Découvert par l’édition Top Chef de 2020, Mory Sacko est devenu, en peu de temps, l’étoile montante de la gastronomie française. Après avoir fait ses armes auprès de Thierry Marx, le jeune homme a ouvert son premier restaurant, le Mosuke, dans le XIVème arrondissement. Dans ce contexte particulièrement incertain, il a fait le choix de privilégier l’envie et la passion sur la crainte. Le pari a été réussi puisque les succès se sont enchainés pour l’ex-candidat de Top Chef : il a décroché le prix du « jeune talent 2020 » du Gault & Millau et, récemment, sa première étoile au célèbre guide Michelin.
Ce dernier salue sa cuisine « inspirée et originale », à la croisée de « ses racines malienne et sénégalaise, sa fascination pour le pays du Soleil Levant et, sa passion pour la gastronomie française ». Par ailleurs, son talent a même été reconnu sur le plan international puisqu’un classement gastronomique l’a classé parmi les cinq chefs les plus prometteurs de la planète. Portrait de ce jeune chef inspirant et talentueux.
D’où vous vient l’envie de devenir cuisinier ?
Mory Sacko : Ma passion pour la cuisine a débuté sur un « pourquoi pas ». Petit, je regardais des émissions sur le luxe et j’avais une fascination pour les palaces mais je n’avais pas l’ambition de devenir cuisinier. Au collège, je me suis orienté vers la cuisine et c’est à ce moment que j’ai eu le déclic. La passion n’est venue que par la pratique du métier.
Quelle est votre plus belle rencontre gastronomique ?
M. S. : C’est avec le chef Thierry Marx que j’ai vécu ma plus belle rencontre gastronomique. J’ai travaillé à ses côtés au Mandarin Oriental et c’est pour moi le chef qui incarne le mieux sa cuisine. Auprès de lui j’ai appris beaucoup de choses, notamment ces trois préceptes : « savoir-faire », « savoir être » et « savoir faire faire ». Selon lui, au-delà des techniques culinaires essentielles à maitriser, il faut savoir créer sa propre identité et l’incarner pleinement pour ensuite pouvoir transmettre.
Avez-vous un souvenir marquant en cuisine ?
M. S. : J’ai assisté à la levée d’un thon de 800 kilos avec un sabre. C’était très impressionnant, nous étions en train de travailler en équipe de trois et nous nous sommes tous arrêtés pour voir cela.
D’où vous vient votre créativité ?
M. S. : Je suis très curieux et j’ai toujours envie d’apprendre plus. Dès que je vois un aliment que je ne connais pas, je me renseigne et je recherche toujours des créations insolites.
Pourquoi avoir fait le choix d’une cuisine à plusieurs influences ?
M. S. : Ce n’est pas un choix, la cuisine à triple influence s’est imposée à moi comme une évidence. Etant français, d’origine africaine et passionné par le Japon, je ne me voyais pas faire un type de cuisine. C’est véritablement ce qui me ressemble le plus et qui me plaît.
N’avez-vous pas eu peur que l’on ne comprenne pas votre cuisine ?
M. S. : C’était notre plus grande crainte. J’avais peur que les personnes ne comprennent pas la logique de ma cuisine, qu’elles ne voient pas où je voulais en venir. Je redoutais vraiment qu’il y ait une confusion entre les différentes cultures dans l’esprit des clients mais ça n’a pas été le cas pour le moment. J’ai une doctrine particulière : j’opère par séquençage des cultures et non par véritable mélange. Par ailleurs, l’acceptation de ma logique culinaire passe par un véritable travail de communication et je m’amuse de cela. En effet, la cuisine doit être comme une porte ouverte sur le monde, il s’agit de susciter la curiosité des personnes et l’univers culinaire que je propose s’y prête particulièrement.
Comment expliquez-vous la méconnaissance de la cuisine africaine ?
M. S. : Alors, je commencerais par dire qu’il est plus approprié de parler de cuisines africaines au pluriel. Ce sont des cuisines sous-représentées et méconnues car peu de chefs les ont incarnées pour l’instant. L’offre est encore très pauvre mais on peut remarquer un progrès très net ces dernières années.
