La patron de Duolingo a expliqué à Forbes France comment l’IA allait booster l’apprentissage des langues. Son entreprise veut aussi s’emparer d’autres matières.
Il est le patron du petit oiseau vert le plus célèbre du monde. Ancien migrant guatémaltèque réfugié aux États-Unis, Luis von Ahn a fondé avec Severin Hacker l’application Duolingo en 2011, leader de l’apprentissage de langues étrangères, avec 70 millions d’utilisateurs actifs. Titulaire d’une licence en mathématiques de l’Université Duke et d’un doctorat en informatique délivré par l’université Carnegie Mellon, l’entrepreneur a occupé le poste de CEO de reCAPTCHA de 2007 jusqu’à son acquisition par Google en 2009. Il revient aujourd’hui pour Forbes France sur le cœur du projet de son application qui, au-delà de l’apprentissage des langues, s’ouvre progressivement à d’autres matières comme les mathématiques ou la musique.
Pourquoi avoir choisi après reCAPTCHA de vous lancer dans le secteur de l’edtech ?
Luis von Ahn : Je souhaitais après reCAPTCHA lancer un projet en lien avec l’éducation car cela a toujours été ma passion mais aussi parce que je sentais le potentiel d’internationalisation de ce type de solution. J’ai vécu au Guatemala et j’ai constaté à quel point l’accès à l’éducation peut être un facteur de réduction des inégalités. Comme je suis diplômé en mathématiques et en informatique, j’ai d’abord envisagé de me concentrer sur ces matières. Mais je me suis très vite rendu compte que l’apprentissage des langues – en particulier de l’anglais – a beaucoup plus d’impact.
Comment faire pour se différencier dans un secteur aussi compétitif ?
L. v. A. : La première chose a été de rendre l’application entièrement gratuite. Nous avons ensuite misé sur la gamification avec par exemple une barre de progression à l’écran qui se remplit en fonction de l’avancement de nos utilisateurs dans Duolingo. Puis cette progression s’est étendue aux jours consécutifs où l’utilisateur se connecte car il faut bien avoir en tête que la plus grand défi dans cet apprentissage reste la motivation.
Quand prévoyez-vous d’élargir vos cours à de nouvelles matières ?
L. v. A. : Au début du projet, je pensais me concentrer sur l’enseignement aux mathématiques. Et 10 ans plus tard, ce souhait est finalement exaucé car cela fait déjà 6 mois que l’apprentissage des mathématiques et de la musique est testé sur le marché américain. En France, ces nouvelles fonctionnalités sont disponibles depuis cette semaine et le nombre d’utilisateurs ne cesse d’augmenter. Pour assurer ce déploiement, nous avons embauché plusieurs professeurs spécialisés dans ces matières. Et enfin, nous avons eu besoin de développeurs pour intégrer les cours de musique : nous prévoyons d’ailleurs dans les prochains mois la possibilité pour nos utilisateurs de brancher leur piano directement sur l’application.
Quel rapport entretiennent les Français avec Duolingo ?
L. v. A. : Nous avons connu une croissance de près de 134% du nombre d’apprenants dans l’Hexagone. Les jeunes Français sont particulièrement enthousiastes à l’idée d’explorer de nouveaux horizons linguistiques, avec plus de la moitié des utilisateurs de Duolingo (52 %) situés dans la tranche d’âge de 13 à 29 ans. Les motivations principales sont liées à leurs études (26 %) et à la préparation de voyages (17 %). L’anglais trône en tant que langue étrangère la plus étudiée en France, suivi de l’espagnol, le français, l’italien et l’allemand.
Quel rôle joue l’intelligence artificielle (IA) dans Duolingo et comment peut-elle aider à réduire le fossé éducatif dans l’apprentissage des langues ?
L. v. A. : En back office tout d’abord, l’IA a permis de créer et analyser beaucoup plus vite nos données. Au début, ce travail est assuré par des humains en interne mais l’IA s’est progressivement imposée. Dans la même logique, nous avons du nous séparer de près de 10% de nos sous-traitants en traduction car cette tâche est désormais très bien assurée par l’IA.
Du côté des utilisateurs, la promesse de l’IA est d’offrir plus de conversation. Car le principal problème d’apprentissage avec des applications reste le fait que les utilisateurs sont souvent timides à l’idée de parler une langue étrangère avec d’autres interlocuteurs.
L’IA générative offre une conversation permettant de mettre en pratique l’apprentissage de langue. Ce n’était tout simplement pas possible avant l’arrivée des IA comme ChatGPT et les utilisateurs ont donc désormais la possibilité d’aller au-delà de la mémorisation de vocabulaire.
Nous sommes déjà en plein développement de notre propre avatar IA. Disponible très prochainement, cet avatar – avec un ton plutôt antipathique mais ludique – pourra tenir n’importe quelle discussion. Ce qui pourrait répondre aux problèmes fréquents de timidité à l’idée de parler en public.
Jusqu’où l’IA peut-elle continuer à bousculer les métiers ? Craignez-vous certains risques ?
L. v. A. : Je pense que tous les métiers ne sont pas amenés à être impactés. En matière de poésie par exemple, l’IA fait des progrès mais reste bien loin de ce que la pensée humaine peut produire. C’est assez difficile d’évaluer jusqu’où l’IA peut aller et le fait que les grandes entreprises de la tech soient toutes focalisées sur ce secteur va nécessairement amplifier la présence de cette technologie dans notre vie.
Néanmoins, je reste persuadé que l’IA n’est pas notre ennemie et qu’elle reste inévitable. Lorsque Excel est apparu par exemple, tout le monde annonçait la fin du métier de comptable. Et pourtant nous avons simplement assisté à une évolution du métier, non pas une disparition. Je pense enfin que les tentatives de bannissement de l’IA – notamment en cours aux États-Unis – est une fausse route, ne serait-ce parce que la Chine continuera dans tous les cas à progresser très vite dans cette nouvelle course technologique.
Comment faites-vous pour assurer la rentabilité de Duolingo ?
L. v. A. : Nous avons adopté un modèle en « freemium » : cela signifie que l’accès à la plateforme est gratuit mais des publicités sont affichées en contrepartie. Pour les faire disparaître, il est possible de s’abonner et 80% de nos revenus sont justement générés par ces abonnements. Nous avons d’ailleurs plus de 83 millions d’utilisateurs actifs dans le monde et la France représente notre 5e marché mondial – derrière les États-Unis en premier, puis le Brésil, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
La publicité n’est donc pas le plus gros de notre business mais nous ne souhaitons pas nous en débarrasser pour autant. Nous explorons par exemple la possibilité de montrer des publicités dans la langue appris par l’utilisateur, ce qui peut le motiver à les visionner.
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