulant renouer avec leurs ados, ou avec eux-mêmes et, surtout, par des cadres surmenés évoluant souvent dans le secteur des nouvelles technologies, Sandrine Gaussein-Casanova et son associée Félicie Royol accompagnent ces profils éclectiques dans leur volonté de sevrage numérique. Ou tout du moins vers une « dépendance contenue ». Objectif ? Une maîtrise contrôlée de leur consommation numérique. Savoir zapper, ignorer les sollicitations digitales, commerciales ou « faussement sociales » et se départir de son doudou technologique. Lequel, tel un caméléon, prend la forme du smartphone au réveil, de l’ordinateur au travail, du Kindle pendant son temps de transport ou de la tablette le week-end pour suivre sa série sur Netflix. Grand est le challenge et immense est la volonté pour briser ce cercle infernal !
Le modus operandi proposé par les deux fondatrices de Out Of Reach est « de sortir ces e-touristes de leur zone de confort, de la matrice, en leur ouvrant un catalogue de 50 destinations idylliques réparties dans une quinzaine de pays (France, Bostwana, Mongolie, Equateur, Grèce, Polynésie…)». Toujours en action, comme dans leur vie quotidienne, les vacanciers se muent en néo-aventuriers au fil des heures pour vivre des moments propices aux robinsonnades. Marcher, ramer, galoper, naviguer et contempler les paysages, telle est l’ordonnance de séjour. Et la magie opère chez ces geeks venus souvent en duo, en famille ou en délégation corporate. Ces derniers (re-)découvrent le plaisir d’admirer un coucher de soleil, de se défier amicalement lors d’une compétition sportive et de se parler longuement sans interférences numériques.
Là-bas, pas question de faire montre d’intransigeance en recourant à une méthode de « tolérance zéro » : si vous commencez à avoir des fourmis dans les mains, à éprouver des picotements dans les yeux et – plus flagrant – à afficher une humeur versatile qui oscille entre zénitude, crises d’angoisse et hostilité, Sandrine Gaussein-Casanova ne vous jettera pas la pierre ! « Vous avez le droit de craquer : les voyages et camps Out Of Reach ne sont pas des centres de détox. Ainsi, vous serez conduit au PMU / cybercafé le plus proche pour prendre une dose de 4G ! Vous êtes maître de votre aventure. », rassure l’instigatrice. Un argument qui fait mouche auprès des clients pas encore pleinement conscients de « leurs limites en matière de déconnexion digitale ». Quoiqu’une chose les relie, « ce ne sont pas des adeptes du vide, du temps mort, et OOR célèbre la vie active. » Autre aspect essentiel à une expérience Out of Reach réussie : la nécessité de prévenir en amont de son inaccessibilité et de fournir le numéro d’urgence OOR, afin de limiter les sollicitations et de partir l’esprit tranquille. « Finalement, nous n’imposons pas la déconnexion… elle s’impose d’elle-même. », ironise la digital native qui, un jour aussi, est passée par là.
Il était une fois un roadtrip en Patagonie…
Out Of Reach est né d’une « expérience heureuse de déconnexion en pleine steppe », narre la routarde. Alors que Sandrine Gaussein-Casanova explorait des chemins de traverse en famille, avec pour seule boussole la beauté sauvage et foisonnante des pampas argentines, à 200km de « toute civilisation », la joyeuse bande prit conscience de son isolement « digital ». « Tout à coup, plus de signal. Plus d’internet, ni de réseau téléphonique. J’ai d’abord ressenti de la stupeur, le vertige du vide. ». La conscience d’être en terre « Out Of Reach », et en même temps le sentiment « qu’un écran se brisait, et derrière, il y avait tout. Un ciel immense, la terre à perte de vue, la force du vent, la chaleur du poêle dans les estancias perdues. Nous avons redécouvert le monde, sans interférence. Mais aussi l’exaltation de vivre une grande aventure avec famille, le genre de moments qu’on ne vit décidément pas sur Facebook. », témoigne-t-elle. Libérée des mails, des sollicitations virtuelles, la jeune femme et son acolyte Félicie Royol ont eu un déclic : « Nous devions partager cette expérience libératrice ! ». Convaincues que « nous avions tous besoin d’un sas de déconnexion pour respirer et prendre de la hauteur », le tandem a pris une feuille blanche pour construire son business plan. « Nous sommes parties en quête des spots les plus déconnectés de France et de Navarre pour créer des week-ends, des voyages dont la destination serait la déconnexion. ».
Et comment gèrent-elles « le jour d’après » ?
Exit les paysages grandioses d’Amérique latine, l’azur des Cyclades pour un atterrissage dans la jungle urbaine parisienne, les néo-aventuriers se retrouvent à côtoyer leurs congénères férus de joujoux technologiques. Selon les deux entrepreneures : « Après un séjour Out Of Reach, rien n’est plus comme avant… car on a (re)découvert la vie sans écran. Vous savez, vous, à quoi ressemblent 24h sans smartphone ? L’expérience de l’Out Of Reach, est une véritable fenêtre qui s’ouvre, de notre caverne digitale sur le monde sensoriel. Plus rien ne sera plus comme avant… Sans pour autant chambouler leur existence, nos clients prennent conscience du fait qu’ils passent leur vie au travers d’un écran. Au retour, ils développent quelques réflexes simples mais salvateurs, comme ranger leur smartphone dans une pochette le temps d’un dîner entre amis, d’un dimanche en famille. Ils recréent la zone blanche dans un parc, dans leur appartement, et débranchent. Car ils savent désormais que les urgences sont toutes relatives. ».
Et finalement, la plus grande des urgences n’est-elle pas l’urgence de vivre ?
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