Par ailleurs, je pense que l’évolution va se faire sur le même modèle que la cuisine asiatique : on parlait à l’origine de « restaurants chinois » sans distinguer. Puis, au fur et à mesure que l’offre a crû, on a commencé à séquencer en distinguant restaurants chinois, japonais, coréens, vietnamiens… Plus les propositions émergeront sur les cuisines africaines, plus il y aura cette possibilité de faire des distinctions.
N’y avait-il pas un risque de se lancer pendant cette période incertaine ?
M. S. : Comme je l’avais indiqué dans mon post Instagram du 1er mai 2020 qui présentait mon projet de restaurant, l’envie était plus forte que la peur. J’étais conscient des risques d’un second confinement mais je savais déjà comment évoluer et rebondir si cela arrivait.
La restauration continuera de se tenir, je n’ai aucun doute là-dessus. En revanche, je suis plus inquiet par la perte sociale. D’ici un ou deux ans, lorsqu’il faudra rembourser les aides sociales, beaucoup risquent de ne pas pouvoir suivre et mettre la clé sous la porte.
Justement, cela n’a pas été trop difficile de s’adapter en peu de temps au « à emporter » (formule Mosugo) ?
M. S. : J’avais déjà réfléchi au passage à une offre à emporter plus fun et plus accès street food et, sur l’aspect plus communicationnel, le logo et le nom avaient déjà été créés. Nous avons essayé d’être réactifs le plus rapidement possible. En ce sens, ce contexte me pousse à me réinventer : faire de la vente à emporter c’est un métier très différent par rapport à la haute gastronomie. Il a donc fallu intégrer les codes, prévoir des contraintes techniques (temps de transport…) et, surtout, il était nécessaire de conserver l’identité du restaurant.
Il a fallu apprendre rapidement la partie logistique, mais c’est un savoir acquis qui pourra toujours être réutilisé par la suite.
Le 1er février dernier, certains restaurateurs ont appelé à rouvrir les restaurants en méconnaissance des consignes gouvernementales, qu’en pensez-vous ?
M. S. : Pour moi, c’est une initiative qui dessert la branche entière. Les restaurateurs sont perçus par les politiques, depuis le début de la crise sanitaire, comme des irresponsables. Ce mouvement tend à leur donner raison alors que la majorité a joué le jeu. Malheureusement, je comprends la détresse de certains mais faire le choix de rouvrir au mépris des règles sanitaires, c’est contreproductif.
Cuisine ouverte, c’est une émission gastronomique accès sur le terroir. Un chef montre la réalisation d’un plat traditionnel, je dois ensuite réinterpréter
Pensez-vous qu’il existe un risque de « mise à mal », voire de disparition, de la gastronomie à la suite de cette crise ?
M. S. : La restauration continuera de se tenir, je n’ai aucun doute là-dessus. En revanche, je suis plus inquiet par la perte sociale. D’ici un ou deux ans lorsqu’il faudra rembourser les aides sociales, beaucoup risquent de ne pas pouvoir suivre et mettre la clé sous la porte.
Envisagez-vous, par la suite, d’être jury dans une émission culinaire comme celle où vous avez été candidat ?
M. S. : J’ai déjà mon émission télévisée sur France 3, Cuisine ouverte : un chef sur la route, qui me prend beaucoup de temps. Je ne me vois pas pour le moment faire partie d’un quelconque jury. Pour cela, il faudrait une brigade autonome où le chef n’est là que pour le point final.
Justement, pouvez-vous nous parler de Cuisine ouverte : un chef sur la route ?
M. S. : Il s’agit d’une émission gastronomique axées sur le terroir. Un chef montre la réalisation d’un plat traditionnel de sa région que je dois ensuite réinterpréter, le but étant d’apporter une touche de modernité à certains classiques de la gastronomie française. Par ailleurs, un invité, une personnalité ou un artiste de la région m’accompagne dans la préparation du plat. Les premières émissions ont été tournées à Annecy, Megève, Lyon et Bourg-en-Bresse.
Que pensez-vous de l’évolution sociale de la cuisine dont Thierry Marx est le porteur ?
M. S. : La cuisine est un métier comme un autre, il n’y a aucune place pour un quelconque abus; que ce soit des violences ou du harcèlement. Avec le chef Marx j’ai été à bonne école pour cela.
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